Le contexte
Cette initiative a lieu en Belgique, à Bruxelles, dans l’îlot Stévin, au centre du quartier européen.
Nous sommes tous des habitants, à titre précaire (contrat de location avec préavis de 30 jours), d’un îlot composé de 37 maisons de maître construites vers 1900.
Cet îlot fait partie d’un ensemble de cinq îlots qui, en 1971, ont été expropriés afin de construire le bâtiment qui devait abriter le Conseil des Ministres. Quelques années plus tard, d’autres îlots du quartier européen ont, à leur tour, été expropriés pour le même projet. Le bâtiment a finalement été construit dans ce second lieu. Nos cinq premiers îlots sont donc vides pour rien ! Un doublon en matière d’expropriation !
450 foyers délogés « pour des prunes », ça donne mauvaise conscience. Le 9 juin 1985, les pouvoirs publics (la Ville de Bruxelles, l’État belge représenté par le Ministre des Travaux Publics et le représentant permanent auprès des Institutions européennes) se mettent autour de la table et signent une convention, mandatant la Ville de Bruxelles pour mener à bien la rénovation sociale d’un des cinq îlot : l’îlot Stévin, qui nous préoccupe. À cet effet, la Ville devient propriétaire de l’îlot Stévin et reçoit 115 millions de la Région Bruxelloise afin d’en financer la rénovation.
En 1998, la Ville de Bruxelles a fait fort : non seulement elle n’a pas encore payé la totalité du prix d’achat de l’îlot Stévin mais, plus grave, les 115 millions reçus de la Région Bruxelloise ont été dépensés ailleurs, dans un quartier électoralement plus prometteur !!!
Certains habitants de cet îlot, après 13 ans d’abandon de leur propre autorité, ne croyant plus à la bonne volonté des pouvoirs publics, ont décidé de présenter eux-mêmes un projet de relance globale (culturelle, sociale, économique et matérielle) de leur habitat.
Description du processus
Date de l’expérience : Le projet est en cours de conception depuis mars 1997.
Nombre de personnes concernées : 45 foyers habitant l’îlot à ce jour et 45 nouveaux foyers prêt et désireux d’y habiter. Au total environ 250 personnes.
Quelles ont été les causes qui ont contraint les habitants à se battre contre la menace d’expulsion ?
La tentative de la Ville de Bruxelles, de mettre en vente publique au plus offrant l’ensemble de l’îlot, sans cahier des charges protégeant l’habitat, a accéléré (mais non déclenché) notre projet. Cette mise en vente, que nous avons réussi à bloquer (en convaincant l’acheteur de ne pas racheter !), signifiait pour l’ensemble des habitants l’expulsion. La vente publique d’un terrain si spéculatif entraîne des prix tout à fait inabordables pour les habitants populaires actuels.
Certaines de ces causes sont-elles liées à des institutions ou à des processus internationaux ?
L’implantation de l’Europe est un processus international qui a provoqué toute la dégradation de l’habitat qui nous occupe ici. Dégradation favorisée par les gains qu’escomptait la Ville de Bruxelles par la revente de l’îlot et par le non-respect de la convention l’obligeant à mener la rénovation sociale de l’îlot.
Nous trouvons que l’Europe est autant responsable que la Ville de Bruxelles, nous ne rejetons pas toutes les responsabilités sur cette dernière. En effet l’Union européenne est une Institution internationale qui aurait dû être attentive à son environnement. Elle ne peut se prétendre «Une Europe pour tous », « Europe : non à la discrimination »,… si elle ne tient pas compte des revendications et des droits de ses habitants les plus proches et les plus pauvres !
Quelles ont été les stratégies employées par les gens pour rester dans leur quartier ?
Pour simplifier, je dirais que trois niveaux d’action ont principalement été exploités :
1. Dans leur entourage, d’abord proche et puis plus large, les habitants ont formé, au fil des mois, un groupe de travail et d’action nommé : C.L.A.S.S.E. (Convivialité, Libertés et Actions Sociales de Sensibilité Européenne). C’est de ce groupe qu’est né, après un an de travail quasi journalier, un ensemble de candidats locataires. Ces candidats proposent au futur propriétaire public de payer leur loyer de plusieurs manières. À l’aide d’un paiement mensuel (montant accessible à un public social) et d’une prestation culturelle pour le quartier et la ville. Cette prestation culturelle, que tout un chacun prendrait en charge, pour un temps déterminé (par exemple une heure/semaine), correspondrait à l’investissement culturel et social qui est normalement déployé dans les quartiers dits « difficiles ». Notre îlot est répertorié dans les 18 périmètres les plus dégradés de Bruxelles et comme devant bénéficier d’un contrat de quartier. Notre groupe négocie avec le futur propriétaire pour qu’il accepte de diminuer le loyer du salaire de cette heure/semaine. Vu que nous recherchons des propriétaires publics, qui devront de toute façon investir à l’avenir dans ce quartier, nos animations ne lui coûteront annuellement pas plus cher que ce qui est alloué en zone de contrat de quartier sous le volet : cohésion sociale et culturelle. Certains candidats proposent également des formules telles que le bail à rénovation ou le bail emphytéotique.
D’autres aimeraient suivre des formations socioprofessionnelles dans les métiers du bâtiment. En résumé : nous proposons de payer notre loyer par de l’argent + une prestation culturelle + de la rénovation. Le loyer étant calculé sur base d’un loyer d’une société de logement social, la prestation culturelle étant limitée à un plafond par habitant et la rénovation dépendant des capacités du locataires. Le tout serait contrôlé et sanctionné par une hausse de loyer en cas de non-respect des conditions établies au départ.
2. Au niveau politique, depuis que dans les faits nous existons, nous avons sans cesse frappé à toutes les portes et interpellé tous les acteurs politiques mêlés de près ou de loin à la problématique de notre îlot. Nous aimons particulièrement les interpeller par surprise en public, et même de préférence devant leur propre public. Nous avons d’ores et déjà réuni différents propriétaires intéressés par notre îlot, dont le Foyer Bruxellois et le Fonds du Logements des familles nombreuses.
3. Au niveau médiatique, nous ne nous contentons pas de faire des conférences de presse digne d’un journal régional. Nous tentons par tous les moyens d’avoir les media nationaux. Nous ennuyons les politiciens qui nous bloquent. Notre jeu est de leur faire le plus possible de mauvaise publicité, attaques devant la presse, tracts distribués dans les boîtes à lettres à 25.000 exemplaires…
Est-ce que les habitants ont voulu changer les politiques de rénovation de la ville ?
L’îlot Stévin avait été, par pure volonté politique, rayé du Périmètre de Développement Renforcé du Logement (P.D.R.L.). Tout quartier inscrit dans ce périmètre bénéficie des primes maximales à la rénovation. Nous avions toutes les caractéristiques de dégradation avancée pour être considéré comme P.D.R.L., mais l’on nous avait retiré cette reconnaissance. Nous avons rencontré et harcelé les ministres compétents jusqu’à ce que nous obtenions gain de cause. C’est chose faite : l’îlot Stévin bénéficie à nouveau de ces primes à la rénovation.
Est-ce que les habitants ont participé à la planification urbaine ?
Nous avons, à cet effet, rencontré à plusieurs reprises, l’Échevin de l’Urbanisme et de l’Aménagement du territoire de la Ville de Bruxelles afin d’établir en collaboration un P.P.A.S. (Plan Particulier d’Aménagement du Sol) pour notre quartier. Nous n’avons jamais eu de suite. Au niveau communal, notre P.P.A.S. traîne sans fin. La Ville attend et espère un promoteur avant d’établir tout P.P.A.S. La ville ne veut SURTOUT pas que son P.P.A.S. puisse gêner un spéculateur, il sera même fait à la carte selon les projets de ce dernier.
Est-ce que les habitants ont participé à la planification urbaine ?
Il se sont âprement battu pour obtenir qu’un terrain vague soit transformé en espace vert provisoire. Ce petit îlot de verdure dure maintenant depuis plus de dix ans, la flore s’est épanouie, et il est probable que nous obtenions gain de cause et que de provisoire, il devienne définitif. Ce parc est inscrit en zone administrative, ce serait donc une jolie victoire !
Quelles ont été les alternatives proposées à la population concernée et par qui ?
Aucune alternative concrète n’a été proposée. On nous parle bien vaguement de nous reloger ailleurs, mais nous ne pouvons croire en ces promesses qui, de toute façon, ne nous plaisent pas.
Acteurs engagés dans le processus et leur rôle
En quoi consisterait le processus de rénovation ?
Une ou plusieurs sociétés de logement social deviendront propriétaire de tout ou d’une partie de l’îlot.
Le Ministre du Logement social, Monsieur Éric Thomas, nous soutient et a mandaté le Fonds du Logement des familles nombreuses pour s’occuper de notre îlot en collaboration avec notre groupe. Le Fonds du Logement prendrait aussi en charge la propriété d’une dizaine de maisons, vraisemblablement les maisons déjà habitées de notre îlot, car leur population est composée de familles nombreuses. Tandis que les candidats pour les maisons vides sont plutôt des jeunes foyers ou des jeunes célibataires.
La ville de Bruxelles sera obligée de travailler avec nous mais les modalités ne sont pas encore fixées.
Le Ministère des Finances interviendrait dans toute prochaine vente de l’îlot. Nous avons obtenu l’annulation des droits d’enregistrement sur l’ensemble de l’îlot lors d’une prochaine vente à condition que la destination de l’habitat soit sociale.
Le Ministère d’aide et de protection à la jeunesse est intéressé par installer trois appartement supervisés dans notre îlot. Ces appartements seraient subsidiés et destinés à des jeunes en difficulté et en quête d’indépendance. La dynamique de notre groupe semble pouvoir être bénéfique pour ces jeunes.
Le Bral (Brusselse Raad voor het Leefmilieu v.z.w.) est financé par un programme néerlandophone, le F.I.S. (Fonds d’Impulsion Sociale), afin de travailler sur la problématique de l’îlot Stévin.
Réactions des différents secteurs
Les médias nous soutiennent.
Le secteur privé est divisé en deux : d’un côté promoteurs et spéculateurs nous font concurrence, de l’autre nous allons solliciter par une coopérative récoltant des fonds pour la rénovation des maisons, les privés sensibilisés par le problème de l’habitat dans le quartier européen.
Au sein de la Ville de Bruxelles, plusieurs tendances existent, certains nous soutiennent et d’autres s’opposent à nous.
Le niveau international
Nous voulons proposer un projet de « Time-sharing pour pauvres ». Puisque nous sommes au pied de la Communauté européenne, nous concevons un projet transnational sous la forme d’un réseau de logement entre groupe d’action d’Europe.
L’idée est très simple. On rend disponible chez soi un espace de vie pendant une période limitée dans l’année et en échange on peut également aller voir ailleurs et bénéficier du même accueil. À l’intérieur du projet, plusieurs appartements rénovés seront sélectionnés comme appartement accueil, ouverts pour une population venant d’autres projets semblables en Europe. Nos partenaires européens viendront nous visiter pour profiter de l’originalité du quartier culturel et de notre position au pied des Institutions Européennes. En échange, des individus et des familles du projet de rénovation à Bruxelles auront la possibilité d’habiter ces autres quartiers en Europe aussi pour un temps limité. Cette structure d’échange permettrait à des citoyens à revenus modestes de partir explorer des réalités humaines différentes. En ce moment, nous envisageons déjà un réseau de logement entre la Belgique, l’Espagne, la France et l’Allemagne.
Est ce que de organismes internationaux de soutien aux habitants sont intervenus ? Non.
Est-ce que des programmes transnationaux ont influencé l’expérience ? Non, si ce n’est notre propre projet transnational.
asociación de residentes, movilización de los habitantes, vivienda precaria, población desfavorecida, barrio deteriorado, autogestión
, Bélgica, Bruxelles
Nous ne voulons pas être des pauvres assistés. Nous pouvons prendre en charge la relance de la ville avec les trois grands créneaux de l’accompagnement social et culturel (par nos propres prestations), de la rénovation de notre habitat, et de l’autogestion de la problématique de notre îlot. Nous aurons fait le travail des pouvoirs publics. Nous leur amenons une solution toute faite ! Le logement social tel qu’il est appliqué à l’heure actuelle ne favorise pas l’ascenseur social. Un logement ne suffit pas, le minimex ne suffit pas ! Ils satisfont des besoins quasi animaux (se loger et se nourrir) mais n’épanouissent pas l’homme. Seul un apport culturel peut favoriser l’intégration et donner une chance à certains de prendre l’ascenseur. Notre approche nous a conduit à étudier les questions de droits fonciers, de propriété publique, d’auto-rénovation, de formation, d’éducation permanente, de sécurité, d’échange et de service. Notre démarche a trois objectifs urbains simultanés : l’accès au logement, une rénovation modulée sur la demande sociale et enfin l’insertion de l’habitat considéré dans un réseau de dynamiques urbaines porteuses d’émancipation individuelle et de convivialité collective.
Convivialité, Libertés et Actions Sociales de Sensibilité Européenne - 12, rue Saint-Quentin, 1 000 Bruxelles, BELGIQUE - Tél./fax. : 02/230.36.14 - Bélgica