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La Bellevilleuse : histoire d’une mobilisation pour défendre un cadre de vie à Paris

Nicolas RIALAN

1999

Le contexte

Le quartier dont se préoccupe plus particulièrement La Bellevilleuse fait partie du 20e arrondissement de Paris. Son périmètre est délimité par les rues de Belleville, Ramponneau et le Boulevard de Belleville.

Description du contexte de la mobilisation

La Bellevilleuse est une association de quartier fondée en 1989 par des habitants du Bas-Belleville, en réaction à une opération d’aménagement urbain élaborée par la Ville de Paris, sans le moindre dialogue avec la population, et se traduisant par la démolition de l’essentiel des bâtiments. Inquiets, des habitants ont donc créé l’association la Bellevilleuse pour être informés des projets devant toucher à leur cadre de vie et pour faire en sorte que leurs intérêts et désirs soient pris en compte. De nombreux petits commerçants y ont adhéré, les différents populations qui vivent à Belleville y sont représentées, les autorités religieuses et scolaires du quartier lui ont apporté leur soutien.

Les élus locaux au pouvoir à Paris ont alors brusquement découvert que, derrière les façades abstraites qu’ils comptaient démolir, existait une réalité humaine dont il fallait tenir compte.

L’objectif de l’association est double :

  • amener la Ville à donner un sens au concept de démocratie locale, en mettant en place une véritable concertation permettant de tenir compte des souhaits de la population ;

  • convaincre la Ville de mettre en oeuvre une opération d’aménagement adaptée à la réalité de ce quartier, qui permette, en privilégiant la réhabilitation, d’éviter la dislocation des nombreuses communautés qui y vivent en bonne intelligence et l’exil en banlieue de ses habitants les plus modestes. La population de ce quartier est en effet particulièrement fragile, car elle est constituée pour une grande part de personnes migrantes et de Français disposant de faibles revenus.

Si le premier projet d’aménagement a finalement été abandonné, une négociation extrêmement poussée s’est engagée avec la Ville pour définir les modalités de l’intervention publique sur le quartier en fonction du principe que l’association s’est fixée dès le début : le maintien sur place de la population.

Description du processus

L’expérience a commencé en 1989.

Nombre de personnes concernées

Au recensement de 1990, les sept îlots compris dans cette zone comptaient 3 826 habitants. En 1982, 48 % des habitants de trois îlots étaient de nationalité étrangère.

Assumé pour l’essentiel par l’équipe de permanents de l’association, le travail quotidien au service des habitants du quartier a pris au fil des années une importance croissante dans l’activité de la Bellevilleuse : en 1996, près de 1 100 personnes (contre 900 en 1995), en grande majorité d’origine migrante, ont ainsi été accueillies et aidées. Mené en liaison avec les travailleurs sociaux, ce travail a permis de nombreuses avancées, notamment en matière de relogement.

Causes qui ont contraint les habitants à se battre contre les menaces d’expulsion

Au-delà des enjeux financiers et de la volonté manifeste de se débarrasser de populations jugées peu intéressantes (immigrés, vieux Paris populaire, SDF…), le réaménagement de Belleville, comme tout quartier ancien, s’est heurté aux fondements mêmes de la politique d’urbanisme de la Ville de Paris, selon lequel un projet d’urbanisme doit se justifier par une certaine ampleur et passer par la démolition de l’ancien pour construire du neuf. Ainsi, dès qu’un quartier lui apparaissait un tant soit peu vétuste ou insuffisamment bâti, la Mairie de Paris excluait par principe toute réhabilitation ou densification ponctuelle, et raisonnait d’abord en termes de mètres carrés de logements, de parkings, de commerces ou de bureaux à construire.

Tout ce qui était à vendre dans le périmètre concerné a été pendant des années systématiquement préempté pour permettre à la Ville de Paris de se constituer une réserve foncière, mais aussi et surtout pour murer les lots acquis, vider progressivement le quartier de sa population, accélérer le pourrissement du bâti, et rendre ainsi inévitable une opération lourde de rénovation urbaine.

L’un des projets pour le quartier, conçu par une société d’économie mixte présidée par la Maire du 20e arrondissement, prévoyait en 1989 la construction de 8 900 m2 de surfaces commerciales, de 10 à 15000 m2 d’activités tertiaires (bureaux, hôtel, locaux professionnels) et de 70.000 m2 de logements (dont beaucoup dits « de standing »), le tout sur une surface de moins de 3 hectares. Résultat : 95 % du bâti actuel devait être démoli.

À partir de ce projet, la Ville entame une déstructuration acharnée du quartier, tant du point de vue social qu’urbanistique :

  • expulsions des familles et relogement hors de Belleville ;

  • fermeture des activités après indemnisation ou expulsion ;

  • pourrissement et dégradation prolongés des logements, dont la plupart se retrouvent murés ;

  • démolition massive (avec ou sans permis de démolir) ;

  • patrimoine occupé laissé à l’abandon ;

Avec ce projet de réaménagement du Bas-Belleville, abandonné depuis en raison de l’action menée par la Bellevilleuse et des critiques des principaux services d’urbanisme de la Ville de Paris, la Ville faisait d’une pierre quatre coups : elle vidait ce quartier de sa population la plus défavorisée en l’exilant en banlieue, décourageait les propriétaires à entretenir leur patrimoine (qu’elle pouvait ainsi préempter à bon compte), justifiait a posteriori la démolition-reconstruction depuis longtemps préconisée, et justifiait l’installation de nouveaux commerces et services adaptés aux souhaits supposés des nouvelles classes moyennes du quartier.

De fait, ces dernières années, l’opération s’est bien traduite par un renouvellement de la population dans cette zone avec l’arrivée de ménages plus aisés.

Or, si certains immeubles du Bas-Belleville connaissent de réels problèmes de confort, d’autres solutions que celles avancées par la Ville étaient possibles pour les résoudre. Les mécanismes et les financements pour la réhabilitation de quartiers existent. L’Opération Programmée pour l’Amélioration de l’Habitat et le dispositif de Développement Social Urbain sont des solutions adaptées à la rénovation d’un quartier.

La Bellevilleuse n’a donc cessé d’interpeller la Ville en lui demandant d’utiliser ces outils. Nous y reviendrons en détails dans les points suivants.

De plus, depuis 1993, la Bellevilleuse mène des actions avec Médecins du Monde sur la question du saturnisme, maladie grave due à l’intoxication au plomb contenu dans les peintures des logements anciens. Une forte mobilisation des deux associations a déjà permis de mettre en évidence que ces intoxications au plomb sont fréquentes dans le quartier, de reloger quelques familles concernées, et de sensibiliser un certain nombre de responsables de la santé publique au fait que seul un changement radical dans la gestion urbaine permettra d’éradiquer complètement le problème du saturnisme.

Les acteurs impliqués, les alternatives proposées aux habitants, et les stratégies populaires de lutte

En suivant le déroulement chronologique des faits ci-dessous, nous allons voir, à travers les positions des différents acteurs impliqués, comment les habitants, loin de se satisfaire des alternatives proposées par la Ville, se sont mobilisés pour rester dans leur quartier, et quelles stratégies ils ont mis en place pour, d’une part, participer à la planification urbaine et changer les politiques de rénovation programmées, et d’autre part assurer un relogement sur place des habitants.

L’action de la Bellevilleuse, depuis sa création, s’est toujours articulée autour de deux axes principaux :

  • un travail quotidien, de proximité, au service des habitants du quartier : régularisations des situations locatives, aide à la constitution de dossiers de logement social, intervention auprès des services municipaux pour les relogements…

  • un travail de proposition pour amener la Ville à utiliser les outils existants afin de mettre en oeuvre un projet adapté aux souhaits et aux besoins des habitants.

Si, depuis quelques mois, ce travail se fait dans un contexte propice à la concertation et au dialogue, il n’en a pas du tout été de même durant les années précédentes.

Le dialogue avec la Ville de Paris a été, de 1989 à l’automne 1996, difficile et empreint de méfiance réciproque. La concertation — obligatoire dans tout projet ZAC — s’est déroulée dans des conditions matérielles déplorables, la Ville semblant déployer une énergie considérable pour décourager la participation des habitants (interdiction d’accès à l’Hôtel de Ville lors de réunions, dates de réunions parfois mal choisies, mauvaise préparation des réunions, salles sans sonorisation, trop petites ou sans possibilité de s’asseoir…).

En 1994, le premier projet ayant été annulé face à la levée de boucliers de la part des habitants, un nouveau projet est proposé, qui aborde enfin la problématique du relogement sur place.

L’essentiel du projet marque une évolution sensible des objectifs de la ville. Ce n’est plus « une opération de rénovation » mais « une opération d’aménagement et de mise en valeur » qui vise désormais à « respecter la diversité du quartier à dominante d’habitat, avec une présence forte de commerces et d’activités » et à « inciter à la réhabilitation » les propriétaires privés. La Ville « souhaite mettre en oeuvre dans le quartier des mesures permettant aux habitants qui le souhaitent de rester dans le secteur et assurant en priorité un droit au retour des personnes relogées à l’extérieur de l’opération pendant sa mise en oeuvre. Cet aspect de l’opération, à savoir le maintien sur place des habitants qui le désirent, répond à une attente forte de la population qui sera prise en compte », lit-on dans l’exposé des motifs accompagnant les délibérations des Conseils à partir de juillet 1994. Pour la première fois, la problématique du relogement sur place et de la préservation des équilibres socio-économiques du Bas-Belleville est officiellement pris en compte par la Municipalité.

Néanmoins, malgré ces importantes avancées, le nouveau projet n’est pas encore satisfaisant. Lors de l’enquête publique, des réserves majeures sont émises et apportées au projet de la Ville. La Bellevilleuse a participé activement à cette enquête publique, d’une part en incitant les habitants du quartier à rencontrer le Commissaire-enquêteur pour lui faire connaître leurs besoins et leurs souhaits, d’autre part en remettant au Commissaire son analyse des projets de la ville.

Le commissaire-enquêteur, dans son rapport rendu en avril 1995, a décidé de rendre un avis favorable au projet de la Ville, à la condition que la Ville de Paris lève plusieurs réserves qui modifient, en profondeur et dans le sens souhaité par la Bellevilleuse, l’intervention municipale. Les réserves du Commissaire portaient notamment sur le fait que le projet de la Ville présentait un sérieux risque de profond renouvellement de la population du Bas-Belleville et d’exclusion des populations les plus fragiles. En revanche, le parti urbanistique adopté par la Ville n’était pas remis en cause, malgré son coût élevé et la disparition de l’essentiel des activités du quartier qu’il allait provoquer.

Le Commissaire-enquêteur avait pris l’option d’encadrer fortement le projet actuel, notamment en imposant le maintien sur place de la population, ce qui était susceptible de faire jurisprudence dans chaque opération d’urbanisme à Paris.

La fin de l’année 1995 voit finalement l’abandon par la Ville de Paris du projet ZAC pour le quartier du Bas-Belleville. L’immobilisme a alors prévalu jusqu’au début de l’automne 1996 : les immeubles les plus fragiles et les conditions de vie de leurs habitants continuent à se dégrader, les intentions de la Ville quant à la destination future des logements lui appartenant restent inconnues, la question du relogement des personnes continue à rencontrer d’énormes difficultés… Si la Ville semble prête à engager des opérations ponctuelles de construction de logements sur les parcelles déjà préemptées, elle se refusait toujours à toute analyse préalable et concertée des besoins des habitants du quartier.

C’est pourquoi, dès l’annonce de l’abandon de la ZAC, et jusqu’à l’automne 1996, la Bellevilleuse a poursuivi sans relâche son travail de proposition, demandant la mise en place de dispositifs adaptés au service d’un projet global d’aménagement du quartier basé sur une analyse approfondie des besoins. Elle a notamment insisté sur la nécessité de coordonner et animer les différentes opérations de réaménagement, qu’il s’agisse du dispositif de DSU ou de l’OPAH, de la réhabilitation du patrimoine public préempté, ou encore de la construction de logements sociaux et d’équipements publics sur les parcelles vides.

Pendant cette période, l’association est intervenue à de nombreuses reprises auprès de la Mairie d’arrondissement et de l’Hôtel de Ville pour souligner l’importance, dans cette perspective, que revêt la réalisation d’études préalables aux opérations prévues en matière de développement social et de l’habitat. Leurs conclusions devaient permettre de dégager des priorités d’action susceptibles de préserver les équilibres socioéconomiques du quartier.

Les propositions de la Bellevilleuse pour le réaménagement

Les propositions de la Bellevilleuse pour le réaménagement du Bas-Belleville s’appuient sur un approfondissement de la réflexion sur l’aménagement du quartier, en collaboration avec des architectes.

En 1996, l’association présente ses propositions sous deux formes : une exposition de plans et un document (remis à la Ville de Paris et à la Mairie d’arrondissement) intitulé « réflexions sur le réaménagement du Bas-Belleville », qui concrétisent le projet voulu par les habitants. Les deux produits présentent la réhabilitation, la desserte du coeur de l’îlot, la construction d’immeubles, de parkings et d’équipements publics que préconisent l’association.

Un groupe de travail regroupant la Mairie centrale, la Mairie du XXème arrondissement et les associations locales est constitué pour réfléchir ensemble à l’aménagement du Bas-Belleville. Par la suite, ce groupe devait être amené à suivre le déroulement de l’opération et à s’assurer de la bonne coordination des trois volets de l’intervention publique prévue : volet social avec la politique de la Ville (DSU), volet réhabilitation des logements privés avec l’OPAH, volet urbanisme avec la construction de logements et d’équipements et l’aménagement des espaces publics.

La Bellevilleuse devient ainsi un partenaire à part entière de l’aménagement du quartier.

Dans ce nouveau contexte, l’association continue à assumer son rôle de force d’animation et de proposition.

Le dispositif de DSU paraît bien adapté à la réalité du quartier. Mais, malgré les caractéristiques sociales du quartier, la Ville s’est montrée réticente à mettre en oeuvre un tel dispositif. La Bellevilleuse a donc effectué de nombreuses démarches auprès des élus du Conseil régional d’Ile de France (l’un des financeurs de la politique de la Ville) et de la Préfecture de Région et de Paris, et sensibilisé les acteurs associatifs, sociaux, éducatifs et religieux de Belleville sur cette question en vue d’un appel commun destiné à faire reconnaître les difficultés sociales du quartier, l’importance des besoins de la population, et à obtenir la mise en place d’un dispositif DSU.

La Bellevilleuse a donc été amenée à jouer un rôle important dans la fédération des associations intervenant dans le périmètre du dispositif DSU. À son initiative, 22 associations sociales, culturelles ou religieuses du quartier se sont coordonnées pour faire émerger un pôle associatif fort, et se sont mobilisées pour rendre un appel commun en faveur de l’instauration d’un DSU. Les actions engagées par ce regroupement associatif doit permettre une réelle prise en compte des besoins des habitants et éviter que ce dispositif se réduise à un «saupoudrage» de subventions sans priorité ni concertation. Face à cet revendication massive, la Ville a finalement cédé et accepté le recours à cette procédure.

Au cours de l’année 1996, l’action de la Bellevilleuse a permis d’obtenir le relogement de 46 ménages. Ils ont été relogés, à l’exception de l’un d’entre eux, dans le quart Nord-Est de Paris et pour certains dans le quartier même. Cette progression d’une année à l’autre du nombre de relogements et de leur localisation (le relogement sur place demeure un droit difficile à faire valoir) n’a pu être obtenue que grâce à un travail permanent et de proximité auprès des familles.

Néanmoins, il faut déplorer que les premières propositions reçues en matière de relogement témoignent parfois d’une évidente mauvaise volonté de la part de la Direction de la Construction et du Logement. En effet, si une abondance de propositions de logements s’abat sur les familles dont les immeubles sont frappés d’interdiction d’habiter (pour cause de saturnisme par exemple), ces propositions, dans leur quasi totalité, s’avèrent tout à la fois inadaptées aux besoins et aux ressources des familles, et en contradiction avec le droit au relogement sur place, puisque en grande partie situées en très grande banlieue. Quant aux autres, ils subissent encore des conditions de logement particulièrement dramatiques et même dangereuses.

D’autre part, l’association a également mis en place, avec le soutien de la Fondation Abbé Pierre, un processus de réhabilitation à caractère social. Il s’agit de convaincre les copropriétaires à s’engager dans la réhabilitation en les aidant à réaliser un diagnostic technique de leur immeuble et un montage financier de l’opération. La Bellevilleuse joue un rôle essentiel d’interface entre les différents acteurs de l’opération (propriétaires, locataires, syndic, bureaux d’étude, financeurs) et s’assure que les objectifs de l’opération — notamment le maintien sur place des habitants grâce à des loyers modérés — soient bien respectés. En 1996, l’association a ainsi organisé des réunions d’information avec les copropriétaires et assuré un suivi individuel de leur dossier.

Palabras claves

participación de los habitantes, desalojo, rehabilitación del medio, barrio popular, especulación


, Francia, Paris

dosier

Vivre dans les centres historiques : expériences et luttes des habitants pour rester dans les centres historiques

Comentarios

Si les nouvelles intentions de la Ville à propos du réaménagement du Bas-Belleville permettent d’espérer une amélioration des conditions de logements des habitants du quartier, il n’en demeure pas moins que, dans un contexte socio-économique difficile, les situations extrêmement précaires de nombreuses personnes du quartier exigent un travail de proximité et un suivi approfondi. L’expérience montre en effet que toute opération de réaménagement dans un quartier comme celui-ci, même en privilégiant la réhabilitation et le relogement sur place, peut finalement se révéler très fragilisante pour des populations démunies, dont les statuts d’occupation de logement sont le plus souvent instables et qui peuvent voir leur loyer augmenter.

La Bellevilleuse - 43 rue Ramponeau, 75020 Paris, FRANCE - Tel : 331 46 36 36 16 - Francia - labellevilleuse.free.fr - la.bellevilleuse (@) wanadoo.fr

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