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diálogos, propuestas, historias para una Ciudadanía Mundial

L’installation de l’Union européenne dans la ville de Bruxelles

Pascale THYS, Patrick SÉNÉLART

2006

Depuis le siècle dernier, Bruxelles a commencé à accueillir des organisations internationales, mais c’est seulement dans les années ’50 que le grand mouvement a débuté avec la venue des institutions européennes. Et depuis 1958, Bruxelles connaît des implantations de bâtiments européens situés de manière quelque peu anarchique sur l’ensemble du territoire bruxellois. Les promoteurs immobiliers renforcent encore la déstructuration de la ville et les phénomènes d’expulsion des habitants de ces zones.

C’est dans les années 70 que des associations vont commencer à se mobiliser et à réagir face à la construction de mégaprojets, s’interrogeant sur le rôle des institutions européennes, mais aussi sur celui des pouvoirs publics belges qui ont « laissé faire » sans grande tentative de gestion du patrimoine urbain et de l’habitat.

Parmi les divers acteurs impliqués, de nombreux niveaux de pouvoirs sont parties prenantes dans le processus d’implantation de l’Europe à Bruxelles, ce qui augmente la difficulté d’intervention. Par exemple on peut citer l’Union européenne, l’Etat fédéral, la Région de Bruxelles Capitale, les Communes.

C’est à cette période que l’on prend conscience du saccage du patrimoine urbain de Bruxelles et que des actions sont donc mises en place. Les premières évaluations des conséquences liées aux implantations des institutions européennes vont se réaliser à ce moment-là. Les évaluations permettent d’identifier deux facteurs principaux comme cause de l’expulsion des habitants du quartier européen : d’une part, l’implantation des «monstres» architecturaux des institutions européennes et conséquemment le rasage des zones entières d’habitat. Il s’agit de la manière la plus visible de détruire l’habitat urbain.

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D’autre part la présence toujours plus importante de bureaux à proximité qui se coulent dans le paysage urbain en respectant les normes urbanistiques des lieux. Cette densification à outrance du secteur tertiaire prive ces zones de la mixité nécessaire à une qualité de vie des habitants. Il s’agit d’une manière plus insidieuse, mais elle fait tout autant fuir les habitants, créant en plus des chancres urbains.

Une étude récente montre que les institutions européennes et internationales occupent 27% du parc de bureaux contre 30% par le secteur privé, et 43% par les administrations bruxelloises. Bruxelles compte actuellement 12m² de bureaux par habitants alors que Londres et Paris ne disposent que de 3m² par habitants.

Au niveau européen, aujourd’hui, Bruxelles est le siège d’une partie du Parlement, de la Commission, du Comité économique et social, du Comité des régions, de l’Etat major militaire, de tous les sommets européens. Environ 25.000 fonctionnaires y habitent de manière temporaire ou permanente, sans compter les lobbys, missions diplomatiques, ONG internationales et autres organisations qui veulent être à proximité des centres de décisions européens. Les principales institutions européennes sont établies dans une superficie d’environ 1 km². Les quartiers touchés par l’installation de ces bâtiments sont particulièrement représentatifs tant par la manière dont l’habitat a été traité que par les processus de mobilisation d’habitants ou d’associations d’habitants qui en ont résultés.

A partir de 1989, Bruxelles devient une Région qui peut se gérer de manière autonome. Des Plans Régionaux de Développement son élaborés et deux visions différentes des institutions européennes vont se succéder. En 1991, l’Europe est encore considérée comme la principale responsable de tous les maux urbains: exode, hausse des prix du loyer, chancres urbains, etc. Depuis 1999, la vision devient plus nuancée et les apports de l’Europe sont valorisés. Les problèmes que connaît Bruxelles sont analysés différemment et des outils plus coercitifs pour la gestion urbanistique sont mis en place. En 2001, grâce au Traité de Nice, Bruxelles va enfin avoir de vrais interlocuteurs au niveau européen.

Situation

En 2004, dix nouveaux Etats membres seront accueillis et d’autres le seront un peu plus tard. Les conséquences sont prévisibles: les besoins en logements, salles de conférences, bureaux, crèches, etc. vont augmenter. Les chantiers sont en cours, comme celui de l’extension du parlement européen (250.000m²) qui représente à lui seul 40.000m² de bureaux et d’hémicycles. L’impact sur le quartier où se sont implantés les institutions européennes est énorme, mais très limité pour l’ensemble de la ville. Au contraire d’autres villes qui s’accroissent par un mouvement d’extension territorial, Bruxelles a tendance à rester dans son périmètre existant: les nouvelles constructions se réalisent sur les fondations des anciennes et/ou en détruisant l’existant.

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Les effets indirects et négatifs de ces mégaprojets pour le quartier sont principalement l’augmentation des loyers, la fragilisation d’une partie de la population et l’exode des classes moyennes entre autres. Contrairement à d’autres pays, la Belgique n’a pris aucune mesure d’ensemble par rapport à l’installation des organisations internationales, et seulement à partir de 2001 on constate une certaine ouverture. Il faut tenir compte que dans la plupart des cas, c’est moins la construction du mégaprojet qui a créé des problèmes que la non-gestion en amont et en aval de ces projets : aucune concertation avec les habitants et les commerçants, champ libre laissé aux spéculateurs fonciers, peu de réactivité des pouvoirs publics belges et bruxellois, etc.

Malgré les divers plans émanants de l’Etat fédéral (2002) et de la Région Bruxelloise (1995, 1999 et 2001) qui prévoient entre autres l’installation de logements dans la mer de bureaux qu’est devenu le quartier européen, ainsi qu’une réglementation plus claire de l’immobilier pour déterminer ce qui peut être ou non entrepris sur le sol de la Région de Bruxelles, les bonnes intentions restent apparemment dans le tiroir.

Le quartier européen est devenu mono fonctionnel, il se compose essentiellement de bureaux (3 millions m² de bureaux – 150.000 m² de logements). Aujourd’hui, les priorités semblent être le sauvetage des îlots résidentiels où il faut faire venir de nouveaux résidents et la défense des commerces de proximité pour conserver mixité et qualité de vie à ces quartiers. Le souhait principal des habitants est que l’on arrête de sortir plan après plan, et que l’on mette en place une cellule opérationnelle qui s’occupe de la gestion, du respect des engagements et de l’accompagnement des projets pour le quartier européen.

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L’implantation des institutions européennes a contribué à la mort de certains quartiers en terme de dynamisme comme résultat d’un processus de tertiarisation. Les habitants soit les désertent, soit ne les habitent plus. Dans le même sens, l’implantation massive de bureaux et parkings font que les lieux de vie et convivialité sont de plus en plus rares. Les îlots d’habitants disparaissent aussi comme une conséquence de l’augmentation des coûts du loyer, un bruxellois moyen dépense environ 60% de son salaire en loyer. A ces effets négatifs, il faut encore ajouter la mise à mal et l’abandon du patrimoine urbain historique pour des raisons spéculatives et suite à l’augmentation du trafic routier, devenu de plus en plus compliqué. Aux chiffres donnés par la Région Bruxelloise sur les avantages de la présence de l’Union Européenne, il faudrait ajouter que la plupart des emplois créés par sa présence sont en général peu qualifiés.

Les acteurs de la mobilisation

Si l’implantation de l’Union Européenne a provoqué des réactions politiques limitées, les organisations sociales ont eu un rôle très important ces dernières années. Parmi ces organisations, on trouve :

L’Atelier de Recherche et d’actions urbaines (ARAU) qui ne se bat pas contre l’Europe, mais contre la manière dont l’Europe s’implante.

L’IEB (Inter-Environnement Bruxelles) créé pour défendre la ville face aux destructions massives. En 30 ans, l’Inter-Environnement Bruxelles et ses comités d’habitants ont contribué au sauvetage du réseau de trams, à la mise en place de politiques de rénovation de l’habitat et à la protection du patrimoine bâti et des espaces verts.

La Bral (Brusselse Raad Voor Leefmilieu) réseau indépendant de comités d’habitants et d’habitants actifs qui s’impliquent en Région bruxelloise pour l’environnement urbain au sens large, donc tant pour l’environnement que la mobilité, l’urbanisme et la rénovation urbaine.

Le GAQ, Comité du quartier Nord –Est, créé face à la menace d’un projet d’autoroute dans la vallée du Maelbeek et d’un autre en direction du centre ville. Le GAQ a vraiment pris son envol lors des problèmes dus à l’implantation du Parlement européen.

Le kaputt, association socio-culturelle des années 1980, créée suite à l’expropriation de plusieurs îlots d’habitation (îlot Stévin) afin de faire connaître le lieu à un public plus large et aider à revitaliser le quartier via des activités culturelles et sociales, tables d’hôte et autres.

De nombreux autres acteurs peuvent être cités, comme, par exemple l’Association du Quartier Léopold; Riverains Jourdains; le comité Pascale Toulouse et le syndicat des fonctionnaires européens.

La plupart de ces organisations ont été créées au début des années 70 comme réponse aux expropriations souvent inutiles. Auparavant la résistance des habitants était quasiment nulle. Le constat général des comités de quartier est simple: Bruxelles, surtout le quartier européen, a subi un désastre urbain, mais l’Europe et ses institutions ne peuvent pas être tenues pour seules responsables. Depuis le début de la mobilisation des habitants et des associations, et encore aujourd’hui, de nombreux combats sont et ont été menés, parfois en vain, parfois avec succès.

Depuis quelques années, différentes associations (surtout les plus importantes) ont décidé de se regrouper au sein d’une «Coordination Europe». Les 5 associations qui en font partie actuellement espèrent ainsi avoir plus de poids lors de négociations ou d’actions de lobbying. Il est intéressant de voir que cette nouvelle structuration est une réponse des acteurs de terrain face à l’ampleur des implantations et à la limite d’interventions sur le terrain qui ne se faisaient qu’au coup par coup et par quartier.

Ces diverses expériences montrent, qu’à Bruxelles, ce sont surtout certains types d’actions de mobilisation qui sont entrepris:

Des actions de lobbying politique destinées semble-t-il exclusivement aux représentants politiques belges. Ces actions atteignent d’autant mieux leur cible aujourd’hui que les associations sont plus structurées et qu’elles ont en face d’elles de vrais interlocuteurs comme la Région de Bruxelles Capitale. Des actions d’information de la population (journaux, publications, études, enquêtes, tour bus…) parce que la population est et reste sous informée de ce qui se passe sur son propre territoire.

Des actions «coups de poing» avec des happening, des manifestations visibles, mais rarement agressives vis-à-vis des autorités politiques.

Des actions d’occupation de la Ville avec l’idée qu’il faut occuper les immeubles vides (même si ce n’est pas une solution), occuper les espaces européens pour y effectuer des projections de cinéma, occuper une gare comme espace symbolique de la mobilité et des croisements culturels.

Des actions pour occuper les espaces de débat sur l’aménagement urbanistique de la ville, principalement participation aux comités de consultation ou de concertation.

Des actions de proposition d’espaces de débat sur l’Europe parce qu’il ne semble y avoir qu’une seule ligne de pensée sur les bienfaits et méfaits de l’Union européenne pour Bruxelles. Il s’agit de créer des lieux alternatifs où l’on peut développer une autre manière de voir les choses.

Des actions de type juridique et judiciaire, notamment pour défendre ses droits, mais aussi pour faire évoluer le droit en matière d’urbanisme et, en particulier celui des locataires et des squatteurs.

Finalement, des actions de type socio-culturel extrêmement nombreuses sur Bruxelles: peinture, affiches, graffitis, concerts, restaurant alternatif, café-bar alternatif, séances de cinéma, visite du patrimoine architectural et urbanistique (en tour bus ou en vélo), etc.

Propositions pour une stratégie globale

On peut tirer quelques conclusions ou enseignements de ce processus pour l’avenir :

a/ Tout d’abord l’importance d’informer correctement et à temps les populations, afin de permettre un meilleur accès à l’information sur les projets qui la concernent. Il est évident que l’information diffusée par les administrations ne toucheront qu’une minorité d’individus et que d’autres supports doivent être utilisés.

b/ La réalisation d’une mémoire collective urbaine pour permettre une réflexion d’ensemble et retracer l’histoire urbaine de la ville.

c/ L’élaboration d’études d’impact pour mieux évaluer les aspects positifs et négatifs de ces projets.

d/ Avoir des interlocuteurs dès le départ : Une des premières causes de dérapage et du fonctionnement «au coup par coup» est le manque d’interlocuteurs tant du côté bruxellois qu’européen. Ce n’est qu’avec la régionalisation de la Belgique (1989) qu’apparaît un Gouvernement bruxellois qui va commencer à réglementer l’implantation du «mégaprojet» et se poser comme un acteur véritable dans le débat. Du côté de l’Europe, c’est le même problème : il faudra attendre le Traité de Nice en 2001 pour que les Communautés européennes soient instituées et pour que la Région de Bruxelles Capitale puisse discuter avec de vrais interlocuteurs sur les conséquences urbanistiques et sociales des implantations des bâtiments européens.

e/ Apprendre à se mobiliser sur une autre échelle de territoire. Dans le cas de tels mégaprojets, il est évident que rapidement les compétences de chacun sont dépassées. C’est vrai au niveau des autorités publiques, mais c’est aussi le cas, d’une certaine manière, pour les associations de quartier. L’échelle de l’implantation requiert une autre échelle d’organisation des acteurs tant publics que privés. Dans le cas présent, il y a eu du côté des pouvoirs publics des accords entre le niveau fédéral et le niveau régional. De même, les acteurs de terrain se sont regroupés en «Coordination Europe».

f/ Réaliser un tableau de bord commun en matière de gestion urbaine avec les acteurs concernés pour mener des actions cohérentes.

g/ Discuter des problèmes avec les acteurs du mégaprojet : De manière récurrente, on voit que presque toutes les actions de lobbying des associations ont été dirigées vers l’acteur compétent en matière d’aménagement du territoire à Bruxelles (les autorités belges). Il est évident qu’au-delà des difficultés, il est intéressant aussi de pouvoir discuter et négocier avec les acteurs du mégaprojet car ils sont aussi à la base de certaines décisions.

h/ Utiliser les leviers d’action mis à la disposition des autorités compétentes : Les autorités compétentes ont ici semblé ne pas «oser» utiliser les leviers mis à leur disposition dans un premier temps; elles ne semblent pas non plus avoir beaucoup utilisé les retombées économiques positives de ce mégaprojet pour financer les dérives négatives de celui-ci.

i/ Mener des actions volontaires de «remixité urbain» : dans les quartiers où seule demeure la fonction de bureaux. Voilà une action nécessaire sans doute dans de nombreux cas d’implantation de mégaprojets qui doivent créer tout un univers direct ou indirect autour d’eux. Une action volontaire de remixité des fonctions du quartier ou de la ville s’avère dès lors nécessaire (il faut savoir dire halte aux implantations de même nature à proximité du mégaprojet).

j/ Crédibiliser l’action des habitants et des associations : Une manière de leur donner du poids est peut-être de leur confier une étude (de la part des pouvoirs publics) ou de mener cette étude de manière volontaire (en dépit des pouvoirs publics).

k/ Utiliser la culture comme vecteur de résistance : Dans une ville très mouvante naturellement, le facteur culturel reste un bon vecteur de cohésion sociale et d’identité urbaine. C’est une forme de sécurisation, de résistance non violente, qui a l’avantage de séduire tant les habitants que les autorités politiques. C’est un mode d’expression différent de l’écrit qui peut donc toucher des catégories de population difficile à sensibiliser et à mobiliser. C’est aussi, dans une ville bilingue officiellement (et davantage dans les faits), un moyen de dialogue qui dépasse l’usage des mots.

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