Lilia SANTANA, Marcelo NOWERSTERN
2006
Les luttes sociales et politiques en France sont intenses et diverses. Les questions relatives au logement -accès, utilisation, financement, prix-, sa relation avec la ville et avec les services publics, sont des éléments structurants de la vie des citoyens et des classes et des couches sociales laborieuses et populaires. C’est pourquoi les débats et conflits que pose la question du logement apparaissent de façon récurrente dans la vie politique et sociale française.
Pour autant la mobilisation sociale pour le logement n’est pas si importante ni permanente, même si elle a gagné en intensité au cours de la dernière période.
Le paradoxe entre l’importance de la question du logement et la faiblesse relative des mobilisations sociales à son propos, s’explique à la lecture de l’histoire du mouvement social et de la place du système de logement populaire en France.
Nous considèrerons quelques éléments déterminants de cette relation entre « question du logement » et « mouvement social », en tenant compte aussi de l’expérience de la lutte pour le logement au Brésil.
Le logement populaire et social en France
Définir le logement social et les acteurs du mouvement de lutte pour ce logement en France s’avère difficile. Nous tenterons ici d’en souligner les aspects les plus marquants et nécessaires à la compréhension de la situation actuelle et des luttes et mobilisations engagées.
Nous pouvons considérer trois « types » de logement social en France : le logement social dit « HLM », le logement social dit « de fait » ou encore « tiers-habitat », le logement social spécialisé (foyers de travailleurs immigrés, d’étudiants, pour personnes âgées, etc). Reste la question de l’hébergement, assimilé trop souvent à du logement par certains acteurs et que nombre de mouvements de lutte refusent de considérer comme tel.
Le logement social en France
Il existe en France un système de logement social dit « système HLM » (« Habitation à Loyer Modéré »), destiné aux classes populaires et aux salariés et qui reçoit des subventions de l’Etat.
Dans l’immédiat après-guerre, il s’agit de loger la main d’Ĺ“uvre qui travaille à la reconstruction et à l’industrialisation de la France. Par la suite, le logement social HLM est perçu comme le logement digne, décent, et s’inscrit dans une politique de résorption de l’habitat insalubre, des bidonvilles, des taudis. Jusqu’aux années 70, le logement social est produit massivement dans les zones d’urbanisation en périphérie, de rénovation urbaine et de lutte contre l’habitat insalubre. C’est le logement de la population salariée, le logement familial locatif de « départ dans la vie ». Par la suite, le logement social locatif est relayé par le logement social en accession à la propriété (en immeuble collectif ou en pavillon) et ce phénomène accentue le peuplement vers la périphérie plus lointaine, vers un foncier bon marché.
Ce système est aujourd’hui très formalisé et institutionnalisé. Il est organisé autour des « Offices HLM », des établissements publics qui gèrent le secteur public du logement et de l’habitat social. Il y a aujourd’hui 289 offices, 4,7 millions de personnes logées et 2,16 millions de logements. Les Offices Publics HLM sont rattachés aux collectivités locales et gérés par les collectivités locales, l’administration de l’Etat, les partenaires financiers et sociaux et les locataires. Parallèlement à ce système public, se sont développés des organismes privés et d’économie sociale de construction et de gestion HLM, les SA HLM (1).
Il est structuré autour de :
Un système de financement
Le financement du logement social est toujours problématique car il doit se faire à long terme et à des taux subventionnés afin d’en permettre l’accès aux classes populaires. En France, c’est la création d’un circuit particulier de financement, géré par une institution bancaire étatique (la Caisse de Dépôts et Consignations - CDC) et à un taux d’intérêt subventionné par l’État, qui permet ce résultat. La CDC finance les promoteurs de logement social - les organismes HLM - à des taux subventionnés.
La quantité de logements sociaux construits chaque année est fonction du financement existant, du niveau de subvention décidé par l’État et de la décision de construire et de solliciter des financements par les organismes HLM. Le coût subventionné du financement apparaît dans le budget annuel national.
Les subventions sont destinées à la construction d’une série de catégorie de logements, depuis les plus économiques jusqu’aux «intermédiaires», ces derniers étant de fait destinés aux classes moyennes et aux salaires élevés.
Ce fait dénature au moins en partie les objectifs du système de logement social.
Un système de subventions
Il n’y a pas de logement social sans subventions importantes. En France, les subventions sont principalement de deux types :
Les « aides à la pierre », destinées à diminuer le coût du financement de la construction de logement social. Elles transitent par le biais « des organismes HLM » :
Les « aides à la personne », destinées aux locataires et/ou aux acheteurs de logement social. Elles sont perçues directement par les habitants, propriétaires ou locataires. L’Etat fixe chaque année le montant des subventions, leur augmentation ou diminution. Les subventions sont une ligne du budget national annuel.
On destine d’importants fonds au logement social – d’environ 1.6% du PBI - mais la crise s’aggrave de façon systématique.
La tendance actuelle favorise l’accession à la propriété et le système de révision annuel pénalise les chômeurs et salariés précaires.
Au cours des dernières années, une part chaque fois plus importante de la contribution budgétaire de l’État au secteur du logement prend la forme d’exonération d’impôts ou de réduction de l’impôt sur le revenu, surtout lorsque le particulier décide de destiner des fonds à la construction de logement.
Les exonérations fiscales constituent aussi une forme de financement du budget de l’Etat au secteur du logement. Néanmoins, ce financement n’est pas destiné dans les faits aux logements des classes populaires et favorise plutôt la construction privée de logements pour cadres et classes moyennes. D’autre part, c’est un élément de la bulle spéculative : Il contribue à l’augmentation des prix et à la rareté et cherté du foncier. La construction des logements HLM pour les classes laborieuses devient ainsi plus difficile encore.
Un système d’acteurs
Une des caractéristiques principales « du système HLM » en France est que la promotion du logement social est à charge « des organismes HLM » : offices publics et SA HLM. Il s’agit d’un réseau de plusieurs centaines de structures juridiques diverses. Les Municipalités en sont des actrices politiques centrales.
Un système d’aménagement urbain
Les logements sociaux, collectifs et individuels, sont un élément important dans l’organisation de l’espace territorial des villes françaises et des régions métropolitaines (2).
La région métropolitaine de Paris
Après la seconde guerre mondiale, et jusqu’en 1975, plusieurs centaines de milliers de logements sociaux ont été construits dans la région parisienne, essentiellement dans la «ceinture rouge» des communes communistes du nord et de l’est, dans la proche périphérie parisienne. L’essentiel des ensembles de logements sociaux de la région métropolitaine se situe en périphérie et très peu dans la ville Paris.
La région métropolitaine de Paris, et dans une certaine mesure celles d’autres villes françaises, s’est divisée de fait entre des villes disposant de logement social, de gauche, et des municipalités offrant très peu de logement social, de droite.
L’accès au logement social et à des services et activités assurés par les municipalités, (culture, sports…), était alors considéré comme un élément de la promotion sociale des classes ouvrières. Le niveau de vie général s’améliorait de cette manière et non seulement grâce à l’augmentation des salaires. Il s’agissait ici d’un « salaire indirect ». Avec la sécurité sociale (accès aux soins, accidents du travail) et la retraite, l’amélioration des conditions de logement a été un élément important du « salaire indirect » et de l’amélioration des conditions de vie des travailleurs jusqu’à la crise des années 70.
La mobilisation sociale pour l’accès au logement était alors dans une large mesure organisée par les municipalités et par les partis politiques de gauche.
La négociation sur le financement du logement social se faisait au niveau du budget de l’Etat et le Parlement, les décisions de construction étaient prises par les Municipalités et les Offices HLM et la demande d’accès suivait un cheminement bureaucratisé et personnalisé, en lien avec la Municipalité.
A partir de la fin des années 70, s’ouvre une période de crise où chômage, précarisation de l’emploi et montée des inégalités se généralisent. Les couches sociales formées des exclus, des sans-droits et des précaires sont de plus en plus importantes et visibles.
La mobilisation sociale en France autour du logement social
La mobilisation sociale en France autour du logement social s’inscrit le plus souvent en réaction au système institutionnel. D’une part, il s’agit de la négociation et des conflits à l’intérieur du système HLM, avec ses acteurs institutionnels : Etat, communes, et partis politiques de gauche, associations des locataires. Par ailleurs, tous les secteurs sociaux exclus du système peuvent se mobiliser : les associations et groupement revendiquent l’accès au système pour les plus pauvres et/ou pour tous les travailleurs et demandent une augmentation du nombre de constructions, le contrôle des prix des loyers. Les associations de locataires se mobilisent prioritairement sur la défense de leur statut et leur participation à la gestion du parc social.
Un point commun entre ces deux approches reste l’opposition aux politiques néolibérales de marché, qui détruisent tout développement du logement social et le remettent en question.
Le logement social « de fait », ou « tiers-habitat (3) »
Parallèlement au parc social décrit ci-dessus, coexiste un parc social « de fait »'. Ce logement est produit en dehors du « système HLM ». Situé dans le parc privé, il s’agit généralement de copropriétés anciennes et vétustes (4), qui abritent une population de propriétaires-occupants et de locataires aux revenus trop faibles pour se loger dans le parc privé et/ou ne répondant pas aux critères imposés par les bailleurs sociaux (revenus instables ou informels, sans-papiers, etc.) pour accéder au logement social. Pour autant, ces habitants appartiennent à la même classe de revenus que celle des habitants de HLM.
Ce parc dégradé, qui peut présenter des risques importants en terme de santé (insalubrité, saturnisme, etc.) présente pour autant l’intérêt d’être situé en centre ville, dans la « ville existante » contrairement aux ensembles HLM, qui se situent surtout dans les zones de périphérie, généralement moins bien desservies en terme de services publics (temps de transport importants et coûts significatifs, école, etc. ) et présentant peu d’opportunité d’emploi.
Il contribue fondamentalement à la mixité de la ville existante et « appartient à des espaces urbains qui assument sans effort particulier une fonction d’intégration sociale et urbaine (5) »
Rien qu’à Paris, près de 1000 immeubles insalubres ont été recensés fin 2005, qui du fait de leur localisation font fréquemment l’objet de projets spéculatifs. C’est pourquoi il existe à présent une mobilisation pour réclamer l’intervention publique pour le rachat, la réhabilitation et la mise à disposition de ces immeubles pour la classe populaire qui ne peut plus se loger en centre ville.
Enfin, la « typologie » du logement populaire doit également prendre en considération le logement social « spécialisé » sous la forme de foyers de travailleurs immigrés, foyers étudiants…
vivienda de intéres social, acceso a la vivienda, diferenciación social, marginación social, marginación por la vivienda
, Francia
Le mouvement social et la lutte pour le logement populaire en France et au Brésil
Entre l’Etat, le marché et les habitants, quel avenir pour le logement en France ?
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