Ce que la mondialisation n’est pas
04 / 2006
Depuis l’entrée des économies du Nord – principalement européennes – dans une ère de chômage de masse, la concurrence étrangère a mauvaise presse notamment du côté des victimes des plans de restructuration et des délocalisations. Depuis environ une grosse dizaine d’années, cette internationalisation de la concurrence en apparence sans règle porte un nom : celui de mondialisation.
Il exprime pour les salariés au Nord ce sentiment d’être à la Merci d’une concurrence mondiale exacerbée et soumise au bon vouloir d’un capital financier largement dominant, tandis que les derniers remparts étatiques et politiques semblent totalement impuissants face à l’émergence des nouveaux pouvoirs économico-financiers.
Et pourtant, la mondialisation n’est ni un phénomène irréversible ni un phénomène nouveau. Elle ne peut donc être caractérisée, comme il est communément admis :
Par une croissance des flux d’échanges à l’échelle mondiale, puisqu’il s’agit là d’un phénomène ancien qui a toujours été en s’intensifiant hors mis, bien évidemment, pendant la phase de protectionnisme des années 1930.
Ni par une expansion des mouvements de capitaux, cette situation ayant déjà eu un précédent au XIXe siècle.
Ni même par une domination de la régulation marchande sur la sphère étatique puisque là aussi les épisodes de la seconde moitié du 19e siècle nous rappellent que ce phénomène a déjà eu lieu.
Pour autant les attributs constitutifs de notre mondialisation ne sont pas forcément très éloignés de ces caractéristiques, mais ils présentent néanmoins des singularités nouvelles, parfois plus complexes.
Spécificité de la mondialisation actuelle
Philippe Norel a identifié trois traits spécifiques à la mondialisation contemporaine :
Le premier, « la mondialisation des firmes c’est à dire la définition de stratégies immédiatement conçues sur l’espace mondial » (p20). Ce sont notamment les mouvements de transnationalisation, de création d’oligopole, de concentration verticale et horizontale. Ce phénomène n’est pas en lui-même nouveau mais la forme qu’il emprunte l’est pour sûr. En outre parce que ces processus de transnationalisation se sont fondés substantiellement sur les ressources humaines de la firme, sur ses savoirs faires, ses capacités cognitives, ses échanges immatériels (par exemple le droit à l’utilisation d’une marque…). L’immatériel et le cognitif ont donc une place prépondérante dans ces mouvements de réorganisation structurelle à l’échelle mondiale.
Autre caractéristique : la globalisation financière. Non pas son ampleur, mais bien son approfondissement. Les années 1980, libres de Bretton Woods et fortes des politiques de 3D (décloisonnement, désintermédiation, déréglementation), ont en effet vu l’apparition de quantités de produits financiers notamment de gestion des risques (swaps, futures…). Car ironiquement si la déréglementation a certes permis de créer des produits de gestion des risques, elle a paradoxalement engendré un univers financier plus risqué car plus incertain. En conséquence, Philippe Norel définit le procès de globalisation financière comme « un mouvement de libéralisation qui diminue les coûts de financement, mais aussi accentue les risques de change et de taux, tout en créant les moyens de les gérer par un développement significatif des marchés et de la finance directe » (p22).
Enfin dernière caractéristique de cette mondialisation « dernière génération » : L’affaiblissement des régulations étatiques nationales (p20). Philippe Norel n’entend pas par là un recul du pouvoir étatique face à une sphère marchande de plus en plus puissante, mais plutôt l’importance prise par les zones régionales et les instances de régulation mondiale. Un transfert d’autorité a effectivement eu lieu entre l’Etat et ces organisations supra-nationales. C’est donc l’Etat régulateur des échanges marchand et de la production qui a reculé, délaissant certaines de ses fonctions à des instances supranationales (OMC…) ; mais aussi L’Etat keynésien maniant l’outil budgétaire et monétaire qui s’est petit à petit effacé à mesure que les zones régionales grossissaient (Union Européenne…) ; l’Etat providence étant sans nul doute celui qui a subi le plus net recul : contraint par les déficits budgétaires et les politiques de rigueur.
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Libro
NOREL Philippe, L’invention du marché, une histoire économique de la mondialisation, Paris : Editions du Seuil, février 2004
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