Créée en 1991 pour appuyer la démocratie et promouvoir les droits de l’Homme au Mali, l’association DEME SO (La Maison de l’Aide), association de jeunes juristes maliens, s’est rendue compte, au fil des ans, des faiblesses du juridisme pur et dur dans la gestion de la vie en société. Elle a eu vite fait de renoncer au règlement judiciaire des conflits au profit de la médiation sociale et du règlement extra-judiciaire des conflits.
Le Mali a obtenu son indépendance le 22 septembre 1960. Les différents régimes qui se sont succédés n’ont pas pu répondre aux aspirations de liberté et de démocratie des populations. En mars 1991, une révolution populaire exigea l’instauration d’une démocratie pluraliste et de l’Etat de Droit. Des débats instaurés sur l’état de la nation faisaient ressortir des malaises profonds entre la population et certains services de l’Etat dont la justice. Dans les recherches de solutions de “crédibilisation” de l’Etat, il a été décidé de réformer la justice dans un programme décennal. Ainsi, la justice malienne s’est trouvée en traitement alors que ses patients l’attendaient.
Le mécontentement de la population n’était pas infondé pour celui qui suit les événements au Mali. Des cas tristement célèbres : dans la région de Mopti, un conflit foncier mal jugé a abouti à un affrontement entre agriculteurs et éleveurs (plus de 30 morts) ; une secte religieuse a abattu froidement un juge pour selon elle une mauvaise décision rendue... Les cas sont innombrables.
Le règlement extra-judiciaire des conflits
Face à tous ces faits et actes, la société civile ne pouvait demeurer sans alternatives. La médiation et le règlement amiable des conflits sont devenus des armes pour le règlement de leurs conflits. Notre étude portera sur un cas que DEME SO a eu à juguler, celui du conflit Nanguila – Gueleba.
Ce conflit foncier opposait deux villages voisins et frères, ceux de Nanguila et de Gueleba. Historiquement, Gueleba a été créé par le neveu du chef de village de Nanguila. Gueleba ne disposant pas de terres cultivables, le village de Nanguila accepta que celui de Gueleba cultive une partie de ses terres.
Les deux villages grandissant, l’espace est devenu insuffisant et en 1907 un premier conflit éclata. Pour la première fois Gueleba réclama la propriété de la terre. Ce conflit ne connaîtra plus de répit et s’aggravera en 1960, 1968, 1991 et 1992, à la faveur des changements de régime au Mali. Le différend fut porté devant les autorités judiciaires. La propriété de la terre fut donnée au village de Gueleba. Nanguila n’accepta pas cette décision de la justice malienne et refusa d’abandonner les terres que leurs parents avaient cultivées depuis des siècles.
En 1996, les gendarmes sur plainte de Gueleba sont venus ramasser tous les hommes de Nanguila dont le chef de village. Le chef de village de Nanguila n’a pas survécu à cette humiliation. Tous les champs cultivés furent dévastés. Les liens de parenté et de bon voisinage encore restants ont été rompus - mariages annulés, salutations et présentations de condoléances pour les décès interdits…
DEME SO fut sollicitée pour mener une médiation. Il s’agissait vraiment d’une mission délicate. Notre stratégie a consisté à : traduire en langue nationale et produire des brochures et cassettes audios sur la procédure judiciaire, le code domanial et foncier ; mener une campagne de diffusion de ces deux textes pour une conscientisation de toutes les parties et de tous nos groupes-cibles pour une prévention des conflits ; mener une médiation pour le retour de la paix et de la confiance.
Grâce aux efforts de DEME SO et l’implication des leaders d’opinion (chefs chasseurs, chefs religieux, griots, forgerons..), nous avons convenu de la convocation de toutes les parties pour la signature d’un protocole de paix dont le contenu avait eu l’accord de ces dernières.
L’Assemblée fut tenue avec la présence des autorités politiques et administratives, de la société civile et des villages de la localité. Tout se passait pour le mieux jusqu’au moment où le sous-préfet demanda au représentant de Gueleba de ne pas signer l’accord car il y avait déjà eu une décision de justice. Après concertation avec le préfet, ce dernier a reconnu la validité de l’accord sur le principe qu’en matière civile la signature d’un accord ne pouvait être considérée comme une violation. Le protocole prévoyait que chaque paysan continue d’exploiter sa parcelle comme auparavant, l’organisation de visites de courtoisie entre les deux villages, la présentation de condoléances pour les décès survenus, le rétablissement des liens de mariage… Ainsi Nanguila a été convié à faire le premier geste et Gueleba le suivant. Une commission de suivi de l’accord a été mise en place. Depuis les villages vivent en paix.
La société civile a ici joué un grand rôle dans le règlement de ce conflit. Elle a su détourner l’inadaptation de la loi et le mauvais comportement d’une certaine administration.
modo de resolución de conflictos, mediación, cultura popular, derecho territorial
, Mali
Pratiques du droit, productions de droit : initiatives populaires, 2003
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