La gestion des ressources naturelles et la préservation de l’environnement nécessitent une gouvernance participative
Anil AGARWAL, Sunita NARAIN, Achila IMCHEN, Anju SHARMA
03 / 2002
Un élément absolument indispensable du développement durable c’est le renforcement de la démocratie, à l’échelle locale, à l’échelle mondiale. Il faut renforcer les pratiques démocratiques locales pour que les collectivités puissent décider elles-mêmes de l’usage à faire des ressources naturelles locales : c’est essentiel pour assurer une bonne gestion de l’environnement. Et pour que les nations puissent s’entendre entre elles, il est évident qu’il faut aussi au niveau mondial des structures démocratiques. L’aspect le plus encourageant de ce XXIème siècle commençant est que la mondialisation va faire apparaître des leaders plus divers sur la scène mondiale.
Au cours de la seconde moitié du XXème siècle, la société civile s’est développée de façon extraordinaire et l’on est en droit d’être impressionné par tout ce qu’elle a fait pour apporter un peu plus de raison sur cette planète, notamment en matière d’environnement. La première partie du siècle écoulé avait été marquée par des progrès scientifiques et technologiques sans précédent dont les retombées sur la vie quotidienne des populations dépendaient essentiellement des décisions d’un petit nombre de leaders politiques et d’hommes d’affaires.
Face aux problèmes écologiques qui sont apparus, des gens ont réagi et ont dit que les démocraties des pays occidentaux n’étaient finalement pas assez démocratiques. Les gens n’acceptaient plus que leurs élus décident seuls du lieu d’implantation d’une centrale nucléaire. Ils voulaient participer au processus décisionnel, en disant aux décideurs : « Ca ne se fera pas dans mon jardin. On vous a élus pour prendre des décisions, mais vous n’avez pas pour autant le droit de décider de tout et n’importe comment en notre nom ».
Au cours des années 1970, on a donc vu s’épanouir dans les pays occidentaux une société civile très militante qui a progressivement fait école ailleurs, y compris dans les pays du Sud, souvent dotés de régimes politiques plutôt étatiques et socialistes. Grâce à des milliers de militants bénévoles qui montraient la voie, s’est constituée à travers le monde une impressionnante mouvance écologiste qui a fini par pousser les gouvernements et les industriels à s’occuper aussi des problèmes d’environnement.
Dans la deuxième partie du XXème siècle, on est donc passé lentement du concept de démocratie représentative à celui de démocratie participative. Et ça c’est très encourageant car la diversification du leadership est à coup sûr une bonne chose. En ce XXIème siècle commençant nous avons de nouvelles chances d’établir une société civile mondiale, et ce faisant de réduire aussi la dominance exercée par la société civile des pays du Nord.
Aujourd’hui tous ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir doivent se rendre compte que la mondialisation technologique et la révolution des moyens de communication modifient très subtilement le rapport de force de multiples façons, pas seulement dans le champ du militaire. L’intérêt majeur de cette évolution c’est que les politiciens peuvent peut-être la freiner, mais ils ne l’arrêteront pas. Sans doute y aura-t-il des hommes politiques responsables qui ne se sentiront pas menacés par la chose, qui l’encourageront même. Mais soyons réalistes : il ne manquera pas non plus, en particulier dans les pays en développement, des leaders de tous ordres qui s’estiment déstabilisés.
Une gouvernance participative
Un autre changement est en cours à travers le monde, il est lent mais fort important : des systèmes de gouvernance monolithiques cèdent peu à peu du terrain au profit de façons de faire davantage pluralistes. Ainsi de plus en plus de gens ont leur mot à dire sur ce qui concerne leur vie, leur environnement. Et cela devrait immanquablement établir une meilleure harmonie entre les populations et le milieu qu’elles occupent. Jetons un coup d’œil en arrière sur l’Histoire de l’Inde. Il y a environ 250 ans, lorsque les Britanniques étendaient leurs tentacules sur ce pays, chaque village avait son école. L’Inde était le pays le plus urbanisé et le plus riche du monde, à l’exception peut-être de la Chine. On avait construit des centaines, des milliers de structures pour récolter l’eau et mieux mettre ainsi en valeur les terres. On comptait des centaines, des milliers de bois sacrés.
Le pillage du pays par les Britanniques a contribué à financer leur Révolution industrielle. Mais il y a eu plus grave : les bouleversements imposés au système de gouvernement. Avant l’arrivée de ces colonisateurs, les gouvernants ne faisaient pas grand chose pour le public en général, ils préféraient inciter les gens à faire les choses eux-mêmes. C’est ainsi que dans les villes et les villages il y avait bien un million d’organismes qui s’occupaient des barrages, des réservoirs, dont il subsiste des milliers aujourd’hui encore, souvent en bien mauvais état. A la place de toutes ces institutions, les Britanniques ont développé une énorme bureaucratie qui a été bien incapable de s’occuper de la multitude de structures diverses qui avaient été bâties pour assurer l’approvisionnement en eau en respectant l’environnement naturel. Partout dans le monde d’ailleurs la philosophie de la gestion de l’eau changeait : l’eau, qui était l’affaire de tout un chacun, devenait l’affaire des gouvernements. Avec plus d’un siècle de recul, on ne peut pas dire que ce soit mieux.
Dans les pays en développement les structures étatiques d’aujourd’hui se sont révélées grossièrement incompétentes et corrompues. Quand on étudie l’Histoire de l’Inde du point de vue de l’environnement, on constate que les anciens maîtres du pays n’édictaient pratiquement pas de règles dans ce domaine. La plupart des règles étaient fixées à la base, et cela entrait généralement dans le droit coutumier appliqué par les communautés, avec au besoin des sanctions sociales et religieuses. Les groupes nomades, par exemple, se déplaçaient suivant des circuits qui se croisaient rarement.
Dans les Etats modernes il y a au sommet des parlements qui font d’innombrables lois alors qu’à la base il n’y aura personne pour vraiment les appliquer. Et comme traditionnellement on n’obéit guère au maître du pays, le système étatique moderne aboutit à un désastre extraordinaire. La corruption n’est qu’un aspect de la défiance vis-à-vis du chef. Dans le passé on avait une structure gouvernementale pyramidale. La pyramide inversée d’aujourd’hui tangue et flageole. On commence cependant à comprendre qu’elle devrait impérativement prendre au moins la forme d’un tonneau pour pouvoir répondre aux défis actuels. Des gouvernements monolithiques sont en train de se retirer du secteur industriel et tôt ou tard ils vont devoir se retirer aussi du secteur social et du secteur environnemental.
Dans les années à venir, deux courants vont accroître leur pression sur l’Etat nation : la mondialisation de l’économie et de l’écologie, d’une part, la gestion des ressources naturelles et la préservation de l’environnement, de la qualité de la vie, d’autre part. Dans le premier cas, l’Etat nation cédera du terrain devant des systèmes de gouvernance mondiale (Organisation mondiale du commerce, traités internationaux pour la protection de l’environnement…). Dans le second cas, l’Etat nation devra développer la gouvernance locale, permettre à des institutions démocratiques locales de participer activement à la gestion des villes et des villages.
desarrollo sostenible, proceso de democratización, democracia participativa
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Texte traduit en français par Gildas Le Bihan et publié dans la revue Notre Terre n°8 - mars 2002
Texte d’origine en anglais publié dans le livre : AGARWAL Anil, NARAIN Sunita, SHARMA Anju, IMCHEN Achila, Global Environmental Negociations 2 - Poles Apart. Center for Science and Environment, 2001 (INDE), p.5-6, ISBN 81-86906-29-0
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