Malgré les nombreux traités et créations d’organismes, les ressources de la planète ne sont pas gérées de façon plus équitable
Anil AGARWAL, Sunita NARAIN, Achila IMCHEN, Anju SHARMA
03 / 2002
Sommet de Johannesburg : septembre 2002. Les signes prémonitoires ne sont pas bons, c’est le moins qu’on puisse dire. Un an seulement avant le Sommet du développement durable de Johannesburg qui doit faire le point sur les progrès accomplis depuis Rio (1992), le président des Etats-Unis, George W. Bush, donnait un coup terrible à ceux qui rêvent d’une responsabilité collective vis-à-vis de notre planète : son pays ne participerait pas aux négociations du Protocole de Kyoto qui doit imposer aux pays industrialisés une réduction des émissions de gaz à effet de serre. Vis-à-vis de l’atmosphère, cet élément essentiel du patrimoine commun de l’humanité, les Etats-Unis fuient donc leurs responsabilités, alors qu’ils sont les premiers coupables, les plus gros producteurs de ces gaz.
La communauté internationale n’est pas capable de faire entendre raison aux Etats-Unis, et cela fragilise énormément les institutions mondiales chargées de veiller au bon état de l’environnement planétaire. Au cours des dix dernières années, de nombreux organismes et traités internationaux ont vu le jour dans ce domaine. Mais ce n’est pas pour cela que les choses vont mieux, que les ressources de la planète sont gérées de façon plus équitable. Au contraire, les fissures du système s’élargissent et aggravent les contrastes entre riches et pauvres, entre pays du Nord et pays du Sud. Depuis la Conférence des Nations Unies sur l’environnement à Rio, les leaders mondiaux ont complètement laissé de côté les principes de démocratie et d’équité en matière de gestion de l’environnement.
Les priorités des pays du Nord
Les intérêts économiques des pays puissants et des grosses entreprises ont constamment pesé sur les négociations et orienté les décisions. Cela est évident pour la plupart des grands traités sur l’environnement : Protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone, Convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique, Convention sur la biodiversité, Protocole de Carthagène sur la biosécurité, Protocole sur la responsabilités et l’indemnisation en cas de dommages résultant de mouvements transfrontières et de l’élimination de déchets dangereux dans le cadre de la Convention de Bâle. Dans le passé, les gouvernements des pays du Nord n’ont pas vraiment caché leur intention de protéger d’abord leur industrie nationale. C’est ainsi qu’on a souvent sacrifié « l’efficacité écologique » planétaire au nom d’une soi-disant « efficacité économique » définie selon des critères bien étroits. La décision du président Bush de se retirer du Protocole de Kyoto, alors que les Etats-Unis ont été et restent l’un des tous premiers responsables du réchauffement climatique, illustre bien ce propos : on s’intéresse à l’environnement, on accepte des accords multilatéraux uniquement dans la mesure où cela ne remet pas en cause les intérêts économiques des pays riches. Quand le pays le plus puissant de la planète refuse d’assumer ses responsabilités en matière d’émission de gaz à effet de serre, ce qui entraînera des effets désastreux et bien des souffrances dans des pays pauvres, que peut faire la communauté internationale sinon essayer de convaincre ?
Les problèmes de l’environnement ne sont pris au sérieux que s’ils touchent vraiment les pays du Nord. Cette tendance, apparue au cours des années récentes, a de quoi nous alarmer. Le gouvernement américain peut bien décider de quitter les négociations du Protocole de Kyoto : selon les scientifiques, ce sont surtout les pays du Sud qui devraient subir les conséquences du réchauffement climatique. Les gouvernements des pays du Nord ne s’intéressent guère aux négociations sur la désertification ou la biodiversité parce que ces problèmes concernent surtout des pays du Sud. Par contre, les trous dans la couche d’ozone et les polluants organiques persistants sont des problèmes qui peuvent toucher aussi les populations des pays du Nord. Ils sont donc pris au sérieux et les négociations avancent bien plus vite sur ces deux chapitres.
Comment contraindre les gros coupables ?
Pour le Protocole de Kyoto, la communauté internationale essaie désespérément de faire revenir les Etats-Unis à la table des négociations, mais jusqu’à présent la société civile n’a pas trouvé le moyen de forcer ce pays à assumer ses responsabilités. Les « gros bâtons » prévus dans les négociations mondiales sur l’environnement pour faire obéir les récalcitrants sont essentiellement des sanctions économiques, qui ne seraient applicables qu’à l’encontre de pays pauvres. Dans le cadre du Protocole de Montréal, par exemple, on peut menacer les pays en développement d’une suspension de l’aide s’ils ne remplissent pas leurs engagements. Mais il n’existe pas de mécanisme de contrainte à l’égard des pays industrialisés qui ne respecteraient pas leurs objectifs. Pour ce qui est du Protocole de Kyoto, le système de contrainte prévu pour les pays industrialisés saura être indulgent : finalement, ces pays tâcheront de respecter leurs engagements s’ils le voudront bien. Pour la Convention de Bâle, ce sont encore essentiellement les pays développés qui risquent d’être les contrevenants, mais il n’y a aucune pénalité de prévu à l’égard des coupables : onze ans après la signature de ce texte, il reste encore à élaborer un mécanisme de contrainte.
Par ailleurs, dans les négociations mondiales sur l’environnement, on n’a pas réussi jusqu’à présent à attribuer les responsabilités « à qui de droit », alors que le plus souvent les soupçons se portent sur des établissements industriels des pays du Nord, ces nouvelles vaches sacrées qu’il faut absolument protéger, quel que soit le coût. On a parfois essayé de mettre en place directement des mécanismes appropriés afin que les entreprises soient vraiment responsables de leurs produits. Dans deux cas au moins ça a été l’échec : pour les dispositions relatives à la responsabilité du Protocole de Carthagène sur la biosécurité et de la Convention de Bâle. Dans le premier cas, les pays du Nord ont réussi à écarter tout protocole sur la responsabilité. Dans le second cas, il n’est pas prévu de clauses de responsabilité dissuasives pour les établissements industriels qui produisent des déchets dangereux. Au lieu de subir des pénalités, les industriels ont parfois même été récompensés d’avoir malmené l’environnement. La firme Du Pont, qui fabriquait une bonne partie des fluorocarbures (CFC), allait bénéficier d’un marché mondial captif en matière de produits de substitution, les hydrochlorofluorocarbures (HCFC), autorisés par le Protocole de Montréal et dont on savait qu’elles peuvent aussi affecter la couche d’ozone. Du Pont et d’autres fabricants de CFC n’ont pas du tout été pénalisés pour avoir porté atteinte à l’environnement de la planète. Les industriels ont continué à inventer, à produire et à vendre des produits chimiques qui attaquent la couche d’ozone, sans se soucier du reste. Les négociateurs du Protocole de Montréal sont très occupés à chercher un accord sur des dates limites pour l’arrêt de fabrication de ces nouvelles substances, mais à aucun moment il n’a été question de faire porter une quelconque responsabilité aux fabricants.
Les négociations mondiales sur l’environnement obligent les pays du Sud à opérer de nombreuses mutations technologiques qui coûtent cher, mais elles ne prévoient pas de dispositif approprié pour aider ces pays à faire un grand bon qualitatif en avant en matière de technologie. Le Protocole de Montréal a prévu une aide financière aux pays du Sud pour faciliter leur passage à de nouveaux produits chimiques. Mais comme la première génération de produits de substitution s’avère aussi préjudiciable à la couche d’ozone, les pays du Sud devront supporter les coûts de la deuxième transition. C’est la même chose dans les négociations sur le climat : les mécanismes de flexibilité ont été prévus pour encourager l’usage de carburants fossiles plus propres dans les pays du Sud, pas pour les aider à franchir le pas et à adopter des énergies renouvelables. Lorsque les pays du Sud devront s’engager aussi à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, ils devront abandonner les technologies énergétiques relativement améliorées mais classiques pour lesquelles ils avaient reçu une aide des pays du Nord.
negociación internacional, medio ambiente
Texte traduit en français par Gildas Le Bihan et publié dans la revue Notre Terre n°8 - mars 2002
Texte d’origine en anglais publié dans le livre : AGARWAL Anil, NARAIN Sunita, SHARMA Anju, IMCHEN Achila, Global Environmental Negociations 2 - Poles Apart. Center for Science and Environment, 2001 (INDE), vol. bleu 3556
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