La société civile des pays du Nord ne donne pas la priorité à l’équité entre Nord et Sud lors des négociations sur le climat
10 / 2005
La plupart des grandes associations qui, en matière d’environnement, font l’opinion dans la société civile des pays du Nord ignorent le principe d’équité lorsque ce sont les pays du Sud qui réclament. Lors d’un récent colloque international qui a réuni aux Pays-Bas des scientifiques et des organisations non gouvernementales, il a été procédé, afin de mieux orienter les débats, à un vote sur une liste de questions relatives à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques : craintes exprimées par les pays de l’OPEP de voir leur production chuter si l’on se tournait vers d’autres sources d’énergie, référence au principe d’équité, etc. Pour répondre les participants avaient le choix entre un point vert (question prioritaire) et un point rouge (question non prioritaire). Dans le passé, les grandes associations écologistes internationales avaient manifesté bien peu de sympathie à l’égard des craintes des pays pétroliers. Beaucoup trouvaient carrément ridicule leur demande de compensation. Et pourtant à cette assemblée, ce n’est pas l’OPEP qui s’est trouvée au bas de la liste. Le gros point rouge a été pour « les principes d’équité ». Résistance maximale et réaction épidermique sur cette question ! Pourquoi ces gens, des Occidentaux pour la plupart, répugnaient-ils à débattre seulement de cette question dans un tel cénacle ?
Leur réaction correspond en tout cas à l’attitude de nombreuses ONG des pays du Nord face au mot EQUITE : silence plutôt gêné (de nos jours on ne peut se déclarer opposant catégorique de ce principe), crainte absurde que des quotas d’émission de gaz à effet de serre calculés sur la base d’une quantité identique et universelle par habitant n’incitent les gouvernements à laisser filer la démographie nationale. Et, beaucoup de gens pensent qu’à vouloir donner à chacun les mêmes droits sur l’atmosphère terrestre on met en danger les négociations sur le climat, tout simplement parce que le plus gros producteur de gaz à effet de serre (les Etats-Unis) ne veut pas entendre parler d’un tel système. Beaucoup estiment aussi qu’une convention sur le climat n’est pas l’endroit approprié pour s’occuper d’équité. Ailleurs, une autre fois, disent-ils ! Dans les pays du Nord très peu d’associations, très peu de mouvements sont prêts à soutenir le principe d’un droit à utiliser les capacités d’absorption de l’atmosphère égal pour tous, et à accepter en conséquence que les pays industrialisés réduisent réellement leurs émissions de gaz à effet de serre tout en accordant un temps de grâce aux pays en développement pour qu’ils puissent consolider leur économie. Les Occidentaux qui participaient à cette réunion aux Pays-Bas préféraient qu’on avance de manière progressive dans la convention, qu’on précise les règles au fur et à mesure au lieu de s’appesantir sur des principes susceptibles de créer des problèmes pour les pays industrialisés. Malheureusement cette façon de procéder ne convient pas aux pays pauvres. Car, sur le long terme, la seule chose qui puisse les aider à résister à la puissance économique des pays industrialisés c’est d’en appeler à des principes forts et équitables. Si la Convention sur le climat n’accepte pas le principe que tous les êtres humains ont des droits égaux sur l’atmosphère, si elle ne précise pas la nature et l’étendue de ces droits, qu’est-ce qui pourrait empêcher les pays industrialisés de dépasser leurs quotas de pollution, d’abuser de l’atmosphère ? Voilà un aspect qui semble avoir échappé à certains éléments (groupes ou individus) de la société civile. Ils se rallient de fait à une variante écologique du néocolonialisme. Pour eux l’équité n’est pas une question prioritaire dans la Convention-cadre pour la lutte contre les changements climatiques, tout simplement parce que les sénateurs américains ne veulent pas en entendre parler.
Le nouveau pragmatisme des ONG
Depuis le début, les associations et les scientifiques, qui constituent l’armature de la société civile, ont joué un rôle clé dans la lutte contre le réchauffement climatique, tout d’abord en faisant prendre conscience de la gravité du problème et en clarifiant les premières négociations. A la première Conférence des Parties qui s’est tenue à Berlin en 1995, des ONG du Nord et du Sud ont constitué un collectif qu’elles ont appelé Climate Action Network (CAN), et dont l’objectif était de contribuer à faire reculer l’idée que les grands pays en développement posaient un vrai problème, susceptible de provoquer un blocage des négociations. Deux cents personnes membres de ce collectif ont exprimé leur soutien à notre Centre pour la science et l’environnement (CSE) lorsqu’il s’est opposé à une proposition allemande visant à soumettre aussi les pays en développement à des objectifs contraignants au vu des prévisions concernant leurs émissions de gaz à effet de serre, et cela en laissant complètement de côté les niveaux atteints dans le présent et dans le passé par les pays industrialisés. La remarquable unité d’opinion affichée par les ONG à cette occasion obligea Angela Merkel, ministre de l’environnement du gouvernement allemand, à retirer sa proposition. Depuis Berlin cependant, à mesure que le débat s’enfonçait dans les méandres de la politique et de la science, le rôle de cette société civile est apparu plus flou. Impressionnées sans doute par d’opportunes études scientifiques, beaucoup d’ONG des pays du Nord sont tombées dans les filets savamment tendus par des pays industrialisés refusant de s’engager sur des objectifs contraignants. Désorientées par les niveaux et bases de référence, les pourcentages de baisse, les puits à carbone, les marchés des quotas de pollution et autres façons astucieuses de faire diversion, ces associations ont perdu de vue leurs objectifs premiers. En 1992, lors du Sommet de la Terre à Rio, l’équité entre le Nord et le Sud constituait l’une des préoccupations essentielles des ONG. C’est maintenant devenu un aspect secondaire. Au sein de Climate Action Network les associations de pays du Nord sont prépondérantes, et la plupart des représentants des pays du Sud n’ont pas pu ou voulu imposer les priorités « sudistes » au plan d’action de ce collectif. Ils étaient sans doute tout contents de dire oui aux choix faits par d’autres.
A la troisième Conférence des parties (Kyoto, 1997) et à la quatrième Conférence des Parties (Buenos Aires, 1998), la plupart des membres du collectif ont souffert du syndrome de Stockholm dès que les Etats-Unis ont annoncé qu’ils ne s’engageraient pas sur des objectifs chiffrés de réduction de gaz à effet de serre aussi longtemps que certains pays clés en développement ne se sentiraient pas tenus de participer au plan d’action. Les négociateurs étaient pris au piège par les : l’objectif nouveau c’était plus d’obtenir une ratification américaine que de lutter au mieux contre le réchauffement climatique. Les ONG américaines demandaient désormais aux pays en développement d’accepter de participer comme « volontaires » au combat, car c’était, affirmaient-elles, la seule façon «pragmatique» de faire monter à bord les Etats-Unis. A Buenos Aires certains mouvements du Nord ont applaudi la décision de l’Argentine qui entrait volontairement dans le jeu. Dans un communiqué de presse, WWF (Fonds mondial pour la nature) et Greenpeace se réjouissaient, ajoutant qu’ils allaient être vigilants pour s’assurer que le pays s’engage effectivement sur des objectifs précis pour mieux respecter l’environnement.
Des responsables associatifs ont utilisé à maintes reprises l’adjectif « pragmatisme » en guise d’explication. C’est par pragmatisme que le Climate Action Network ne fait plus de l’équité entre Nord et Sud l’une des priorités des négociations sur le climat. Est jugé pragmatique ce qui convient aux Américains. Certaines ONG sont même allées jusqu’à dire que ce traité international pour la lutte contre les changements climatiques n’a pas à chercher des remèdes aux inégalités de ce monde. Le climat c’est le climat ! D’autres acceptent qu’on parle d’équité dans la Convention, de façon théorique. Ils se refusent à entrer dans les détails. Comme les ONG du Sud (le CSE notamment) l’ont souvent répété, quand on s’occupe d’un patrimoine commun à toute l’humanité – et c’est bien le cas pour l’atmosphère – il n’est pas concevable de faire passer à l’arrière plan le principe d’équité. Il est le fondement même de tout système qui prétend fonctionner.
La stratégie américaine
Le gouvernement américain s’est donc trouvé des alliés bien utiles parmi les associations de pays du Nord pour obtenir que la convention impose également aux pays en développement des objectifs chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre (ce que ne prévoient pas les accords de 1992 et de 1995). Les Américains étant les plus gros producteurs de dioxyde de carbone, une convention non ratifiée par eux n’aurait pas de sens. Leurs sénateurs, leurs négociateurs, leurs industriels jouent sur cette situation et essaient de passer en force. Ils veulent donc la participation des pays en développement, des engagements modestes pour leur pays et la possibilité de remplir intégralement leurs objectifs en faisant appel uniquement aux mécanismes de flexibilité (marché des droits à polluer, développement propre). La première exigence soulève des problèmes de justice et d’équité. Dans un monde civilisé en effet les principes de justice et d’équité doivent éclairer les relations et les négociations entre nations. Les deux autres exigences remettent en cause les objectifs mêmes de ce traité : son efficacité écologique n’est plus assurée.
Ceci dit, il est beaucoup plus facile de comprendre la position des négociateurs américains, tournés vers des gains à court terme, que celle des représentants de la société civile présents aux négociations. Lors des manifestations qui ont marqué la réunion ministérielle de l’OMC à Seattle, c’était la même chose. Certaines associations des pays du Nord semblent oublier bien vite leurs grands principes. Pour résoudre des problèmes environnementaux transfrontières elles voudraient que les pays en développement abandonnent de larges pans de leur souveraineté nationale. Par contre, quand il s’agit de pays industrialisés la souveraineté nationale est une chose infiniment respectable. Aux yeux de ces associations justice sociale et équité sont peut-être des mots désormais anachroniques. Les voilà sur la pente : bientôt elles auront accepté un monde où la loi du plus fort est, tout compte fait, la meilleure.
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Texte traduit en français par Gildas Le Bihan et publié dans la revue Notre Terre n°4
Texte d’origine en anglais publié dans la revue Down To Earth : SHARMA Anju, That E word again. Down To Earth vol. 8 n°21, Center for Science and Environment, 31 mars 2000 (INDE), p. 54-55
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