Que les ONG du Nord commencent par imposer un développement durable aux pays riches pour permettre un véritable droit au développement dans les pays du Sud
10 / 2005
15 août 2002. Le Sommet du développement durable de Johannesburg ne débouchera peut-être pas sur grand chose. Et lors des réunions préparatoires on aura vu se rouvrir de vieilles cicatrices dont on s’était trop brièvement préoccupé à Rio. Entre les groupes « environnementalistes » des pays du Nord et les groupes « de développement » des pays du Sud, de nombreuses différences subsistent, aussi manifestes que jamais.
Bon nombre de groupes du Nord pensent qu’il est de leur devoir de sauver le Sud du « développement », quoi que cela puisse coûter aux gens du Sud. Dans leur propre pays, ils ont bien du mal à faire évoluer les attitudes en matière de développement, mais ils ont vite fait de montrer du doigt leurs collègues du Sud en disant : « Non, non ! le développement c’est pas bon pour vous ! » Et ils vous désignent le rayon du magasin où s’étalent les mirages du développement durable : « Regardez, ça c’est bon pour vous ! » La plupart du temps ces gens oublient évidemment de mentionner le prix de l’article. Ils ont du mal à avouer que pour faire du développement durable, il faut plus d’argent. Cela les obligerait à pousser leurs gouvernants à respecter au moins leurs engagements financiers. Mais cela ils ne sont pas capables de le faire : on le voit bien depuis le temps que ça dure. Pour eux, il est bien plus facile de traiter avec les gouvernements du Sud. Car les pays du Sud, on peut leur forcer la main, leur imposer des conditions via les grandes institutions internationales (Banque mondiale, Fonds monétaire international…) dominées par les intérêts du Nord.
C’est pour cela que « le droit au développement », qui a été reconnu comme un droit inaliénable de l’Homme lors de l’Assemblée générale des Nations unies en 1986, reste un sujet controversé dans le projet de document du Sommet du développement durable de Johannesburg. A l’image de leurs gouvernants, bon nombre de groupes du Nord sont contre l’idée que toutes les nations ont un droit égal à se développer. Ils estiment qu’en accordant aux pays du Sud le droit de se développer pleinement on leur donnera aussi « le droit de polluer ». Pour ces pays, il faut donc se limiter au « droit au développement durable ». Autrement dit, les pays en développement peuvent bien essayer de pourvoir aux besoins de leur population, à condition de rester dans un cadre contraignant. Avec ces restrictions, on remplace en fait un droit par une obligation.
Premier point : ce « droit au développement durable » ne tient pas compte du fait que, contrairement aux pays industrialisés, les pays du Sud n’ont pas encore consommé leur part de l’environnement mondial. En toute équité, ceux-ci devraient pouvoir bénéficier pleinement du « droit au développement » tandis que s’imposeraient aux pays industrialisés les restrictions qu’exige le développement durable. Les pays en développement ont le droit de se développer selon des modèles conventionnels tant qu’ils n’auront pas consommé leur part de l’environnement mondial, ou jusqu’à ce que la communauté mondiale leur accorde les moyens financiers et techniques qui leur permette d’opter pour le développement durable. Dans ce dernier cas, les pays du Sud ne devraient pas faire d’objections pour entamer les changements souhaitables.
Deuxième point : comment définir le développement durable. Avec cette expression caméléon, on peut parier que le « droit au développement durable » applicable aux pays du Sud sera défini selon les desiderata des pays du Nord, parce qu’ils sont financièrement les plus forts. Au cours de toutes ces années passées, nous avons compris que les critères du développement durable, tel qu’il est conçu par les pays du Nord, peuvent desservir gravement les intérêts des pauvres et favoriser les riches. Prenons l’exemple de la « foresterie durable » : la plupart des critères retenus pour une exploitation durable des forêts favorisent avant tout les pratiques en usage dans les pays développés. Qu’importe si cela enrichit encore plus le riche au lieu de profiter aussi au pauvre. Peu importe si, avec ces contraintes, les petits producteurs du Sud auront du mal à résister à la concurrence des gros producteurs du Nord.
Pour deux autres raisons, auxquelles on a fait allusion plus haut, le droit au développement durable peut constituer un sérieux problème dans les pays pauvres. Le développement durable exigera évidemment des dépenses supplémentaires, et pour cela il n’y a pas encore de financements disponibles dans les pays du Sud. D’autre part, il est probable que, par « des cadeaux » ou par la force, on obligera ces pays à remplir leurs engagements vis à vis des objectifs du développement durable tandis que les pays du Nord continueront à faire comme bon leur semble. Et les pays du Sud ne disposent d’aucun moyen de pression pour les contraindre à faire les choses autrement. Dans leurs pays respectifs, les ONG du Nord resteront aussi impuissantes qu’elles le sont actuellement, et elles jugeront plus confortable de fermer plus ou moins les yeux sur les carences de leurs gouvernants. C’est bien ce qu’elles ont fait sur la question du réchauffement climatique. Au lieu d’essayer de changer les choses chez eux, de réduire la dépendance vis à vis du carburant fossile, ces groupes préfèrent, parce que c’est plus facile, imposer le changement aux pays du Sud grâce à l’influence qu’ils peuvent avoir sur les institutions financières internationales.
Avant de parler de « droit au développement durable » plutôt que de « droit au développement », ces groupes devraient admettre qu’il est grand temps que les pays riches s’engagent fermement sur la voie du développement durable, que le « droit au développement durable » impose des contraintes supplémentaires aux pays du Sud auxquels on refuse un droit égal au développement. Tous les êtres humains devraient avoir un droit d’accès égal à toutes les ressources pour satisfaire leurs besoins. Tous devraient avoir une part égale des fruits du développement. Mais pour les populations les plus démunies du Sud, il s’agit tout simplement de survie.
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Texte traduit en français par Gildas Le Bihan et publié dans la revue Notre Terre n°10
Texte d’origine en anglais publié dans la revue Down To Earth : SHARMA Anju. Down To Earth vol. 11 n°6, Center for Science and Environment, 15 août 2002 (INDE), p.52
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