Pouvoir inégal entre l’administration et les villageois pour la gestion des ressources naturelles
10 / 2005
Le 2 avril 2001 sera un jour de deuil dans l’histoire du mouvement écologiste en Inde. Au Madhya Pradesh, dans le district de Dewas, quatre personnes appartenant à un groupe tribal ont été tuées par la police parce qu’ils coupaient des arbres pour soutenir la toiture de leur habitation. L’incident s’est produit lorsque des fonctionnaires accompagnés de la police locale ont envahi le village de Mehnidikheda pour saisir ces matériaux « illégalement détenus » . Lassés de devoir verser des « cadeaux » aux fonctionnaires de la direction des forêts pour obtenir l’autorisation de couper le bois dont ils avaient absolument besoin, ces « tribaux » ont réagi. Comme elle en a l’habitude dans ce genre de conflit, l’administration a qualifié ces gens de Naxalites (groupes armés d’extrême-gauche), et elle a fait arrêté Rahul Banerjee, un travailleur social militant qui aurait incité les tribaux à la violence. Cet incident est particulièrement condamnable et les responsables doivent être poursuivis.
Mais il ne faut pas en rester là : l’affaire ne se limite pas à des fautes administratives. Elle met à nu une législation qui fait des gens de la forêt des hors la loi en puissance. Car tout l’esprit de notre administration des forêts et de la faune et de la flore est basé sur le postulat suivant : les gens dehors et des gardes armés autour. Nous disons ici, à longueur de colonnes, que ça ne peut pas marcher. La forêt n’est pas un lieu désert mais le refuge de populations pauvres. Parce qu’à côté il y a des réserves naturelles protégées, ces gens deviennent aux yeux de la loi des marginaux, des braconniers prêts à pactiser avec ceux qui se livrent au trafic de certaines espèces de bois, le célèbre Veerappan pour le santal par exemple.
Il y a quelques années, au village de Mendha situé dans une région boisée de Maharashtra, la direction des forêts avait fait démolir le ghotul, le dortoir traditionnel que les jeunes de la tribu avaient construit pour leur usage avec du bois coupé en violation de la loi, d’après l’administration qui a alors accusé ces gens d’être des Naxalites. Les villageois ont alors juré qu’avant le prochain lever du soleil ils reconstruiraient leur ghotul au même endroit. Au cours de la nuit, ils ont coupé ou prélevé quelque part le bois qu’il fallait et rebâti la structure. Cet acte de rébellion s’est propagé comme un feu de brousse de sorte qu’en une semaine une douzaine de villages ont construit un ghotul « sans permis » . La loi et ses agents transformait de paisibles ruraux en militants convaincus.
La législation sur la protection des forêts prévoit que les gouvernements des Etats de l’Union indienne doivent demander une autorisation au ministère central de l’environnement et des forêts lorsqu’ils souhaitent faire un usage non forestier d’une zone forestière. Elle a sans doute été bien utile pour freiner la déforestation. Mais pour les populations pauvres qui vivent dans cet environnement, sa mise en Ĺ“uvre se traduit par une multitude d’interdits : interdit de construire une école dans le périmètre forestier, interdit de couper un arbre pour faire du feu sous la marmite, pour construire un logement. Les bureaucrates disposent ainsi de multiples pouvoirs qui permettent de recevoir des petits « cadeaux » . C’est une chose qui va de soi, qui a plusieurs noms, qui prend diverses formes : poulet, lait, argent… L’importance de ces « paiements non officiels » varie, mais c’est sans arrêt que les pauvres villageois doivent verser leur obole aux agents de l’Etat. Dans le district de Dewas, le tarif était de 1 000 roupies pour un tronc d’arbre, et il en faut bien cinq pour faire un malheureux logement dans les tribus. Cela fait donc 5 000 roupies pour graisser la patte aux « protecteurs de la forêt » .
Au cours des cinquante dernières années, la seule innovation consentie par l’administration des forêts en direction des populations concernées a été son Joint Forest Management (cogestion des forêts). En échange de tout ce qu’ils peuvent faire pour protéger la forêt, les villageois sont autorisés à prélever pour leur propre usage de l’herbe et quelques menus produits. Malheureusement, la bureaucratie sait très bien s’y prendre pour garder les choses en main : c’est toujours ainsi dans notre pays ! Lorsqu’on parle de « Participation populaire » , il faut comprendre : « Participez à mon programme » . Ce sont les fonctionnaires de l’administration des forêts qui tirent les ficelles dans les structures de « cogestion » locales. A Dewas, cette cogestion de la forêt avait encore compliqué les choses. Les villageois étaient divisés : d’un côté ceux qui faisaient partie d’un comité de cogestion, de l’autre côté tous les autres. L’administration faisait appel aux premiers pour charger les pièces de bois confisquées dans les camions, pour renforcer les équipes qui allaient faire une descente dans une localité, pour dresser des pauvres contre des pauvres. Dans l’incident de Dewas, le gouvernement du Madhya Pradesh a réagi sagement, en soulignant la nécessité de démocratiser le fonctionnement des comités de cogestion, de les faire passer sous le contrôle des assemblées de village (gram sabha), en réduisant en même temps le rôle de l’administration des forêts.
Il nous semble indispensable de revoir le fonctionnement du système officiel de cogestion car il permet à l’administration des forêts de conserver la maîtrise des décisions et d’intervenir en force dans les structures villageoises. Malgré leur participation aux efforts de préservation des zones forestières, les populations locales ont jusqu’à présent très peu profité de la plus value ainsi générée. Là où elles avaient réussi à bénéficier de certaines retombées, les fonctionnaires se sont ingéniés à récupérer le magot, cette fois sous couvert de collecte de l’impôt. Dans les localités de l’Haryana qui avaient participé à de tels programmes, l’administration a sorti des taxes nouvelles. Finalement il reste seulement aux villageois 40 pour cent du produit de la vente de l’herbe bhabbar, un produit qui ne serait pas disponible sans leur travail.
Il faut changer nos lois afin que les gens puissent participer davantage à la gestion des ressources locales : terre, eau, forêt. On parle beaucoup des conséquences de la « libéralisation » sur la vie des pauvres, mais c’est surtout d’une véritable « libération » des pauvres qu’on devrait se soucier. Les morts de Dewas témoignent de l’urgence de la chose.
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, India
Texte traduit en français par Gildas Le Bihan et publié dans la revue Notre Terre n°7 - novembre 2001
Texte d’origine en anglais publié dans la revue Down To Earth : AGARWAL Anil, Callous forest law. Down To Earth vol. 10 n°2, Center for Science and Environment, 15 juin 2001 (INDE), p.4
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