Depuis trente ans, le développement de l’aquaculture a été remarquable en Asie (81 % de la production mondiale en 1989), surtout en Asie du Sud-Est. A l’origine, l’élevage de poissons et crustacés était destiné à l’alimentation propre des communautés locales. Il représente maintenant une importante industrie d’exportation. Encore marginale au début des années 1980, l’aquaculture comptait, à la fin de cette décennie, pour 15 % de la consommation mondiale de produits halieutiques. La production de crustacés a augmenté de 400 %. Ne plaisantant qu’à moitié, un biologiste, en Thaïlande, a affirmé qu’il était encore plus profitable d’investir son capital dans la crevette que dans la drogue ! L’aquaculture a ainsi été présentée comme un véritable modèle de développement.
Aujourd’hui cependant, ce secteur est en difficulté commerciale. Les techniques utilisées ont eu de graves conséquences environnementales. Pressés d’engranger des profits et pas toujours compétents dans la gestion des terroirs, les hommes d’affaires, pour passer à la grande production, ont saccagé mangroves et littoral. L’utilisation rationnelle des ressources naturelles n’est pas allée de pair avec la croissance économique ! La production commerciale des crevettes fournit maints exemples de ce qui peut arriver quand le secteur privé se développe plus vite que la réglementation et les contrôles.
Le cas thaïlandais
Le littoral thaï illustre la dynamique propre à ce type de colonisation aquacole, une dynamique que l’on retrouve dans d’autres pays d’Asie du Sud-Est comme l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines et, même, le Viêt-nam, sans parler de Taïwan qui a connu, à la fin des années 1980, un véritable désastre en ce domaine.
L’importance sociale et économique de l’aquaculture peut être mesurée, en Thaïlande, par le nombre de personnes directement employées dans ce secteur, à savoir 80 000 en 1990. Ce pays occupe une place dominante dans le marché mondial de la crevette (avec 118 000 tonnes soit environ trois milliards de francs). Mais les groupes « environnementalistes » et les secteurs sociaux affectés ont mis en lumière le revers de ce succès commercial : déforestation, salinisation et acidification des sols, pollution de l’eau destinée à la consommation ou à l’irrigation. La production de crevettes utilisant beaucoup d’intrants, elle est particulièrement dangereuse pour l’environnement. Or, elle occupe 98 % des zones côtières d’aquaculture thaï ! Les critiques sont devenues si virulentes que le gouvernement thaï a adopté deux lois pour la protection des forêts de mangrove, en 1987 et 1989. Un décret royal sur l’aquaculture littorale a aussi été promulgué en 1991.
L’aquaculture a d’abord été une production extensive, utilisant de vastes zones côtières. 84 000 ha de mangroves ont été ainsi détruits durant les années 1960-1970, réduisant d’autant la couverture forestière du pays, provoquant la raréfaction et la dégradation des niches écologiques des poissons et crustacés (les mangroves servent à la nidification de nombreuses espèces).
Durant une deuxième phase de croissance, en 1978-1987, l’aquaculture thaï est devenue intensive, profitant de financements bancaires et de transferts de technologie en provenance du Japon ou de Taïwan. Des multinationales, telles les américaines Aquastar et Unicord, la taïwanaise President Feed ou la japonaise Mitsubishi, et de grandes compagnies thaïlandaises, comme Charoen Prokphand, ont commencé à établir différents segments de cette filière : production industrielle des aliments pour l’élevage des crevettes, conditionnement et congélation des produits pour le marché mondial… En quelques années, la production a été multipliée par six.
Bien que ce mode de production intensif ait réduit le rythme de destruction des mangroves, la pollution reste un sérieux problème compte tenu des besoins nouveaux de l’élevage des crevettes en aliments industriels, produits vétérinaires et chimiques pour combattre les maladies et accélérer la croissance, ainsi qu’en fertilisants, en électricité, en eau, etc. A long terme, ces intrants ne polluent pas seulement les étangs, mais aussi les terrains environnants, voire la nappe phréatique et le plateau continental avoisinant.
Des problèmes sociaux sont aussi apparus. Les grandes entreprises se sont assuré un contrôle multiforme de ce secteur économique en vue, notamment, de dicter les prix. Elles ont ainsi placé les petites et moyennes entreprises en position vulnérable. Afin de réduire leurs propres investissements, elles se sont attaché des aquaculteurs individuels, soit en formant des coopératives sous contrats, soit en faisant de ces aquaculteurs des actionnaires de sociétés qu’elles créées à cette fin. Les grandes entreprises ont même usé de l’argument écologique, assurant qu’elles seules avaient les moyens financiers et techniques de préserver l’environnement.
C’est dans ce contexte que l’on peut comprendre les conflits sociaux de ces dernières années. Si le gouvernement thaï ne prend pas des mesures concrètes d’aide aux petits et moyens producteurs, afin qu’ils puissent répondre eux-mêmes aux normes sanitaires et environnementales comme à la pression du marché, ces derniers risquent d’être les victimes impuissantes de la concurrence exercée par les grandes compagnies.
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, South-east asia, Thailand
Biodiversité : le vivant en mouvement
Sources : 1.- A ne pas négliger : le facteur humain, par Peggy Polk (Cérès, n° 131, sept.-oct. 1991, p. 13-17). 2.- Aquaculture littorale et mobilisations environnementales en Thaïlande, par Jean-Yves Weigel (Revue Tiers-Monde, n° 134, avril-juin 1993, p. 385-403).
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