Le statut d’une coopérative peut-il être imposé à des travailleurs salariés ?
Appolinaire AHANZO, Christophe VADON
11 / 2001
M. Appolinaire Ahanzo explique ceci : " Il y a le volet social de la chose. Les travailleurs permanents sont en train d’exiger de nous la semaine de 4 jours de travail. Ils sont en train de préparer ceux que nous prenons occasionnellement et qui sont payés à la tâche à exiger la même chose. Ils exigent de nous leur déclaration pour la garantie de retraite. Voilà la situation. Cela ne nous gêne pas de déclarer les gens mais si on les déclare, il faut que nous puissions leur garantir l’emploi et être prêt à supporter la concurrence. Il nous faut travailler chaque jour sur la qualité et sur l’hygiène.
Les gens sont aveuglés par l’idée de droit et ce qu’ils doivent faire pour rentrer dans leur propre droit. Ils ne cherchent pas, ils se disent : " je suis travailleur, j’ai droit à ... ". Je dis que pour une entreprise ça ce n’est pas possible, car c’est ce qui est fabriqué qui doit ramener de l’argent pour que nous puissions mettre le travailleur dans ses droits. Mais le travail est là, ils le laissent et réclament de l’argent.
Nous sommes dans le monde des affaires. Lorsque les droits sont revendiqués, il faut pouvoir obtenir les moyens qui pourront permettre de donner satisfaction aux revendications. Or nous n’avons pas encore de bénéfices aujourd’hui. Les bilans annuels sont négatifs.
Les Européens ne sont pas là pour nous aider à tout moment. Eux aussi ils se battent dans le grand froid pour avoir de l’argent à nous envoyer. Pour certains Béninois nos voyages en Europe sont des voyages d’agrément. Ils ne savent pas que nous faisons un travail de recherche de solutions (techniques et de marchés).
Ainsi, nous avons rédigé avec notre partenaire ATD-France, depuis la France un projet de statut de coopérative et un règlement intérieur. Mais arrivé ici, quelqu’un de l’atelier m’a dit : "C’est un document rédigé de l’extérieur". J’ai répondu sans trop me fâcher : "C’est avec l’argent de l’extérieur qu’on vous a formés, qu’on a construit tout ce qu’il y a ici. Et malgré que vous avez passé 35, sans travail ni formation, on vous a dit de venir travailler ici sans que vous ne déposiez un franc. L’idée était là et vous n’avez pas fait l’avant projet, vous n’avez pas cherché de document à nous soumettre. C’est nous qui avons cherché le document de statut d’une coopérative que nous avons envoyé en France et là bas ils ont travaillé sur ça".
Nous disons " coopérative " mais les employés qui sont les membres n’ont pas un franc à verser. Nous aurons des décisions à faire pour définir des parts et comment faire effectivement pour que le travail puisse permettre à chacun d’être en droit légalement membre de la coopérative et décideur aussi.
C’est pour eux qu’on a créé le centre. Lorsque nous recrutons, nous les envoyons pour des analyses au centre de santé et nous payons tous les frais. Alors que normalement lorsqu’on est candidat, on doit constituer soi-même un dossier avec un certificat médical.
Les petits problèmes que nous avons c’est avec les travailleurs hommes. Ainsi avant hier on a fait une réunion pour exposer les choses. Alors une femme a dit qu’il faut que le responsable évite de nous opposer avec ceux qui dirigent le centre (ma femme et moi) parce qu’en notre absence, celui-ci a l’habitude de dire qu’il manque de travailleurs que c’est le président qui ne veut pas recruter. Nous avons recruté du personnel mais il y a deux qui ont abandonné. Chaque fois qu’on recrute et que les gens gagnent un peu d’argent, ils vont ailleurs.
Il y en a qui ont dit qu’ils allaient abandonner parce que certains prennent l’argent et font du mauvais travail. J’ai répondu que si chacun d’eux se présentait chaque jour au lieu du travail, il y aurait beaucoup plus de sérieux. La discussion a pris une certaine allure et avec ma femme nous avons décidé de nous retirer pour leur permettre d’évoluer. Ensuite nous sommes revenus et on leur a soumis autre chose : "Entre vous, qui va prendre le devant de la coopérative ?" Mais on sait qu’ils ne peuvent pas gérer la coopérative. Car lorsque vous regroupez des hommes, pour donner des consignes ou des ordres ce n’est pas facile. La semaine passée, il est resté des ananas le vendredi et le samedi car ils ne veulent pas les traiter parce que tout le monde, ailleurs, est au repos. Et je donne des instructions à savoir : " il faut éplucher ça sinon à partir de la semaine prochaine je ne commande plus d’ananas. " Rapidement deux femmes qu’on employait occasionnellement sont venues travailler. Mais les hommes permanents, eux, réclament le repos. J’ai eu l’idée de former deux groupes parce que nous avons beaucoup de demande. Les sécheurs avaient déjà parlé de cette idée d’équipe. Quand j’ai proposé cela les gens ont refusé sous prétexte qu’ils ne gagneront pas grand chose. C’est cet esprit-là que nous cherchons à combattre. Mais dans le même temps de France, M. Kakpo nous dit qu’il faut reconnaître les droits des travailleurs !
Nous, on pourrait nous imposer et dire : "nous avons fondé la coopérative et ceux qui veulent être membres nous allons les nommer à tels postes." Nous avons dit non, il faut qu’on travaille pour se comprendre et que chacun adhère. Mais, c’est cette compréhension que les gens ne veulent pas.
Pourquoi ne pas en faire une entreprise privée ? Pour cela, il faudrait que nous-mêmes nous puissions nous détacher ou au moins un d’entre nous de la fonction publique pour pouvoir suivre l’entreprise. Je préfère dynamiser. Si je reste sur place, des gens vont fuir le boulot. Pourtant il faut que le travailleur puisse mériter ce qu’on lui paie ! Et il y a le caractère bénévole de ce que nous sommes en train de faire, mon épouse et moi. Ce que nous recevons comme " prime " par ATD France n’a pas la valeur du salaire que mon épouse gagne ailleurs. Nous utilisons tout notre temps de repos et même la nuit jusqu’à une heure du matin. Mais les travailleurs nous disent : " Nous voulons un gérant et une aide comptable, et tout et tout " !
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, Benin, France, Abomey, Annemasse
Un statut de coopérative paraît commode et plaît à ceux qui apportent de l’aide mais est-il raisonnable de nommer membres de la coopérative des salariés qui n’ont ni réfléchi, ni investi, ni risqué pour fonder ? Et comment devient-on un salarié sur lequel on puisse compter ?
M. AHANZO est professeur de lettres, et depuis 1984, en poste de surveillant général chargé de l’ordre et de la discipline au lycée d’Abomey. Il est engagé dans le développement communautaire depuis 1981 a lancé une coopération scolaire au sein de son lycée en 1989 et cette entreprise d’ananas séchés en 1995.
Entretien avec AHANZO, Appolinaire, à Abomey en 2002
Interview
VADON, Christophe ; GUERIN, Jérémie
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