Utilité de l’expérience acquise dans un groupe pour un individu.
2002
Julien BADJI, paysan casamançais, explique : " L’AMICAR est une organisation de producteurs agricoles (agriculteurs, éleveurs, pêcheurs et artisans) et de gens de métiers (hommes, femmes et jeunes) qui évoluent dans l’espace rural du département de Bignona dans la région de Ziguinchor (Casamance naturelle).
Cette association paysanne de développement est née de l’initiative des jeunes ruraux formés au CARA Affiniam (Centre d’Animation Rurale d’Affiniam), actuel CPRA (Centre de Promotion Rurale d’Affiniam) dans les années 70-80. Au retour dans leur village d’origine, ils ont voulu garder les liens communs "d’anciens du CARA", des liens de solidarité et des liens de partage des succès et des échecs de l’aventure du chemin de retour au village.
A l’origine AMICAR s’intitulait "Amicale des Centres des Animateurs Ruraux de Bignona" et le fondement de l’action associative mettait l’accent sur les actions des centres CARA installés dans les villages d’origine des jeunes ruraux ayant séjourné à Affiniam.
Le congrès de l’association tenu à Dianky en 1986 a permis aux acteurs fondateurs de l’AMICAR de réadapter les fondements de l’association aux réalités socio-culturelles des milieux et d’intégrer dans l’association la composante femme (celle des groupements de promotion féminine) et la classe d’âge des vieux qui s’adonnent à des activités de production agricole et artisanale, autre que le maraîchage et l’arboriculture fruitière que pratiquaient les jeunes ruraux de retour au terroir village.
Le congrès de janvier 99, à Djatok, a eu lieu suite à de longs processus de réorganisation et de relance de l’association qui comprend des groupements de jeunes ruraux, des groupements de femmes et des groupements villageois de 7 villages qui font partie de deux communautés rurales (Suelle et Djibidione). On comptait, en 1999, 800 membres dont les 2/3 étaient des jeunes.
Le groupe constitue une base d’échange. Il a existé depuis longtemps dans les villages et il ne faut pas le détruire. Il est considéré comme une école de formation de la vie, du travail. Mais s’il faut s’arrêter seulement aux groupes, les individus ne vont pas exister et ne vont pas s’épanouir. Et si le groupe ne constitue pas un espace d’épanouissement, les individus vont le quitter. Il faut donc concevoir de nouveaux groupes, comme des groupes d’écoles.
Le groupe que nous avons constitué à DJATOK s’appelle le CAR (Centre d’Animation Rurale) et ce sont des jeunes qui ont été au CFA (Centre de Formation en Animation) d’Affiniam. Au niveau d’AMICAR, tous les groupes ont été conçus de la même façon : un puits, un forage, un périmètre de 2 à 4 hectares, des parcelles individuelles où les jeunes travaillent. Mais ce qu’on a constaté, de 1981 jusqu’à maintenant, c’est que les membres aspirent chacun à pouvoir vraiment vivre de leur travail. Par exemple, le groupe de DJATOK, après 7 ans d’installation, a eu l’opportunité de bénéficier du crédit de la CNCAS (Caisse Nationale de Crédit Agricole du Sénégal) par le biais du projet DERBAC. Ils ont dit au groupe : "Vous prenez x millions ; vous allez prendre ces x millions, les partager et installer des activités individuelles." Le groupe avait déjà occupé 2 hectares qui étaient en production, alors il avait comme garantie de ce prêt l’exploitation commune de ces 2 hectares.
Les jeunes membres des groupes sont retournés dans les familles et ont demandé à papa et à maman où est ce qu’ils pouvaient s’installer individuellement. La famille était vraiment surprise d’entendre que les jeunes demandaient à exploiter un terrain. Alors les parents ont donné des parcelles aux jeunes qui y ont installé chacun leurs activités. On constate maintenant que les familles contribuent beaucoup plus. Comme ils se sont installés individuellement dans les terres de leur père, la question de l’héritage, la question du suivi de ces activités, se démontre beaucoup plus dans les terres affectées à ces jeunes. Là où ils sont propriétaires, les vieux s’investissent plus. C’est comme si on se mettait ensemble pour construire une maison.
On a remarqué que maintenant ces jeunes des groupes se sont un peu essaimés, nous on appelle ça l’essaimage, c’est comme une ruche qui à un certain moment éclate, et les familles les aident pour construire quelque chose. On a vu des gens qui ont reçu spontanément l’aide de leur famille, l’aide qu’ils n’avaient jamais reçu quand ils étaient dans le groupe. Les familles ont vu que les groupes n’étaient pas des organisations durables, qu’ils n’allaient pas rester ensemble planter des arbres. Une fois morts, vos enfants auront du mal à partager les arbres que vous avez plantés en groupe. Toute la gestion d’héritage se pose. Donc, de ce côté-là, les jeunes ont présentement une expérience à faire valoir. Et aujourd’hui ils démontrent qu’ils sont capables. Mais ils sont passés par le groupe qui est une école. C’est encore le groupe qui est propriétaire des arbres fruitiers.
En partant du groupe, ils n’ont pas laissé un vide parce que d’autres sont venus prendre leur place, surtout dans les parcelles où il y a possibilité de faire du maraîchage. Ils ont commencé à semer, à faire du maraîchage avec l’aide des anciens du groupe qui les ont encadrés. Ils ont inspiré d’autres jeunes qui les ont rejoints donc je pense que cette expérience est à faire valoir. "
countrymen’s organization, young person, local development, history, land ownership management
, Senegal, Bignona
Cette fiche décrit l’évolution d’une association de jeunes ruraux qui s’est élargit aux femmes et rayonne désormais sur plusieurs villages. Notre interlocuteur parle de l’utilité des groupes qui exploitaient collectivement et de la tendance récente à appuyer les individus. Une tendance bien acceptée par les chefs de famille qui gèrent leurs terres désormais améliorées par les champs individuels des jeunes.
Voir les fiches extraites de la même interview. Entretien mené par Benoît Lecomte en mars 1999.
Entretien avec BADJI Julien, réalisé à Bignona en mars 1999.
Interview
LECOMTE Benoît
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