L’opinion d’un responsable d’association (ASSY, Ouahigouya, Burkina Faso)
Baba OUEDRAOGO, Christophe VADON
07 / 1998
Baba Ouedraogo, responsable de l’Association pour la Survie dans le Sahel au Yatenga (ASSY) explique ce qu’il pense de la relation avec les organismes d’aide extérieure.
"1/ Quand on a commencé l’ASSY en 1993-94, on a refusé tout financement. On voulait d’abord éprouver notre propre force, notre propre capacité. Nous ne voulons pas être une association qui fait d’abord un projet, le rédige, puis va chercher l’argent et ensuite se constitue, car cette association n’aura pas de fondement. Ces associations-là vont être manipulées par les bailleurs. Elles vivent des bailleurs de fonds. C’est vrai qu’on voit parfois des groupements et dans leur propre local il est marqué "projet PNUD" ou "projet X, Y, Z". Peut-être que j’ai tort, mais entre les bailleurs de fonds, peut-être il y a une concurrence, peut-être qu’ils sont en compétition ? Cela ne libère pas les bénéficiaires. C’est pourquoi le remboursement de crédit est boycotté aujourd’hui, les emprunteurs pensent : "Cela n’a aucune importance si je reçois cet argent et que je ne le rembourse pas; c’est l’argent des blancs". Celui qui emprunte un crédit ne le voit pas comme son argent. Et il espère qu’il pourra emprunter ailleurs et ainsi de suite.
2/ Et puis, parmi les responsables d’associations aujourd’hui, il y a des "promoteurs" qui soumettent des projets sans même connaître ce que c’est. Ils viennent, par exemple, demander une copie d’un projet (d’une association) pour pouvoir le soumettre eux-mêmes, sans même l’avoir étudié. J’ai déjà eu des gens qui viennent me demander : "Donne-moi un projet. Est-ce que tu as un exemplaire du projet" disent-ils. Ils veulent seulement changer l’entête, changer le nom de l’association, changer le lieu et puis le soumettre à un bailleur de fonds. Eux, ils ne pensent pas jour et nuit à leur projet !!
Et puis, on attend ! Par exemple on avait soumis une demande au Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM). On a appris que le projet avait été accepté par la 1ère commission; la 2ème commission devait venir sur le terrain constater. On a su cela au début de 1996 et depuis ce temps-là, rien. Eux nous disent : "On n’a pas de fonds pour aller sur le terrain". J’avais pensé soumettre la même demande à d’autres, mais je me dis que ce n’est pas une bonne idée et donc je continue à attendre leur réponse. Et on continue à faire le travail avec les moyens de base : les nôtres. Ce n’est pas énorme, mais c’est pas très pressé. C’était pour une régénération de végétaux. Nous voulions obtenir un peu de matériel pour les familles. Or, l’essentiel ce n’est pas le matériel ni tout ce qui est "visible".
3/ Celui qui dit que l’aide c’est seulement les puits et les réalisations et qui n’appelle pas "aide" la formation ou les échanges, je crois - hélas - qu’il a raison (ou, du moins, qu’il a bien observé !). Prenons un exemple, celui du Service Allemand du Développement : ils ont un programme "micro-réalisations". Ils refusent de financer des projets qui ne sont pas observables; alors celui qui dit que la formation n’est pas de l’aide a en partie raison parce qu’il voit que l’aide ne s’intéresse qu’à ce qui est visible. C’est philosophique. Si on te donne l’argent pour la formation, tu manges, tu dors, tu travailles; mais quand la formation est finie ? On ne parlera pas de la formation, on va parler du puits, du barrage, du moulin, des diguettes. Et on va tous oublier que pour faire les diguettes, il faut de la formation. Alors peut-être qu’ils pensent que la formation ce n’est pas de l’aide ! Alors c’est quoi ? Il faut développer une expression pour cela et pour moi, je pense que le bon mot est "assistance technique" qui est une autre forme d’aide. Et ce n’est pas obligé que cela soit colonial. Non ! L’assistance technique n’amène pas seulement une technique. Le GRAD, il nous a envoyés en voyage d’études au Niger. J’y suis allé, j’ai rencontré des gens, j’ai discuté de l’assistance technique qu’il m’a apportée. Et le GRAD lui-même n’est pas venu à cette rencontre ! Il nous a laissé travailler entre nous. Tout ce qui est organisation des échanges, etc. j’appelle cela "assistance technique".
4/ Enfin, j’ai peur ! Toutes les grandes organisations paysannes ont démarré doucement et avec leurs propres moyens. Et puis quand elles ont grossi, elles ont dérapé. Et je me dis : j’ai une petite organisation, qu’est-ce qui va se passer ?" Est-ce qu’il faut donc rester sans moyens pour garder les mêmes objectifs ? Est-ce que si l’ASSY un jour a des moyens, est-ce que moi-même je ne vais pas changer ?
Pour éviter cela, il faut que l’aide ne vienne que progressivement et qu’elle soit toujours appelée par les besoins. Je me rappelle que certaines aides téléphonaient pour dire : "J’ai un reliquat de ceci, de cela; est-ce que vous pouvez le prendre ?" Ce sont alors des dons qui ne viennent pas appelés par des besoins; ce sont des dons tombés du ciel. On reçoit cela, on ne sait pas trop quoi en faire et alors on fait n’importe quoi. C’est dangereux à garder. Si on demande l’aide, c’est pour débloquer une situation, pour réaliser ton initiative".
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, Burkina Faso, Yatenga
Un texte impressionnant de lucidité : le responsable d’une nouvelle association ne se satisfait pas des vices des groupements paysans et de leur structure faîtière mais il s’inquiète déjà de la dérive possible - sous l’effet de l’aide en particulier - de l’association qu’il anime et a créé avec d’autres.
Entretien réalisé par Christophe Vadon avec Baba Ouedraogo, janvier 1998 à Ouahigouya.
Les fiches DPH préparées par l’équipe du GRAD à partir d’interviews auprès de responsables d’organisations paysannes en zone sahélienne, sans cesse renouvelées depuis 1995, sont un instrument commode pour suivre la progression du monde rural de cette région.
Entretien avec OUEDRAOGO, Baba en janvier 1998 à Ouahigouya
Interview
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