Pour assurer la sécurité alimentaire du pays, faut-il ne plus compter sur les paysans ? (FENOP, Burkina Faso)
Ousseiny OUEDRAOGO, Christophe VADON
07 / 1998
Ousseiny Ouedraogo, permanent de la FENOP (Fédération Nationale des Organisations Paysannes ) explique ceci :
"J’ai suivi ma formation d’agronome à Ouagadougou. J’ai des collègues qui travaillent dans l’administration, mais quand je discute avec eux, il m’arrive de m’asseoir et de me dire : "S’il a raison, c’est que je suis franchement à côté", tellement nos visions sont opposées maintenant.
Prenons la production agricole, comment faire pour arriver à une sécurité alimentaire durable ? Des agronomes responsables de services publics du développement rural sont convaincus qu’il faut suivre désormais une autre voie. "On a travaillé pendant 30 ou 40 ans avec des paysans, disent-ils, et ce n’est pas avec eux qu’on va arriver à l’autosuffisance et à la sécurité alimentaire". Il y a eu une volonté politique, au niveau national, de grands aménagements pour la production rizicole et une politique de pousser les gens vers la production de coton, en se disant que le coton sera le moteur de la culture céréalière. A partir du coton, on a introduit des nouvelles technologies (des charrues, des motoculteurs et des engrais chimiques) qui sont aussi utilisées pour les cultures céréalières. Plusieurs années après, on constate l’échec. La conclusion tirée par des techniciens de l’Etat, c’est : " Avec ces paysans-là, on ne va pas réussir". Ils veulent trouver d’autres formules : mobiliser des nationaux ou des étrangers qui veulent investir dans l’agriculture, leur donner des superficies importantes, faciliter l’accès au crédit à ces gens-là et puis trouver un cadre juridique institutionnel favorable à l’agro-business. Beaucoup, depuis des ministres jusqu’aux techniciens du bas de l’échelle, pensent comme cela. J’ai souvent eu des discussions avec des collègues qui sont dans l’administration pour lesquels c’est la seule voie maintenant.
Or, regardons ce que l’on faisait et essayons de revoir les choses : par exemple, pour la mise en valeur d’une plaine irriguée, depuis la conception jusqu’à la réalisation de l’ouvrage, les paysans ne sont pas contactés. Un projet d’aide extérieure construit et termine tout. Après, on vient dire aux paysans : "On vous amène dans une plaine aménagée ; voilà ce que vous allez faire", et même la semence, on la leur donne. Ils n’ont même pas le choix ! Et puis, l’ouvrage a coûté tant, donc le prix de la redevance annuelle à payer par l’exploitant, c’est tant. En plus, quand il y a un ouvrage, il se construit sur le périmètre et même des villas s’y construisent ! Ce sont les paysans qui vont payer cela. Rares sont les ouvrages agricoles au Burkina Faso où on aménage la superficie à irriguer de 50 ha et où on arrive à cultiver 50 ha irrigués. Chaque fois, si 50 ha ont été aménagés, on arrive à irriguer 25, 30, 40 mais le coût de l’ouvrage est pour 50 ha, et celui qui exploite va payer même la partie qui n’est pas exploitable. Est-ce que les gens des projets ont regardé cela ? Autre contradiction : on dit qu’il n’y a pas suffisamment d’argent pour l’encadrement de tel périmètre irrigué et tant que ces gens ne sont pas assez encadrés, rien ne marchera.
Il n’y a pas de paysan alors qui ose leur dire : "Non, nous on pense que cela doit être comme cela" car on peut t’enlever de la plaine et y mettre quelqu’un d’autre. C’est l’encadrement qui décide. Franchement, est-ce qu’avec cela on peut arriver à une sécurité alimentaire durable ? Si je suis producteur, je n’ai pas le choix, je ne peux même pas dire "je vais produire ceci ou cela".
Quant aux organisations des producteurs, l’administration veut la mainmise dessus ; souvent, c’est elle qui a placé le président et les membres du conseil d’administration. Ou pire, on va pousser les autres à t’enlever alors que tu es responsable en disant : "C’est un fainéant, il bouffe l’argent".
Actuellement, on nous dit : "Le Président de la République est en tournée, par exemple en Inde, il y a là-bas des choses importantes qu’il voit. Alors, on a pris la décision de faire venir des paysans indiens et de les installer sur nos plaines ; ils seraient un exemple pour les paysans burkinabés, il y aura un effet tâche d’huile. Ils vont amener des semences de qualité". Je dis que décider comme cela est grave ; si c’est la semence, il y a l’INRA qui est ici. C’est elle qui est responsable de cela ... Commençons par fermer l’INRA dans ce cas ! Si c’est les paysans indiens qui vont amener la semence de qualité, on doit se poser la question : "Vous payez combien de chercheurs ici ? Il y a combien d’employés au niveau du service de la vulgarisation agricole ? Il y a combien de structures qui travaillent dans la recherche, la multiplication et la vulgarisation des semences ?" Et ce sont les paysans indiens qui vont amener les semences qu’il faut au Burkina Faso pour réussir l’autosuffisance alimentaire durable ? Et on dit "Voilà eux là-bas, ils utilisent une technologie simple et efficace et produisent vraiment bien". Alors, ce ne sont pas des paysans indiens seulement qu’on doit amener ... C’est tout un bloc, car les paysans indiens là-bas sont soutenus par une politique agricole efficace. Donc, si on doit amener des paysans indiens ici pour qu’ils donnent des leçons, on n’a qu’à amener aussi le ministre indien de l’agriculture pour donner des leçons ! Si les paysans indiens étaient dans le contexte politique d’ici, peut-être ne pourraient-ils pas produire comme cela ? C’est tout un contexte à changer".
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, Burkina Faso, Ouagadougou
Sans même tenir compte du fait que l’autosuffisance alimentaire du Burkina Faso est satisfaisante (sauf sécheresse exceptionnelle), des techniciens et des politiciens estiment "qu’avec ces paysans-là, on ne peut pas réussir". Et ils cherchent du côté des investisseurs privés et modèles étrangers, sans rien faire pour que la politique agricole et la politique de consommation du Burkina soit, au préalable, changée. Un texte clair et bien argumenté sur l’illusion technocratique d’un Sahel qui se développerait par l’élimination de ses paysans.
En 1998, le président de cette organisation était Pierre BICABA.
Entretien réalisé par Christophe Vadon auprès de Ousseiny Ouedraogo à Ouagadougou en janvier 1998
Les fiches DPH préparées par l’équipe du GRAD à partir d’interviews auprès de responsables d’organisations paysannes en zone sahélienne, sans cesse renouvelées depuis 1995, sont un instrument commode pour suivre la progression du monde rural de cette région.
Entretien avec OUEDRAOGO, Ousseiny, réalisé à Ouagadougou en janvier 1998
Interview
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