Réflexions à partir de l’expérience d’EMT, institution cambodgienne de microfinance
03 / 2002
Ce document éclaire sur le transfert d’un projet de développement à une institution grâce à l’analyse d’EMT, organisme cambodgien de microfinance. Rappelant qu’une société de microfinancement se doit de devenir pérenne et de se transformer en institution, ce texte insiste sur les repères indispensables au montage d’une telle opération.
Ce texte pose la question de savoir si l’institutionnalisation est une façon cohérente d’assurer la pérennité de ce type de programme de développement. Force est de constater qu’outre la cohérence institutionnelle, deux facteurs servent de repères à la solvabilité d’une telle organisation : une bonne capacité organisationnelle et une pérennité financière. Il est en outre évident que le passage d’un projet de développement à une institution suppose une restructuration quelque peu difficile. La mutation implique en effet que l’on passe d’une simple structure de ressources humaines ayant pour principal objectif une productivité immédiate, à une structure institutionnelle plus évoluée, basée notamment sur une politique de développement durable et une équipe de direction complexe, composée d’un conseil d’administration et d’une assemblée générale des associés. Le conseil d’administration a alors pour fonction de poser les structures de l’organisation, de gérer et contrôler les activités; contraignant la direction locale à " partager " sa fonction. Devant ces transformations " sociales " seule une bonne entente entre l’équipe locale et la nouvelle direction peut assurer la réussite de l’institutionnalisation. Le passage à une institution suppose enfin que des moyens importants soient déployés pour que l’équipe locale s’adapte à sa nouvelle institution; une donnée non-négligeable puisqu’elle suppose que l’on dispose de davantage de temps et donc aussi d’argent.
L’exemple de l’EMT est significatif de ce type de gestation, longue et coûteuse. Débutant dans le cadre d’une convention d’opérateur avec le Ministère de l’agriculture, sur financement principalement de l’UNICEF, le Gret se trouve en effet en 1995, en présence d’un projet présentant de bons résultats, et placé face à l’institutionnalisation comme nouvel enjeu. En effet, pour poursuivre son développement, le projet crédit ne pouvant plus compter sur des dotations de capital des bailleurs de fonds, doit définir les bases de sa capacité future à emprunter. Au projet GRET-MINAGRI succède " Ennatien Moulethan Tchonnebat " (EMT) qui signifie en français " crédit rural local ". Pour entamer le processus de partenariat, le Gret travailla à la consolidation de ses rapports avec son équipe locale; considérant la qualité relationnelle comme un critère primordial de succès pour une telle opération. Cette qualité relationnelle assurée, le processus de développement " social " commença à avancer de façon progressive en 1997, sous l’assistance technique de l’opérateur externe et la volonté de l’équipe locale. Cette avancée connut trois phases : une première, fondée sur l’analyse des causes de la transformation des projets en institution locale. Une deuxième, axée sur un audit de l’organisation interne. Celle-ci réunit trois personnes issues des trois " clans " de travail (équipe externe, ancienne équipe locale et nouvelle équipe locale). Aussi, le travail et la bonne entente au sein de ce groupe ont soudé la " famille " et facilité la création d’un nouvel organigramme qui servit de base concrète au futur partenariat. Ce travail sur l’institutionnalisation qui définit notamment les conditions du départ de l’assistance technique dès lors que l’institution serait créée ne fut pas poursuivi de façon claire, c’est-à-dire sous la forme d’un contrat régissant le partage des rôles de chacun. Ne bénéficiant d’aucune référence méthodologique, la mise en place de cet accord et son application ont abouti à un statu quo du processus d’institutionnalisation. Il aurait sûrement été préférable de rédiger un texte qui aurait été revu six mois plus tard en fonction de l’évolution des actions et des prises de responsabilités de chacun. Ce travail permit néanmoins en 1998 à la direction d’EMT de présenter une nouvelle équipe ainsi que de changer de local en abandonnant celui du ministère de l’Agriculture. Mais le processus de développement vers une institution ne fut pas pour autant scellé; et, de nombreuses étapes restent à franchir.
Il ressort en effet, à la lumière de cette étude, que pour faire avancer le processus d’institutionnalisation d’EMT, l’équipe locale doit adopter des attitudes partiellement étrangères à la culture cambodgienne : La culture d’entreprise est une notion peu familière aux Cambodgiens ; en termes de " savoir être ", ils sont marqués par le communisme sont restés méfiants les uns à l’égard des autres. Le " savoir faire " requiert une capacité d’analyse suffisamment élevée pour gérer une institution et prendre des décisions; or, les difficultés actuelles à analyser certains dossiers prouvent les limites actuelles des employés locaux sur ce plan. Le " savoir interagir " relève de la faculté à communiquer, diriger et négocier. Il est à remarquer que l’assistance technique a également le devoir d’adopter de nouvelles aptitudes pour débloquer le processus d’institutionnalisation, telle que la capacité d’écoute et d’échange pour ne plus agir et diriger mais bien plus, pour conseiller et former l’équipe locale.
Pour conclure, rappelons qu’EMT est prometteuse, qu’elle est dotée d’une bonne image, qu’elle conseille parfois les banques et que l’établissement d’un classement juridique a sans doute favorisé sa troisième place en termes de clientèle. Cependant, et bien que sa pérennité financière soit en bonne voie, l’impact du désengagement progressif de l’assistance technique reste inconnu. Par ailleurs, si la forme institutionnelle d’EMT est trouvée, sa communication externe et son incapacité à recourir à des sources de financements nouvelles restent des handicaps majeurs. La faiblesse, pour finir, de ses ressources humaines, constitue sa plus grande difficulté. Il est en effet peu aisé de préparer l’organisation de demain avec une équipe incapable de mesurer les tenants et aboutissants de ce type de projection. A la lumière de la problématique soulevée par cet exemple, il faut reconnaître que la mise en place d’une méthodologie d’institutionnalisation s’impose aujourd’hui.
rural credit, financial system, rural development
, Cambodia
Internal document
GAUTHIER, Nathalie, Gret, Direction scientifique, Construire une capacité locale de management : une dimension essentielle de la transformation d'un projet en institution, Gret , 1999/07 (france), Document de travail n°8, 40
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