11 / 2002
L’institut d’Etudes sur la Mondialisation, IPROG, a été créé en 1999 par Mikhaïl Deliaguine, ancien ministre d’Alekseï Kossyguine (proche de Leonid Brejnev) sous le régime soviétique du parti communiste unique. L’IPROG est donc apparu à la fin des années 90 dans un contexte de développement sauvage et non contrôlé du capitalisme en Russie, plus communément dénommé mafia. Boris Kagarlitsky en est devenu le directeur à l’année 2000.
L’IPROG est un institut de recherche indépendant dont la mission principale est de proposer des analyses politiques et économiques sur les effets actuels de la mondialisation en Russie et de diffuser ces informations au moyen d’une revue d’opinion, Global Alternative (L’Alternative Mondiale), accessible exclusivement sur Internet. L’institut publie également une revue spécialisée en sciences sociales, Logus, où interviennent essentiellement des chercheurs. L’objectif de cet institut est donc avant tout politique : il s’agit de proposer une réflexion sur des alternatives à l’économie de marché en Russie dont la particularité actuelle est de se développer en partie en marge du contrôle de l’Etat et ce, de manière très rapide. D’autre part, les conséquences sociales d’un tel développement conjuguées à l’absence de l’autorité étatique et à la faiblesse des moyens débloqués, sont particulièrement désastreuses : salaires impayés, retraites très faibles, usines en faillite, délitement des services publiques autrefois réputés à l’époque de l’Union soviétique, etc.
Ainsi, l’IPROG s’inscrit dans une démarche politique militante anti-libérale de gauche et s’apparente davantage à un groupe de réflexion, un "think-tank", réunissant chercheurs et personnalités politiques ou journalistiques de divers mouvements de gauche, souvent des mouvements anarchistes. Il s’agit de structurer les différents courants de gauche contestataires anti-autoritaristes, anti-capitalistes et internationalistes de Russie mais également de Biélorussie et d’Ukraine autour d’une ligne et de slogans politiques communs.
Cette démarche vise à jeter les bases d’un mouvement internationaliste dépassant la frontière de la Russie et intégrant d’autres pays de l’ancienne Union soviétique. Beaucoup de ces mouvements anarchistes, dont Attac Russie par exemple (mouvement Attac pour la taxation des transactions commerciales né en France), sont aussi des mouvements pacifistes opposés notamment à la guerre en Tchétchénie et à l’intervention de l’armée russe dans cette partie de la fédération de Russie.
L’IPROG diffuse ses idées sous formes d’articles et d’analyses auprès de la presse et d’autres laboratoires de recherche et experts indépendants tandis que son principal outil de travail reste l’Internet ; l’IPROG se définit avant tout comme une organisation en réseau. L’organisation possède une antenne à Saint-Pétersbourg et développe ainsi des contacts avec d’autres mouvements de contestation anti-mondialistes comme par exemple Attac Finlande en Finlande, avec le groupement anarchiste Navinki en Biélorussie, avec l’Ukraine dans la région de Kharkov.
Les moyens d’actions de l’institut sont, outre la publication (et la traduction de ces publications), l’organisation de rencontres soit sous forme de conférences ou réunions de groupe de travail réunissant chercheurs, journalistes et acteurs de la vie publique, soit sous forme de séminaires de formation pour fonctionnaires nationaux ou encore sous forme de camps de jeunesse. Ainsi, l’IPROG a pu organiser, en partenariat avec Attac Finlande une conférence sur les alternatives au libéralisme au début de l’année 2002 à Helsinki. L’institut travaille également à la création à Moscou d’un groupe de réflexion sur le conflit israélo-palestinien ou encore sur un projet de mise en place de séminaires de formation pour les organisations syndicales biélorusses. D’autres projets de conférence sont en discussion avec Attac Finlande, notamment sur le rôle des sociétés de l’information. Un projet de traduction du journal Logus, en anglais et en biélorusse est également à l’étude comme un projet de publications et de traduction conjointes avec le mouvement anarchiste biélorusse Navinki. Ce dernier se voit forcé d’éditer son propre organe de presse dans la clandestinité étant donné que le régime actuel du président biélorusse Loukachenko remet sérieusement en cause la liberté d’expression dans ce pays.
Par conséquent, l’objectif de l’IPROG n’est pas seulement d’impulser un débat d’idée sur le libéralisme économique en Russie mais également de s’inscrire dans un mouvement mondial en développant des thèmes qui ont une résonance internationale en l’occurrence comme la mondialisation, la guerre en Tchétchénie ou le conflit israélo-palestinien.
Cependant, les moyens d’actions de l’institut restent relativement limités. De création récente, il ne bénéficie pour l’instant que du soutien financier d’Attac Finlande par l’intermédiaire du ministre des Affaires étrangères finlandais, membre d’Attac. Par ailleurs, les moyens matériels de l’institut sont plutôt restreints : il dispose d’un local deux pièces, d’un ordinateur et d’un seul employé faiblement rémunéré. L’IPROG reste une organisation naissante dont le souci premier est de s’institutionnaliser et d’asseoir sa manne financière. Malgré un net durcissement du contrôle des autorités russes sur la liberté d’expression touchant principalement les media et les mouvements d’opposition, l’IPROG ne subit pour l’instant aucune pression politique de la part du gouvernement étant donné que son activité semble peu remarquée et médiatisée.
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, Russia
Boris Kagarlitsky, directeur de l’IPROG, est également journaliste au Moscow Times, association de journaux russes indépendants qui publie un hebdomadaire du même nom en langue anglaise. La création de l’Institut d’Etudes sur la Mondialisation démontre l’existence d’une prise de conscience nouvelle d’une certaine élite politique en Russie : celle des méfaits du libéralisme économique comme phénomène commun à un certain nombre de pays, voire à tous les pays, englobant la fédération russe. En ce sens, c’est reconnaître l’appartenance de la Russie à une communauté de pays élargie dépassant les frontières traditionnelles de l’ancien espace soviétique. Cette démarche et disposition d’esprit s’inscrivent tout à fait en rupture avec les idées défendues par les partis politiques russes traditionnels, avec la façon même de faire de la politique en Russie. Cela montre à quel point la Russie continue de s’ouvrir à l’Ouest et au reste du monde et semble de plus en plus capable d’intégrer des problématiques mondiales, plus seulement à l’échelle de l’Etat mais désormais à l’échelle de la société civile.
Cependant, l’on peut à juste titre se poser la question du sens donné au terme de mondialisation, si tant est que chaque mouvement de contestation lui attribue le même sens. Qu’est-ce que les Russes et Boris Kagarlitsky en l’occurrence entendent par mondialisation et ses manifestations dans leur société ? En effet, le système capitaliste russe ressemble davantage à un système oligarchique verrouillé, bien moins ouvert aux capitaux étrangers que les systèmes occidentaux, pourtant également monopolistiques. D’autres caractéristiques différencient singulièrement le système économique russe de ces systèmes. Que les Russes proposent-ils comme alternatives à ce phénomène au regard des expériences de gestion politiques du pays et de son histoire ? Plus largement, le mouvement anti-mondialisation n’est-il pas propre aux sociétés occidentales à économie de marché ? La Russie, nouvel acteur dans ce mouvement, participe de l’enrichissement de ce débat à moins que certains politiques n’essaient tout simplement de récupérer ce thème à leur propre compte sans véritablement s’inscrire dans une logique mondiale...
Cet entretien a été réalisé lors du Forum Social Européen, rassemblement anti-mondialiste qui s’est tenu à Florence, en Italie, du 6 au 10 novembre 2002. Ce forum avait réuni plusieurs délégations d’acteurs sociaux (associations, syndicats, partis et mouvements politiques) de différents pays d’Europe dont des participants venus de la fédération de Russie afin de débattre des fondements d’une autre Europe, plus sociale et solidaire.
Contact : Boris KAGARLITSKY, Institut of Globalization Studies (IPROG), Directeur, Moscou, Fédération de Russie - Tél.(professionnel): 9506322 ; (personnel) : 1510684 - goboka@pisem.net ; boris.kagarlitsky@thesense.ru (personnel) - www.aglob.ru/en/
Entretien avec Boris KAGARLITSKY
Interview