ATD Quart Monde met en place un programme pour lutter contre la grande pauvreté à San Jacinto (Guatemala)
12 / 2001
Dans les années 70, Caritas (Secours catholique international) demanda au mouvement français ATD Quart-Monde (organisation non-gouvernementale qui lutte contre la grande pauvreté et l’exclusion sociale) d’envoyer des volontaires à San Jacinto, au Guatemala. Grâce à l’effort du pays et à l’aide internationale, de nombreuses écoles ont vu le jour, mais aussi des projets d’adduction d’eau, etc.. Cette même période a également connu un exode important vers les villes (attirance pour les entreprises de la capitale, tremblement de terre, etc.), ainsi que des changements politiques mus par un souci de démocratisation. Sur place, l’équipe d’ATD Quart-Monde s’est d’abord posé la question: "Qui sont les plus pauvres ?" Les premiers temps, elle a cherché à mieux connaître la population, en vivant dans les villages et en partageant la vie des habitants, notant ses découvertes quotidiennes. L’éloignement du village ou l’état de l’habitat étaient-ils des critères de grande pauvreté ? Quand les conditions de vie deviennent insupportables, quand les précarités s’accumulent, ceux qui les subissent n’ont plus de prise sur leur propre existence. Chaque jour, ils doivent trouver de nouveaux moyens pour survivre, sans avoir de garanties pour le lendemain. Qu’ils ne puissent pas s’inscrire dans des projets communautaires ou de développement en est le premier effet visible.
La première tâche de tout volontaire, où qu’il se trouve, est d’écrire. Son rapport quotidien s’appelle "vivencia" (la chose vécue). Ce terme rend bien compte du fait que l’équipe se sent le témoin d’une réalité à laquelle elle participe. Elle se réunit régulièrement pour réfléchir à ce qu’elle a vécu, se remettant toujours en question à la lueur de la population, en particulier des plus pauvres. Il ressort de ces concertations une lettre mensuelle et des rapports d’activité individuels des volontaires, qui sont communiqués au secrétariat général d’ATD Quart-Monde. Ces outils permettent un vrai dialogue avec l’organisation, nécessaire en particulier dans les périodes de doute et de découragement des volontaires. L’objectif de la mission est d’initier une action avec les plus pauvres. Toutefois, dans le contexte de San Jacinto, l’équipe n’a pu faire l’impasse sur un engagement avec la communauté dans son ensemble. Dans un village où la pauvreté est quasi généralisée et où, de surcroît, les premiers volontaires sont des étrangers, il eut été illusoire de diviser la communauté. Lorsque la plupart se battent pour des réalités aussi essentielles que l’école, l’eau potable, la santé, prendre au sérieux le combat de tous comptait parmi les priorités d’ATD Quart-Monde. Conduite par sa quête de connaissance de la population locale, l’équipe n’a pas tardé à rencontrer des personnes préoccupées au plus profond d’elles-mêmes par les plus démunis. Ce sont ces personnes-là, des catéchistes ou des personnes démunies elles-mêmes, qui ont entraîné l’équipe vers les plus pauvres d’entre elles. Elles se sont reconnues dans ce mouvement, façonné par les individus et dont le fondateur est lui-même un homme issu de la misère. Une relation de confiance est née avec l’équipe, qui leur a permis d’exprimer le besoin d’êtres soutenues dans cet engagement et ce que signifie, lorsqu’on est pauvre, de s’engager pour aider plus pauvre que soi. L’équipe a essayé de comprendre avec rigueur ce que vivait la population. Rapidement, son attention a été attirée par les femmes seules avec des enfants. La situation de ces femmes s’est révélée très diverse et il est apparu que la solidarité s’organisait beaucoup plus facilement envers elles qu’envers des familles pauvres dans lesquelles l’homme était toujours présent. L’équipe s’est ensuite penchée sur le phénomène de ces hommes obligés d’aller travailler sur le littoral une partie de l’année. Là encore, elle s’est rendue compte que ce n’était pas uniquement le fait des plus pauvres.
Comment décoder les comportements ? Un père arrive, angoissé, et demande des vitamines pour sa fille. En réalité, sa fillette de quinze mois est à l’agonie. Et quand l’équipe arrive, il est déjà trop tard. Comment réagir ? Il ne faut bien sûr pas culpabiliser cet homme, mais essayer de comprendre sa situation et de percevoir qu’il n’avait pas assez d’argent pour nourrir son enfant. Atteindre les personnes les plus pauvres est une chose, les faire participer aux projets de la communauté en est une autre. Une des actions sur la malnutrition illustre ce processus. Le projet a démarré en 1984. La présence d’un médecin dans l’équipe de volontaires, le fait qu’une autre association ait envie de s’investir dans ce projet, et la connaissance de la population ont permis sa naissance. Le défi était alors de ne pas créer un lieu d’assistance. Les mères ont également fait comprendre qu’il ne fallait pas que le projet soit centré sur les aspects négatifs et douloureux de la vie. L’équipe s’est rendu compte que les personnes très pauvres n’identifiaient pas la malnutrition en tant que telle. Elles voyaient simplement un enfant qui se développait mal. La création d’un centre nutritionnel fut donc décidée. Articulé autour d’une pré-école, le centre organise des animations pour les enfants afin de les préparer à l’entrée en classe. Ses objectifs sont de deux ordres : réserver une place aux familles qui en ont le plus besoin (enfants les plus douloureusement touchés par la dénutrition), et assurer la visibilité des résultats, non seulement sur le plan de la récupération nutritionnelle, mais aussi du développement psychomoteur et de l’épanouissement de l’enfant en général. Il a parfois fallu qu’une personne de l’équipe aille visiter une famille avant que celle-ci n’ose se rendre elle-même au centre nutritionnel. Cette disponibilité est une des conditions de la participation des plus démunis. En 1986, le centre nutritionnel s’est déplacé dans une maison inoccupée. Mais en 1987, il a été décidé de le fermer car les enfants avaient récupéré sur le plan nutritionnel. De plus, quelque chose dans les familles avait changé: les parents savaient mieux faire face à la réalité de la santé et de la nutrition de leurs enfants. Un des signes de ce changement fut la consolidation des liens entre les familles et le centre de santé. Prolonger le centre comportait le risque d’une dérive vers l’assistance, en raison de l’aide alimentaire fournie.
En 1989, l’engagement d’ATD Quart-Monde a évolué dans le pays. Une équipe s’est installée dans la capitale et les volontaires de San Jacinto ont décidé de se déplacer vers le chef-lieu du département, à une vingtaine de kilomètres du centre du village, afin de laisser davantage de responsabilité aux locaux (les jeunes, des amis du mouvement, l’institutrice du village), tout restant suffisamment proches pour les soutenir. Avec le recul, l’équipe se rend compte que deux éléments fondamentaux ont permis cette réussite : la connaissance de la population et le temps qu’elle lui a consacré.
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, Guatemala
Cette expérience, avec d’autres, a été reprise dans une publication coéditée par ATD Quart-Monde et l’Unicef intitulée "Atteindre les plus pauvres". En tant que membre du collège éditeurs, il me semblait important de montrer comment le livre permet à une expérience d’avoir un rayonnement mondial. Merci de m’avoir permis de relater ces faits, qui sont pleins d’espérance.
Fiche rédigée dans le cadre de l’Assemblée Mondiale des Citoyens, Lille, décembre 2001.
Entretien avec BEHAIN, Christine
Interview
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