Quelle adaptation de l’industrie de l’aluminium au défi de l’environnement ?

Alpha Oumar Drame est ingénieur en environnement et a écrit l’une des premières thèses en écologie industrielle et développement durable en Afrique. L’histoire commence dans son pays d’origine, la République de Guinée, alors qu’il cherche à comprendre ce qui pouvait rendre "vert" le fleuve Konkouré, auprès duquel les usines d’extraction de bauxite, la matière première nécessaire à la fabrication de l’aluminium, se sont installées. En 1992, il décide de partir étudier à l’Institut universitaire d’études du développement (IUED) de Genève (Suisse), afin d’y étudier les problèmes environnementaux de l’industrie de l’aluminium et leurs conséquences sur les pays en développement. Alpha Oumar a ainsi commencé ses recherches dans le canton de Valais (Suisse) et à Gardanne (France), où sont implantées respectivement les entreprises d’aluminium Alusuisse et Péchinet, qui transforment la bauxite en provenance de Friguia, l’usine d’extraction de la République de Guinée. Pour comprendre l’intérêt de cette démarche éthique et humaniste, il convient de rappeler que la République de Guinée, ancienne colonie française, possède la plus grande réserve au monde de bauxite, réserve découverte par la France dans les années 30. En 1958, afin de valoriser cette ressource, sept des plus grandes puissances économiques mondiales, dont la France, ont eu le projet de construire la plus grande usine d’aluminium au monde. La déclaration d’indépendance de la Guinée aura toutefois raison de ce projet, la France, principal garant de sa réussite, se retirant pour "sauver l’honneur". Pourtant, l’enjeu territorial était et reste encore à l’heure actuelle très important. La République de Guinée est en effet le "château d’eau de l’Afrique Occidentale", avec un potentiel hydroélectrique et minier comparable à celui de la France et susceptible de supporter une industrie lourde.

La démarche d’Alpha Oumar Drame repose donc sur une volonté de remplacer les modes actuels de production de l’aluminium par une production basée sur l’écologie industrielle. Il est possible, selon lui, de créer, sur le site du gisement, un parc éco-industriel de transformation de la bauxite en éco-aluminium. Cela signifie qu’à partir d’une énergie renouvelable (l’énergie hydroélectrique), les usines produisent un aluminium respectueux de l’environnement et recyclent les résidus de la transformation afin de créer d’autres produits écologiques (comme la production de briques à partir de boues d’extraction). Sachant que la République de Guinée exporte, chaque année, douze millions de tonnes de bauxite par bateau, dont les trois quarts finissent comme déchets non recyclés, il semble important de dénoncer les modes de production actuels et de mobiliser le milieu scientifique, les hommes politiques et les multinationales, afin de modifier les pratiques vers un développement durable. Ce changement ne se fera pas sans mal. En effet, si un engagement politique permettrait une diffusion de l’information et une sensibilisation des ingénieurs des usines de transformation européennes, le système de production actuel reste complexe et vicieux. Les entreprises Péchinet et Alusuisse sont actionnaires, avec le gouvernement de la République de Guinée, de Friguia. Ainsi, les politiques de protection de l’environnement en aval, c’est-à-dire françaises et suisses, rétroagissent sur le système politique et économique guinéen de manière indirecte : le principe de pollueur-payeur s’applique en défaveur de la République de Guinée, qui paye une partie de la pollution subséquente à la transformation de la bauxite dans les usines française et suisse. Par le biais de sa thèse, Alpha Oumar Drame a essayé de montrer l’apport incontestable de la systémique comme méthodologie et de l’écologie industrielle comme concept, sachant que la sensibilisation des acteurs des mondes politique et économique reste une étape importante à franchir.