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L’éducation populaire en situation de conflit

Le Centre pour la recherche et l’éducation populaire (CINEP) est un organisme colombien qui intervient dans les communautés pour leur apporter une assistance technique, essentiellement dans le domaine agricole, et mettre en place des politiques éducatives

Daniel MATIAS

12 / 2001

Depuis plus de quarante ans, la Colombie vit en état de guerre civile. Autant dire que les tensions sociales s’en trouvent exacerbées et qu’il est difficile de mener des actions en faveur des populations sans être pointé du doigt par les acteurs du conflit. Une réalité qu’affronte quotidiennement Alejandro Angulo Novoa, directeur général du CINEP, dont le siège se trouve à Bogota. Créé en 1965 par les pères jésuites, cet organisme a pour mission de former des membres de la société civile aux pratiques du développement humain. Les bénéficiaires en sont les exclus de la société colombienne : indigènes, noirs et, plus généralement, les plus pauvres.

Dans un pays marqué par de fortes inégalités et une violence omniprésente, où l’Etat est démissionnaire de son rôle de redistributeur et de garant de la justice sociale, c’est à la société civile de s’organiser pour définir son avenir et affirmer ses choix de vie. Pour encourager cette mobilisation, l’Eglise catholique colombienne se fait le relais des aspirations de groupes de population. Le CINEP (45 personnes), sur la demande de ces derniers, intervient en envoyant des chercheurs et des éducateurs sur le terrain. Leur tâche ? Donner à ces groupes des clefs pour reconquérir leurs terres et passer d’une agriculture de subsistance à une politique agricole plus productive pour la collectivité, par le biais de la création de coopératives. L’objectif est que ces groupes puissent peser économiquement dans leur région et que le problème de la redistribution des terres soit soulevé. En effet, même si l’Etat a procédé à une réforme agraire à partir des années 60, celle-ci était tronquée

car la plupart des terres étaient non cultivables et les paysans ne recevaient qu’une assistance technique insuffisante. Aujourd’hui, pour réussir cette réforme, il faudrait, selon Alejandro Angulo, "respecter les pratiques agricoles indigènes et financer la formation de ces paysans qui ont, dans leur grande majorité, décidé de se tourner vers la culture de la coca, plus rentable."

Le CINEP cherche aussi à sensibiliser politiquement les communautés, qui identifient bien souvent l’Etat aux seuls commissariats de police. Ces communautés doivent appréhender la notion de droits humains et agir pour qu’ils soient garantis, notamment en soutenant ceux qui, au niveau de l’Etat, sont chargés de les défendre. En 1991, la "Defensoria del pueblo" (instance comparable au médiateur de la République) a fait son apparition dans les principales villes du pays. La mobilisation des communautés autour de ces défenseurs des droits est donc primordiale. Récemment, par exemple, plus de 28 000 personnes d’une localité du nord du pays s’appuyèrent sur le défenseur du peuple local pour empêcher la guérilla de prendre possession de leur ville. Ce fut un succès. Enfin, le CINEP a constaté que pour changer la réalité locale à travers l’éducation civique du peuple, il fallait travailler à modifier la compréhension des problèmes au niveau national. Dans ce but, il exerce un lobbying discret sur certains décideurs politiques pour permettre une réponse de l’Etat à ces attentes. Alejandro Novoa, indigné par la situation d’injustice sociale dans son pays, se bat pour améliorer la prise de conscience par ses concitoyens de leur capacité à influer sur les processus de décision. Ce combat l’a rangé dans la catégorie des subversifs. Le CINEP était accusé d’être le bras non armé de la guérilla, son travail d’alerte sociale, de conseil technique, de conscientisation politique menaçant les pouvoirs en place (grands propriétaires, caciques locaux, etc.). L’action des personnels du CINEP se fait bien souvent au péril de leur vie face aux acteurs armés (paramilitaires, guérillas), qui n’acceptent pas la présence de structures différentes de leurs organisations. A Barrancabermeja, dans le Magdalena Medio, la situation est très tendue. Le CINEP y est présent à travers un programme pour le développement et la paix. Avec divers partenaires (le diocèse, des entreprises), il a intégré un consortium pour le développement qui collabore avec une organisation d’habitants. Grâce à ce rapprochement, les petits producteurs voient, par exemple, leur production écoulée à des prix équitables (achat par des enseignes de la distribution), et trouvent là un moyen de devenir un véritable groupe de pression et un interlocuteur incontournable pour les pouvoirs publics.

Parallèlement, le CINEP mène une action éducative dans vingt-huit municipalités, non sans difficultés. En-dehors des tensions avec les acteurs du conflit déjà évoquées (sentiment de peur au quotidien), le problème se pose en termes financiers, matériels et humains (carence en personnel formé). En outre, il est extrêmement difficile d’être confronté, à la fois à un Etat irresponsable, et à un secteur puissant de la société qui empêche le renforcement de l’Etat dans sa composante sociale et économique. C’est un effort de plusieurs dizaines d’années qui a vu de nombreuses personnes se tourner vers la solidarité et une vision optimiste des relations humaines. La guerre en Colombie se nourrit du refus de l’Etat de reconnaître ce que sont les véritables drames de la société (injustice sociale, réforme agraire avortée, besoins fondamentaux peu ou pas assurés, violence). Alejandro Angulo traverse le pays et les communautés pour que l’Etat soit mis devant ses responsabilités. Une exigence

que le peuple doit porter.

Key words

popular education, construction of peace, state disengagement, violence, peace and development, drugs, state and army


, Colombia

Comments

Le processus de paix est aujourd’hui entamé en Colombie. Le gouvernement du président Andrés Pastrana négocie avec les deux guérillas du pays, l’Armée de libération nationale (ELN) et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). La population se retrouve prise au piège entre les guérillas et les paramilitaires, qui jouissent du soutien officieux de l’armée nationale. Pour sortir de cet étau, un travail d’éducation populaire reste à effectuer au milieu des populations en difficultés. L’apprentissage de la paix et des chemins permettant de l’atteindre passera par cette conscientisation qu’essaye d’essaimer le CINEP.

Notes

Entretien réalisé avec Alejandro Angulo Novoa, directeur général du Centre pour la recherche et l’éducation populaire (CINEP), lors de l’Assemblée Mondiale des Citoyens, décembre 2001 (Lille)

Cette fiche a été rédigée dans le cadre de l’Assemblée mondiale des citoyens, Lille, décembre 2001.

Entretien avec Alejandro Angulo Novoa

Source

Interview ; Organisation presentation

CINEP (Centro de Investigacion y Educacion Popular) - Carrera 5a n° 33A-08  AA 25916, Santafé de Bogota - COLOMBIA - Tel. (57–1) 245 61 81 - Colombia - www.cinep.org.co - comunicacion (@) cinep.org.co

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