Georges THILL, Jean-Paul LEONIS
01 / 2002
Une expérimentation sociale abordant les secteurs-clé comme la santé, le logement, l’agriculture, la pêche, l’éducation et la formation, le télé-travail, les activités culturelles locales s’est déroulée au Danemark entre 1989 et 1996, soutenue par un budget de 13 millions d’Ecus et réalisée sous la coordination des Ministères des finances et de l’environnement danois. Seize sites locaux d’expérimentation ont été sélectionnés sur tout le territoire danois, avec une attention particulière pour l’analyse des effets sociaux, culturels, industriels et géographiques induits dans des zones fragiles par le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC).
L’idée était de voir à quel point le développement d’outils informatiques, en vue d’une « construction sociale » de ces technologies dans leurs contextes organisationnel et sociétal, pouvait retenir tout l’intérêt des populations locales appelées à participer à des projets de développement durable.
Dès le démarrage de l’expérimentation, une stratégie centrale a été mise en place : créer des « Telecommunication Centres », dans lesquels les populations avaient la possibilité de (pour)suivre une formation technique relative au maniement des ordinateurs et des appareils de télécommunication. De plus, dans ces centres, les citoyens pouvaient obtenir de nombreux renseignements leur permettant de mieux juger si les technologies proposées étaient capables de répondre ou non à leurs demandes spécifiques.
L’expérimentation visant prioritairement des zones agraires et de pêche, les deux principaux publics-cibles étaient les fermiers et les pêcheurs regroupés en petites et moyennes entreprises. Les services proposés étaient fort diversifiés : courrier électronique, vidéo interactive, recherche d’informations dans les bases de données concernant les catalogues de produits, les chiffres d’exportation, le prêt d’équipement informatique pour une période de six mois, etc. Les expérimentateurs ont aussi donné une grande importance au domaine de la santé en privilégiant des techniques de transmission d’images de rayons X d’un hôpital à un autre ou d’un cabinet dentaire particulier à un département universitaire de dentisterie.
Résultat de l’évaluation
Si les activités de formation et de partage du savoir-faire ont rencontré un intérêt réel et une certaine curiosité de la part des populations locales (ce qui est prouvé par la multitude de personnes se rendant aux « Telecommunication centres », il s’avère que, en matière de courrier électronique par exemple, comme en matière de télé-travail, de nombreuses résistances se sont manifestées parmi les populations, notamment pour des raisons d’ordre culturel. En effet, les populations rurales et insulaires préfèrent les rencontres « face à face » que via l’ordinateur, perçu comme un élément qui renforce davantage encore l’isolement des habitants de zones peu peuplées et marginalisées. En ce qui concerne les bases de données, considérées comme un point-clé de l’expérimentation sociale parce qu’elles permettent de donner aux populations rurales et insulaires l’accès à des données socio-économiques internationales favorisant l’amélioration de la compétitivité des entreprises agraires et de pêche, ici encore, l’expérimentation s’avère peu convaincante, dans la mesure où très peu de personnes ont fait appel à ce service télématique. De surcroît, les opérations d’up-dating sont fort onéreuses et peu intéressantes dès lors au niveau coût/efficacité pour ce type de service. Quant à l’usage de la vidéo, il a été vite adopté par les populations dans leurs activités quotidiennes, en raison de la relation familière des gens avec les images de la télévision. Les usages de la vidéo sont souvent d’ordre professionnel : enregistrements de cours et de conférences par un conseiller en plantes ou un conseiller en matière de prévention des épidémies de maladie des plantes ou des animaux, etc. Un obstacle s’est pourtant manifesté : la question de financement de l’outil technologique. Obstacle à ce point important que, malgré le succès recueilli, l’utilisation de la vidéo a dû être interrompu après l’expérimentation, les gens n’étant pas prêts à payer pour ce type de service assez coûteux.
Du point de vue du rôle des utilisateurs, l’expérimentation a touché près de cinquante mille personnes vivant dans les zones rurales et les communautés locales. Cependant, tous les habitants n’ont pas pu être mobilisés, ne fût-ce que parce que des personnes plus âgées et des gens ayant un faible niveau d’instruction ne se sentaient guère concernées pour participer à l’expérimentation. Les femmes ont d’abord montré une certaine réticence, mais, au fil de l’avancement du projet, elles ont participé de manière plus active parce qu’elles avaient l’impression que l’informatique peut leur servir à résoudre les problèmes pratiques de leur vie quotidienne. Un exemple intéressant est celui de femmes turques qui ont voulu réaliser une vidéo sur le fonctionnement des écoles au Danemark pour sensibiliser leurs enfants sur les contrastes entre le système éducatif danois et la culture traditionnelle turque. Parmi les groupes sociaux porteurs, ce sont surtout les agriculteurs et les jeunes qui se sont impliqués dans l’utilisation des technologies proposées parce qu’ils y voyaient un outil de développement économique local. Par rapport au développement local, le temps de l’expérimentation a permis une véritable catalyse d’intérêts grâce aux technologies. La question pourtant, c’est qu’une fois fini ce temps d’expérimentation, il existe une réelle difficulté à maintenir le suivi des activités. Il est donc important de réfléchir à la réappropriation des nouvelles technologies par les citoyens usagers, non pas en proposant d’abord des technologies, mais en discutant et en négociant avec eux, des enjeux des technologies dans le cadre de leurs propres besoins et perceptions.
sustainable development, information and communication technology, computer science, technology transfer, technologies appropriation, price, assessment, technology and environment, insularity
, Denmark
On retrouve ici, dans le Nord, une situation analogue à celles connues dans le Sud et qui ont donné lieu à ce qu’on appelle les décennies de l’échec du développement. La question pour un développement durable est moins d’offrir des services et des technologies que celle de savoir comment le transfert de ces technologies permet des réappropriations par les populations concernées. Les questions des perçus et des vécus trouvent ici une réelle pertinence, la rationalité économique ne peut à elle seule offrir des conditions de réussite.
Colloquium, conference, seminar,… report
Tien Nguyen Nam, PRELUDE, Développement de nouvelles technologies de la communication pour des milieux ruraux et insulaires : un étude de cas au Danemark, Georges Thill, 2001 (Belgique), numéro spécial hors série, p.227-231
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