09 / 2000
Le Groupement d’entreprises nouvelles pour l’expérimentation socio-économique (Genèse), est implanté à Grenoble depuis quinze ans. L’un de ses initiateurs, Charlie Olivier, nous parle de cet outil et réseau original "en construction permanente", de son évolution passée et à venir et des interrogations que cela suscite sur des formes atypiques de développement économique local.
A l’origine, en 1986, deux sociétés coopératives ouvrières de production (bâtiment second oeuvre) et trois associations (formation, formation et production, musiciens) dispersées dans l’agglomération grenobloise fondent le groupement d’intérêt économique (GIE) Genèse et s’installent dans une friche industrielle avec une vingtaine de salariés. En 2000, le groupe Genèse compte une vingtaine de structures (plus de 20 millions de francs de chiffre d’affaires cumulés répartis pour 60 pour cent dans l’économie de marché, pour 30 pour cent en prestations de formation sur financements publics, et 10 pour cent autres). Elles gèrent plus d’une centaine d’emplois répartis sur le site grenoblois. On y trouve : groupes de musiciens, garagiste, hammam, architectes, syndicats, associations de défense diverses, entreprise d’insertion, coopératives d’activités et d’emplois, bâtiment second oeuvre et espaces verts, formation production, formation et insertion professionnelle, studios de répétition, d’enregistrement et de montage musical, salle de spectacle, cours de danse et de théâtre, location d’appartements et de studios, technologies de l’information et de la communication, société financière, prestations comptables, pool de services secrétariat, bureautique, location et sonorisation, animation de soirées, point d’appui à la vie associative sans compter les activités qui se sont émancipées au fil du temps. Les statuts des structures mais également des travailleurs sont variés : Sarl, Scop, Scop SA, commerçants, artisans, GIE, professions libérales, associations, salariés, gérants de sociétés, bénévoles, militants, titulaires de contrats d’insertion, etc.
L’idée de base est de créer un milieu culturel hybride entre travailleurs du social, de l’économique et artistes et d’accumuler et mutualiser des moyens utiles à tous, de façon solidaire. On se situe clairement dans l’économie sociale et le développement personnel n’est pas dissociable du développement des structures. Dans cet esprit, la croissance du groupe se fait essentiellement par addition et association de porteurs de projets et la légitimité réside dans l’application des consensus les plus larges possibles.
Militantisme fondateur, croissance et essaimage, structuration
La création de Genèse n’est pas partie de rien, l’enracinement des créateurs date en effet des années soixante-dix, période au cours de laquelle ces ouvriers du bâtiment, ces musiciens et autres travailleurs sociaux se retrouvent autour d’un certain nombre d’actions.
De la création jusqu’aux années quatre-vingt-dix, le réseau, sans moyens financiers suffisants, s’installe sur le mode de l’auto aménagement militant dans une friche industrielle de 1700 m2 louée à un propriétaire privé. Mais l’addition des précarités ne produit pas de richesses particulières : on tente de rationaliser chaque structure et l’on crée un GIE pour gérer l’immobilier. Des moyens logistiques sont mis en place et l’on crée une SA coopérative de capital-risque. Pour répondre à la demande d’installation de porteurs d’activités (qui ont souvent une très faible culture économique) le réseau agrandit ses locaux et crée une cellule d’accompagnement de projets chargée d’organiser la réflexion collective, de tirer les leçons, de former, conceptualiser et prévoir (si possible ! ).
Entre 1990 et 1996, le noyau dur du réseau profite de l’opportunité d’une recherche-action, financée par le Plan Urbain, pour mener une réflexion plus distanciée, formaliser, améliorer les fonctionnements, et préparer l’externalisation du groupe sur des sites en développement local. Il s’agit bien de (ré)introduire de l’activité économique réelle sur les territoires, de croire à la vertu pédagogique de l’entreprise, mais surtout pas de "faire descendre travailler les jeunes en charentaises". Cette réflexion est d’autant plus importante que face à la crise de l’emploi persistante, les logiques du développement local s’opposent parfois aux concepts traditionnels de formation et d’insertion. Mais les risques pris en "sortant du bois", les thèses avancées et mises en oeuvre peut-être parfois maladroitement, au lieu d’alimenter un débat politique ou même de donner lieu à "récupération", se heurtent au jacobinisme de certaines institutions peu enclines à accepter de voir cet ovni jouer un rôle d’ingénierie et d’innovation à l’écart des cadres établis. Il en résulte des conflits, un laminage des énergies et des départs.
Depuis 1996, un changement de génération s’est opéré : des plus jeunes, qui ont néanmoins baigné dans le réseau depuis ses débuts, contribuent à la relève. Ils savent à quoi ils tiennent en termes d’environnement de travail, de relations sociales, mais ils abordent les choses avec davantage de rigueur et de pragmatisme. Quand les problèmes se posent, ils les résolvent en acceptant de consacrer les moyens nécessaires : toutes les tâches doivent pouvoir être rémunérées ! Avec davantage de souplesse, ils se rapprochent des institutions. Les structures de l’économie de marché sont consolidées - pour certaines en Scop - les activités culturelles et artistiques se développent. Les entreprises à vocation sociale sont structurées et recentrées sur leur métier en développant des compétences de prestataires plus facilement négociables avec les institutions.
De nouvelles formes de développement apparaissent : coopératives d’emploi, points d’appui pour la vie associative ou la création d’entreprises, pépinière d’entreprises, salle de programmation culturelle, etc. Cet abandon d’une certaine forme de militantisme ne coupe donc pas les ailes au réseau !
Une pérennité fondée sur un engagement important
Ce développement, au-delà des énergies individuelles déployées, n’aurait pas pu se réaliser sans l’opiniâtreté des deux structures au départ qui ont su, tout en assurant leur croissance, créer et maintenir les conditions nécessaires à l’essor de l’ensemble. C’est ainsi que les moyens bureautiques, le standard, ou encore un pool de gestion, investis par les plus grosses structures ont pu bénéficier au développement des autres (moyennant contribution financière) alors que seules, elles n’en auraient pas eu les moyens.
Mais c’est surtout sur le volet financier que les effets et les caractéristiques de cette mutualisation ont pris tout leur sens. C’est afin de réguler les aides de trésorerie consenties de façon bilatérale entre structures et de décupler les possibilités de soutiens financiers que la société de capital-risque à été créée. Elle a pu bénéficier d’apports de certaines fondations, mais c’est surtout grâce à l’investissement personnel des salariés qu’elle s’est constituée et développée. Cette "banque interne", réservée à tous ceux, personnes morales ou physiques, auxquels le secteur bancaire classique refuse son concours, a la vertu pédagogique de mettre tour à tour chacun en situation de prêteur ou d’emprunteur. Même si quelques mauvais choix ont pu être faits, le taux d’échec reste en tout cas marginal. Cette somme d’investissements personnels, pas uniquement monétaires, est sans conteste l’un des facteurs de pérennité du groupe.
Pour autant, le groupe est aujourd’hui face à de nouveaux défis : une structure juridique inadéquate, une précarité locative et une distance encore importante vis-à-vis des institutions. Pour s’y atteler, un administrateur a été nommé et trois pistes de développement structurel sont étudiées :
Le remplacement du GIE par une société de capitaux, statut plus en phase avec l’ancrage économique réel du groupe ;
Une démarche d’accession à la propriété des locaux d’activité, car il faut de l’accumulation pour durer !
Le renforcement des liens avec les institutions et les réseaux institués, gage de reconnaissance et de diversité des ressources. En effet, l’expérimentation sociale, la capacité d’accueil et les risques économiques ne peuvent pas être financés seulement par les marges que génèrent la formation ou les activités classiques.
Mais il faudra sans doute pour cela que les différents partenaires regardent Genèse un peu moins comme une poule qui aurait couvé un canard. Complexés par des années de crise de l’emploi, les pouvoirs publics ne reconnaissent que l’économie classique et se montrent peu sensibles à d’autres formes d’association de producteurs intégrant la notion d’hybridation des ressources et des acteurs. Guy Hascoët parle aujourd’hui très bien de l’économie solidaire, mais il est encore très seul !
Car si cette coexistence d’acteurs inscrits dans des registres d’action différents produit effectivement confrontation et acculturation réciproques, comme en témoigne l’évolution de certaines composantes du groupe, la limite majeure aujourd’hui semble bien être celle de la perception qu’en ont les interlocuteurs extérieurs, encore trop souvent enclins à une forte suspicion vis-à-vis de cet objet atypique !
economic solidarity, project creation, project building, economic initiative, urban policy, fight against exclusion, economic development, local development
, France, Grenoble, Rhône-Alpes
Contact : Éric KERBRAT - 3 bis rue Clément, 38000 Grenoble - Tél.: 00 (33) (0)4 76 96 48 27
Articles and files
OLIVIER, Charles, Développement économique local et politique de la ville. Convergences et mutations., CR¨DSU in. Les cahiers du DSU, 2000/09 (France), n° 28
CR DSU (Centre de Ressources sur le Développement Social Urbain) - 4 rue de Narvik, BP 8054, 69351 Lyon cedex 08, FRANCE. Tél. 33 (0)4 78 77 01 43 - Fax 33 (0)4 78 77 51 79 - France - www.crdsu.org - crdsu (@) free.fr