L’arbre qui crée la forêt... et la plante qui l’étouffe -1e partie-
11 / 1993
La quantité de défoliants déversés par avion, de 1961 à 1970, par l’armée américaine sur les forêts du Vietnam, au sud du 17e parallèle, est évaluée à 72 000 t (dont 45 000 t de "l’agent orange" contenant le 2,4,5-T et la dioxine). Deux millions d’hectares des provinces de Tay-Ninh, Song-Be et Dong-Nai, à la pointe méridionale de la péninsule indochinoise, ont subi ces déversements systématiques. Résultat : 500 000 ha de mangrove ont été anéantis et plus d’un million d’ha de forêts ont été dévastés. Contrairement à l’habitude, une fois la guerre terminée, rien n’a repoussé parce que les Américains avaient pris soin de semer, après les épandages chimiques, des graines capables d’occuper le terrain et d’empêcher ainsi toute repousse ligneuse. Les anciennes forêts avaient cédé la place à des savanes à herbe rase... qui brûlait pendant les feux de la saison sèche. Pour reconstituer la forêt, on épandit par avion des graines de Rhizophora, mais les jeunes plants brûlèrent avec l’herbe pendant la saison sèche! Les forestiers vietnamiens recherchèrent alors une essence exotique résistant au feu et à la sécheresse et choisirent un acacia du bush australien: l’Acacia auriculiformis, à croissance rapide, robuste, qui fournit du bois pour le feu et pour la pâte à papier et dont les feuilles restituent au sol un engrais azoté précieux. En fauchant la savane après la saison des pluies et en y plantant cet acacia (5000 pieds à l’ha), un début de couvert forestier, qui a totalement éliminé les herbes, a été obtenu en trois ans. Les forestiers vietnamiens ont alors planté entre les acacias des arbres indigènes (Hopea odorata, Dipterocarpus alatus, Anisoptera costata). Des plantations de teck ont également réussi mais elles nécessitent de couper l’herbe qui repousse quand le teck perd ses feuilles. Plusieurs dizaines de milliers d’ha ont été ainsi replantés mais l’expérience n’a pu être poursuivie par manque de moyens, parfois même les acacias ont été exploités avant que l’on ait pu planter les espèces locales.
Une autre technique a été appliquée avec plus de succès : l’agroforesterie. Des plants de Dipterocarpus alatus et de Hopea odorata sont donnés aux paysans et on leur demande de semer autour du manioc. Désherbés en même temps que le manioc et protégés par son ombre, les plants ont poussé vigoureusement, atteignant en trois ans quinze mètres de haut.
Les graines de diptérocarpe, qui produisent un bois de valeur, sont prélevées chaque année (20 à 30 t)au Jardin botanique de Saïgon, structure scientifique datant de la période française et précieusement conservée. Reste le problème de la conservation des graines en milieu humide. Un programme de coopération scientifique franco-vietnamien, sous la direction du Pr A. Pavé, vient d’être mis en place. Mais l’argent manque pour créer les pépinières et planter ensuite.
reforestation, forest
, Vietnam
L’utilisation des défoliants chimiques a eu de terribles effets sur l’environnement au Vietnam. On en apprécie mieux, chaque jour, les dégâts. Le Sénat américain vient d’admettre, après des années de procédure, que les anciens GIs exposés à ces produits avaient développé des cancers et étaient devenus stériles. Le Vietnam compte le plus grand nombre d’enfants malformés ou handicapés sur la planète. Cette fiche illustre d’autres atteintes et montre jusqu’où les hommes peuvent aller quand la haine s’installe. Le salut apparaît néanmoins au bout du tunnel: il a pour nom la biodiversité.
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CANS, Roger in. LE MONDE, 1993/07/21 (France)