L’expérience de budget participatif de Porto Alegre fait des émules. Recife (région du Nordeste), à l’image d’autres villes brésiliennes, s’en est inspirée
01 / 2002
La ville de Recife, dont nous allons présenter l’expérience, se trouve au Brésil, dans la région du Nordeste. L’agglomération urbaine, composée de quatorze communes, compte près de 3 300 000 habitants, Récife en compte 1 430 000 à elle seule. La ville a connu une forte croissance entre 1940 et 1980 et est habitée par deux grands types de population : les familles les plus aisées et proches du pouvoir qui s’installent sur des sols facilement exploitables, les familles les plus pauvres qui construisent leurs habitations sur les marécages et les versants des collines. La pauvreté et la précarité sont indissociables de la ville de Récife : 600 000 personnes y sont, en effet, pauvres ou très pauvres.
Dès les années 1980, ces communautés s’organisent en mouvements de quartier, conformément à la tradition locale de lutte sociale. Leur objectif est de ne pas être exclues de la ville et de sa gestion. Elles commencent par s’allier avec divers institutionnels au sein du Forum du plan de Régulation des zones d’intérêt social (PREIZEIS), où elles délibèrent au sujet des opérations foncières en cours et tentent de favoriser l’établissement d’une voirie et d’un réseau d’assainissement des eaux dans les quartiers pauvres auto-construits. Au cours des années 1990, un autre mécanisme d’administration de proximité émerge avec la création d’un maillage territorial de gestion des services publics de santé. Toutefois, les décisions d’aménagement du territoire restent encore peu discutées, excepté par les secteurs techniques et les entreprises concernées. L’information est en effet toujours contrôlée par les dirigeants politiques et la concertation tronquée par la pratique du clientélisme. Passant outre ces difficultés, le budget participatif est lancé en janvier 2001, quelques mois après l’élection du maire de la ville, en octobre. Son principe est simple : il s’agit de rendre publiques et transparentes toutes les étapes de l’élaboration du budget annuel local (400 millions d’euros) et d’associer directement les habitants au choix d’affectation de ces investissements. Les élus précédents avaient pour fâcheuse habitude d’investir la plupart des ressources publiques au bénéfice des couches moyennes ou supérieures de Recoiffe. A court terme, l’objectif du budget participatif est donc de cerner et de répondre aux besoins urgents des plus pauvres. A long terme, l’éducation à la citoyenneté et l’apprentissage des droits fondamentaux sont visés. Pour cela, la municipalité s’emploie à multiplier les espaces de concertation et de délibération.
Ce processus participatif s’inspire de l’expérience menée par le Parti des travailleurs, notamment à Porto Alegre depuis 1989. Concrètement, la ville est découpée en 18 micro-régions, au sein desquelles sont mis en place des forums micro-régionaux qui expriment les demandes territoriales des quartiers. A l’échelle de l’ensemble de la ville, des forums thématiques sont aussi installés pour traiter des orientations générales de chacun des grands secteurs d’intervention publique. Les 36 assemblées plénières des micro-régions définissent les trois thèmes désignés comme prioritaires (pavage, drainage et assainissement des rues) et élisent 18 forums de délégués régionaux. Les forums sont l’occasion de discuter des investissements et de monter avec les pouvoirs publics un plan de travaux et d’interventions conforme aux priorités. Les délégués issus du regroupement de 10 personnes sont remplacés chaque année. Les 7 assemblées plénières thématiques choisissent des programmes prioritaires en matière de développement urbain, culture, santé, économie, assistance sociale, condition féminine. Des délégués sont élus et se réunissent périodiquement en 7 forums thématiques de délégués. Enfin, au sommet de l’organisation se trouve le Conseil du budget participatif, composé essentiellement des délégués territoriaux et thématiques. Il délibère sur les questions budgétaires (dépenses et recettes), avant et après le vote de la loi de finances par le conseil municipal.
Bien qu’encore récent, le budget participatif de Récife rencontre quelques difficultés. Les moyens financiers ne sont pas toujours à la hauteur des demandes des habitants, surtout dans les villes pauvres : la recette publique se concentre à 55 pour cent au niveau central, les mairies ne disposent que de 16 pour cent du total des recettes publiques brésiliennes. De plus, le processus a aussi du mal à recueillir l’expression des plus pauvres malgré les invitations aux forums diffusées par haut-parleurs dans l’ensemble de la ville.
Quatre écueils ont pu être identifiés. Premièrement, le saupoudrage de petites interventions régionalisées risque de conduire à une perte de cohérence et de vision globale de la ville : il est donc important que les demandes localisées soient incluses dans un plan d’ensemble de l’espace urbain. Deuxièmement, il faut éviter la capture des assemblées participatives par les pratiques clientélistes : les délégués étant plus informés que les autres habitants, leur fonction est parfois considérée comme un moyen d’ascension sociale. Ce risque est toutefois limité compte tenu du renouvellement annuel des mandats et de la fréquence des assemblées. Troisièmement, il faut associer à ce processus de participation élargi les conseils sectoriels (santé, enfance, développement urbain, etc.) déjà institués, où sont fortement représentés les couches moyennes et groupes professionnels. Quatrièmement, il faut adapter le rythme de l’élaboration et, surtout, de l’exécution du budget, de façon à faire face aux demandes qui, naturellement, excèdent les capacités immédiates de la ville : pour étaler dans le temps les possibilités de réponse, il est donc nécessaire d’établir, au-delà du budget annuel, un système de participation transparent à l’aménagement du territoire.
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, Brazil, Nordeste, Recife
Aménagement du territoire et action régionale
Expériences de démocratie participative
Le budget participatif de Recife, en oeuvrant à l’écoute et à la satisfaction des besoins primaires des plus défavorisés, mérite toute notre attention. Il ose refuser les inégalités criantes et cherche à réintéresser les citoyens à la vie de la cité, au strict sens politique du mot. L’expérience de Porto Alegre pensée par le Parti des travailleurs, son adaptation à d’autres villes brésiliennes et l’intérêt suscité dans de nombreux pays européens prouvent une fois de plus l’ampleur du défi. Il ne faut tout de même pas occulter l’émergence d’attitudes opportunistes, les limites des capacités de financement et la relative complexité du système. De même, il serait illusoire de vouloir appliquer ce processus comme une recette-miracle, notamment à la France tant les problématiques socio-politiques et historiques sont diverses. Probablement devons-nous réfléchir à nos propres moyens de rendre la démocratie représentative plus légitime et participative.
Cette fiche a été réalisée lors des Entretiens internationaux de la Délégation à l’Aménagement du territoire et à l’Action Régionale (DATAR), à Paris, du 28 au 30 janvier 2002.
Contact : Madame Tania BACELAR DE ARAUJO, Maire-adjointe de Récife, Chargée de l’Aménagement du Territoire - BRESIL; Email : araujo@truenet. com. br
Entretien avec Tania BACELAR DE ARAUJO, Maire-adjointe de Récife
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