Approche impressionniste d’un petit pays singulier, Haïti
05 / 2001
Haïti est un petit pays singulier. Pour une superficie d’environ 27 000 km2 et une population de 6 millions de personnes, il est étonnant par sa capacité (passée et présente) de résistance au modèle économique, social et culturel dominant.
Il suffit de se déplacer dans Port au Prince, sa capitale et d’observer le mode de circulation, ou plus précisément la façon d’utiliser la voiture, objet de modernité et symbole du développement pour sentir toute la singularité du pays et de ses habitants.
Lorsque l’on est en panne en Haïti, pas question de se ranger sur le bas-côté, on reste au milieu de la route pour enclencher la réparation, comme pour exprimer son refus de toute initiative individuelle dans un domaine considéré comme relevant du collectif, mais aussi pour montrer que chaque individu peut utiliser la route selon ses besoins. Malgré les interminables bouchons sur les six artères principales de la capitale, malgré le désordre de la circulation dû à l’absence ou au mauvais fonctionnement de la signalisation, le climat général est loin d’être agressif ; au contraire c’est la gentillesse et la bonne humeur au volant qui dominent ; seuls les Blancs tentent de sortir du bouchon ou s’énervent, car les Blancs courent toujours (blan toujou ap kouri). Un chauffeur de taxi fera maints détours pour déposer d’autres clients avant de vous laisser à l’endroit précis de votre arrêt et avant de s’arrêter de nouveau quelques mètres plus loin pour un nouveau passager ; pas question pour les uns ou les autres de faire quelques pas à la rencontre du taxi, tout haïtien est roi selon le proverbe et exige la reconnaissance de son statut d’individu, aussi misérable soit-il. Et chacun doit aussi pouvoir adopter le rythme de l’autre, le rythme commun.
Tout cela pourrait paraître anecdotique ou empirique... mais il peut faire aussi sentir que quelque chose de différent peut exister ailleurs sur des terrains que nous considérons comme spécifiquement nôtres et à ce titre... universels. L’observation de la circulation automobile à Port au Prince peut révéler à l’homme attentif quelques traits intrigants de la population haïtienne : le langage du rythme, le poids de la présence physique, l’incapacité de s’imaginer à la place de l’autre, l’absence de toute idée de compétition, etc...
cultural development, popular culture, sociology, transport, ethnology, religion and culture
, Haiti
Bien sûr, le livre de Gérard Barthélemy "dans la splendeur d’un après-midi d’histoire" ne se limite surtout pas à une interprétation sociologique de la circulation automobile en Haïti, il n’en est qu’une infime - et néanmoins magnifique - illustration. Car Gérard Barthélemy nous emmène au plus profond de ce petit pays par la présentation de son histoire ancienne et récente, par la description de toutes les particularités anodines ou importantes du peuple haïtien, et bien sûr par leur analyse et leur interprétation sociologique.
Que l’on parle d’esclavage - le peuple haïtien composé de 450 000 esclaves et (opposés à ?) 28 000 blancs a été un des premiers pays à retrouver sa liberté en 1804 - ; que l’on parle de spiritualité avec bien sûr l’immense importance du vaudou, de la danse et des rites de possession, mais aussi le formidable mélange entre vaudou et chrétienté ; que l’on parle de musique et de l’émergence du jazz ; que l’on parle de sexualité - pour les femmes, la relation sexuelle est publiquement considérée comme un véritable travail et parfois définie comme tel - l’analyse est toujours riche et étayée par de nombreuses et sérieuses références bibliographiques.
L’auteur consacre aussi une grande partie de son ouvrage à l’analyse et l’interprétation de la singulière gestion de l’espace et de l’utilisation des sols, traduisant un système d’économie familiale basée sur l’égalité et pour une survie de tous : si le contrôle des moyens de production est collectif pour permettre l’accès de tous à la terre, si le processus lui-même de production reste individuel afin de subvenir à ses propres besoins, le surplus sera réparti de façon collective. On se situe dans un régime a-capitaliste avec le refus de l’enrichissement personnel.
Et finalement pour l’auteur, c’est bien la résistance aux valeurs du Nord qui semble être la caractéristique principale de ce pays. L’économie domestique est une réponse aux refus des plantations ; rythme, danse et jazz sont issus de la culture des esclaves pour répondre à l’interdiction de s’organiser socialement et de se regrouper ; la persistance du vaudou exercé encore dans la clandestinité et l’intimité est une réponse aux religions chrétiennes exercées en plein jour dans de multiples églises...
"Dans la splendeur d’un après-midi d’histoire" ravira tout lecteur passionné par l’histoire ou par les Caraïbes. Gérard Barthélemy a vécu 10 ans en Haïti, et nous décrit et analyse le pays qu’il aime comme un parfait ethnologue. Les autres apprécieront de "butiner" cet ouvrage, au gré des différents chapitres ; la profondeur de l’analyse est parfois un peu pesante pour celui qui n’a pas suffisamment de motivation (ou de connaissance) sur le sujet.
C’est en tout cas une belle invitation à voyager, et surtout à étudier notre propre culture et celles des autres, parfois opposées à la notre, d’un oeil neuf et avisé.
Book
BARTHELEMY, Gérard, Dans la splendeur d'un après midi d'histoire, Henri Deschamps, 1996 (France), 430 p.
GEYSER (Groupe d’Etudes et de Services pour l’Economie des Ressources) - Rue Grande, 04870 Saint Michel l’Observatoire, FRANCE - France - www.geyser.asso.fr - geyser (@) geyser.asso.fr