Il est souvent bien difficile de déclencher l’écriture des acteurs de terrain. Il est parfois encore plus difficile de l’arrêter !
La publication a ses disciplines et ses rigueurs : elles apparaissent bien vite comme une nouvelle forme de répression alors que la capitalisation était venue offrir la libération d’une parole de terrain traumatisée par l’exclusion.
Pour stimuler la capitalisation, il avait fallu ouvrir les horizons, en appeler à dépasser les limites connues, susciter une expression abondante… Comment justifier ensuite des retailles, des réductions ?
Le saut de l’écriture à la publication n’est pas évident ! En fait, l’auteur qui s’affirme enfin et qui découvre les joies d’un dialogue avec son public a tendance à perdre ensuite de vue que ce dialogue requiert toutes les voix possibles et qu’il ne peut être monopolisé.
Ainsi, il m’est bien souvent arrivé d’être ressenti comme un dictateur après avoir été l’émancipateur. Et nulle explication n’est sur le moment satisfaisante.
Ce n’est qu’après que peut revenir l’équilibre : c’est le saut de la publication à la lecture qui guérit celui de l’écriture à la publication. D’où une règle essentielle : accélérer au maximum le processus d’édition et assurer une bonne diffusion.
Car c’est d’abord le plaisir d’être publié qui entretient l’enthousiasme. Mais c’est le plaisir d’être lu avec plaisir qui le couronne et le consolide.
« Ça se lit bien et ça aide à réfléchir. » Voilà les réactions qui ont le mieux aidé nos auteurs à digérer l’éventuelle frustration d’une retaille et les ont encouragés à poursuivre le partage. Et ce n’est pas si évident de continuer en dialogue après la publication.
Sur nos terrains nous rencontrons tous les jours des auteurs publiés mais frustrés, bloqués dans leur évolution par l’absence de réactions. On les voit s’en rapporter à tout bout de champ à leur livre ou article, se citer, essayer de faire passer leur formule dans un rapport, dans une motion.
La publication sans écho, sans dialogue postérieur peut être aussi négative ou même plus que l’exclusion totale ! Au contraire, les réactions aident à comprendre et à assumer certaines règles du jeu, suscitent de nouveaux apports.
C’est pour cela que la politique de diffusion n’est pas seulement un point d’arrivée du processus de capitalisation, elle en est aussi un point de départ. Voilà une des difficultés majeures de nos actuels efforts pour encourager la capitalisation d’expériences en Amérique Latine: l’absence de canaux adéquats de diffusion qui garantissent l’utilité et le plaisir de l’entreprise.
recomposition of knowledge, methodology, communication, experience capitalization
, Latin America
Que de fois le mot « plaisir » dans cette fiche ! Il m’est arrivé dans une version espagnole d’une autre fiche que le traducteur lui cherche un synonyme plus sérieux et parle de « satisfaction ». Non ! Si nous voulons vraiment entrer au dialogue, il faut y restaurer la notion de plaisir, celui de dire, d’être écouté et d’être compris d’abord, qui entraîne celui du partage et qui amène ainsi à celui de prendre part à un projet aussi vaste que la recomposition du savoir.
Fiche traduite en espagnol : « Capitalización: El salto de la escritura a la publicación y a la lectura »
Ce dossier est également disponible sur le site de Pierre de Zutter : p-zutter.net
Version en espagnol du dossier : Historias, saberes y gentes - de la experiencia al conocimiento