Le point de vue d’un évaluateur des méthodes de l’aide
11 / 2001
Constat
Aujourd’hui, aucune maîtrise sur les ressources financières destinées au développement local n’existe. Chacun de ceux qui apporte de l’aide extérieure, pourvu qu’il ait obtenu l’agrément du ministère compétent, se considère comme responsable autonome de son intervention. Il n’y a pas de maîtrise locale mais un ensemble de pilotes plus ou moins concurrents entre eux. Cette tour de Babel est visible, dans des pays comme le Sénégal et le Burkina Faso, dans un grand nombre de villages. Sur le terrain, il ne s’agit donc pas aujourd’hui de « transférer » une capacité de pilotage qui existerait au sein du système d’aide, mais bien de la créer et ce en partie contre les habitudes actuelles. Or, il y a encore extrêmement peu de lieux où la concertation et la négociation entre acteurs publics, privés et extérieurs, se font. Les fonctionnaires déconcentrés ne sont généralement pas considérés comme habilités et/ou légitimes pour jouer un rôle d’impulsion et d’arbitrage. Quant aux collectivités locales, sauf au Sénégal, elles font leurs premiers pas.
Dilemme
Avant de rentrer dans le vif du sujet, rappelons les termes du dilemme politique de l’aide extérieure : élargir sa marge de liberté et/ou respecter le devoir de réserve. Jusqu’à présent, pour les agences d’aide publique, le fait de ne négocier qu’avec les Etats permettait - tout au moins au niveau formel - d’éviter que l’aide extérieure soit considérée comme illégitime et/ou partisane. Tant qu’une agence n’avait qu’un seul interlocuteur, l’Etat, ce dernier ne pouvait pas se plaindre de n’être pas considéré dans la totalité de ses prérogatives. Mais dès que les agents des aides publiques négocient directement au niveau local avec des acteurs de l’administration décentralisée, des collectivités locales ou des organisations paysannes, le risque est grand qu’ils se voient reprocher leur ingérence. Le risque est grand aussi qu’ils tâtonnent sans savoir vers quels leaders ou élus locaux se tourner en cas de conflit. D’un autre côté, si les responsables des agences publiques d’aide acceptent désormais de ne pas viser essentiellement l’efficacité de leur propre apport mais de viser l’efficience résultant de la synergie entre les acteurs locaux et les acteurs externes, il est difficile de leur interdire de négocier « sur le terrain ». C’est dire l’importance des discussions préalables entre responsables politiques Sahéliens et responsables politiques des Etats du Nord pour arriver à un accord sur les finalités poursuivies par la coopération et faire évoluer les instruments d’aide (projets, fonds communs, etc.). A notre avis, si les agences n’obtiennent pas l’accord d’un Etat pour travailler directement dans le domaine du développement local, il vaudrait mieux qu’elles ne s’en occupent pas. Et qu’elles laissent les acteurs locaux - dont les associations paysannes et les différentes formes d’organisation que prennent les forces neuves actuellement à l’oeuvre dans les pays sahéliens - acquérir peu à peu, par elles-mêmes, le poids suffisant pour peser, entre autres choses, sur la réorientation de l’aide publique. Car faire le forcing auprès des Etats pourrait finalement se retourner contre la vitalité de ces nouveaux acteurs.
Principes possibles
La transparence signifie que tous les acteurs autour de la table sont d’accord pour informer les autres, ouvrir et communiquer leurs dossiers, annoncer les priorités qu’ils défendront, parler de leurs difficultés et des limites de leurs possibilités d’adaptation. Et ceci, des deux côtés. Mais la transparence n’a d’intérêt que si elle est liée à un accès au pouvoir de décision. L’information pour l’information ne suffit pas. Pourquoi s’intéresser à quelque chose si l’on sait qu’on ne peut pas la réussir sans autrui mais que votre avis ne sera pas pris en considération pour organiser l’action ? C’est pourquoi il convient d’aller vers la cogestion. Cogérer, c’est non seulement se mettre d’accord sur les règles du jeu (par exemple, l’exigence de tel pourcentage d’apports propres pour tel type d’investissements) mais se mettre d’accord sur la finalité de l’action menée en commun, établir une liste des pénalités en cas de non-respect des règles et admettre qu’un arbitre soit désigné et respecté en cas de désaccord.
Conflits probables
Une difficulté est celle des conflits. L’ensemble d’un dispositif de cogestion n’est pas guidé par des prévisions d’une équipe de consultants. La cogestion paraît belle, puisqu’elle se pare des vertus de la construction du bien commun, mais elle est nécessairement un lieu de confrontation des pouvoirs et des intérêts des acteurs. Et parmi ces derniers, celui des assistants techniques et des volontaires étrangers que l’on aura parfois encore besoin d’affecter sur le terrain. Il peut leur arriver, face par exemple aux acteurs étatiques, d’avoir une position « non-politiquement correcte ». S’ils participent à la cogestion directe de fonds communs, ils risquent d’être juge et partie. Cet engagement dans des processus collectifs de décision, au moment où des forces sociales nouvelles émergent, peut placer les agents de l’aide dans des situations de conflit et les faire accuser d’ingérence. Est-ce d’ailleurs leur rôle ? Ce rôle peut-il être codifié alors que la notion de ce qui est bon ou mauvais en termes politiques est éminemment subjective ? Ou doit-il être codifié en termes de déontologie pour dire jusqu’où l’agent d’aide peut se permettre d’influencer les choix locaux ?
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Il est sans conteste plus raisonnable pour une agence d’aide extérieure de financer et faire réaliser la construction d’une route ou d’un aéroport que de participer à la révolution politique et culturelle qu’implique le développement local. Pourtant, c’est sur cette pente-là que les agences s’aventurent aujourd’hui. Seront-elles capables de patience et de souplesse ? Accepteront-elles de n’être que l’un des co-gestionnaires de l’action collective ?
Ce texte est extrait (et adapté par Bernard Lecomte) d’une note rédigée par l’équipe du GRAD à l’intention des participants à la Rencontre Internationale d’Yverdon les Bains (CH), en octobre 1999, organisée par le Club du Sahel.
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