Expliquer les modes d’épargne plutôt que d’imposer des systèmes de crédit
11 / 2001
"Actuellement les gens commencent déjà à se poser des questions par rapport à l’argent. Beaucoup d’argent circule. Nous sommes une ethnie très organisée. Au Tchad, elle est considérée comme une ethnie très avare, une ethnie qui fait beaucoup d’épargne. Mais pas l’épargne monétaire, l’épargne sur pieds (les gens ont beaucoup d’élevage) ou la thésaurisation.
Nous avons mis en place, depuis 1985, un système d’épargne : chaque membre dépose chaque semaine au moins 50 CFA (0,5 FF), ce qui est peu, mais il y en a qui ont fait cela pendant plusieurs années. Après 5 ans, c’est devenu automatique, si bien que nous avons mis en place, au début des années 1990, une COPEC (Coopérative d’Epargne et de Crédit), qui est depuis lors entrée dans l’organisme des CEC (Club d’Epargne et de Crédit) suivi par le BELACD (Bureau d’Etudes et de Liaisons des activités de l’Eglise Catholique pour le Développement). Bissi est aujourd’hui le plus gros club d’épargne et de crédit de la préfecture, non pas en nombre d’adhérents mais en volume d’épargne. Les gens commencent à se dire qu’il y a un autre système d’épargne qui n’est plus l’épargne sur pieds ni la thésaurisation. La difficulté maintenant est de faire passer l’idée de crédit.
C’est difficile pour deux raisons:
a) Un système qui est connu depuis longtemps est le "bon pour" : l’argent que l’on prête à quelqu’un est remboursé pour le montant donné ; quelqu’un qui reçoit 10 000 CFA, même après 10 ans il rendra 10 000 CFA. Les gens sont tellement habitués à cela, cela se fait entre parents ou amis, cela se passe facilement. Quand on parle de crédit, le remboursement de l’argent prêté se fait avec intérêt. C’est une difficulté. Ils disent : "Les intérêts, c’est pour qui ?" C’est difficile de montrer que les intérêts que les gens donnent pendant le remboursement sont aussi les biens de tous. C’est délicat et ça nécessite une longue animation.
b) Et surtout, c’est que ceci nous a malheureusement échappé. Je veux dire que la COPEC a été "récupérée" par le système CEC du BELACD, qui n’était pas préparé pour nous comprendre. S’il nous avait laissé la COPEC comme telle, on allait continuer à réfléchir avec les gens sur l’aspect crédit. Même sur 10/20 ans, on allait continuer à réfléchir. Mais eux ils ont mis là-dessus leur propre système et la COPEC a été faussée. C’est dommage parce que maintenant qu’on a mis tout là, les gens ne comprennent plus rien. C’est devenu difficile de faire les choses comme on voulait parce que cela a été récupéré.
C’est dommage, parce que quand les agents du projet CEC sont venus, ils n’ont pas cherché à poser la question aux gens : "Pourquoi avez vous mis en place votre système de telle ou telle façon ?" Nous leur aurions expliqué ceci : "Quand on a commencé la COPEC les gens avaient déjà l’argent". Donc il fallait les aider à chercher comment sécuriser leur argent et puis encore continuer à réfléchir sur l’argent en montrant qu’ils peuvent le mettre ensemble. Et on n’était pas encore arrivé à cela, on n’avait pas encore dit que l’argent serait mis ensemble. Pour nous ce serait une seconde étape. Donc, quand les gens venaient à la COPEC, ils savaient que chacun avait son carnet et où il mettait l’argent. Il n’y avait pas une notion d’épargne collective. De l’épargne individuelle c’était cela seulement. Or avant d’arriver à parler de crédit, il faut expliquer aux gens l’importance de l’argent qui est mis ensemble parce que faire un crédit, c’est donner l’argent des uns aux autres. Et les gens n’étaient pas préparés à cela. Maintenant, avec la CEC qui fait "déjà" du crédit, il commence à y avoir des problèmes. Certains y vont simplement pour avoir des crédits et quand ils ont le crédit, ils ne peuvent pas le rembourser. Et maintenant le projet géré par le BELACD leur dit : "Ah, cela ne rembourse pas bien !" Et alors, qu’est ce qu’on fait ? On coupe et pendant un an, il n’y aura plus de crédit ! Nous on ne voulait pas qu’on parle déjà de crédit. On pensait que cela viendrait, mais quand le terrain serait bien préparé. Cela c’est une difficulté créée par une ONG. Heureusement que l’on a des paysans de plus en plus formés et qui sont restés critiques. Je pense qu’ils vont essayer de refaire la chose."
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, Chad, Bissi
Une analyse convaincante du danger pour un développement autocentré de plaquer des systèmes (même très bien pensés) sur les façons de faire utilisées jusque-là par les gens. Dans ce cas utiliser l’épargne individuelle de familles paysannes pour faire du crédit, sans longuement travailler avec eux la notion d’épargne collective (le capital du groupe en quelque sorte).
Notre interlocuteur est un agronome responsable de activités dans le domaine agricole d’une ONG tchadienne. En même temps il est paysan et fait partie de l’organisation paysanne qu’il décrit et qui agit dans la zone dont il est originaire. Les fiches GRAD n° 441 et 442 sont extraites du même interview.
Entretien avec PAZIMI, Pierre, réalisé à Bissi en juin 1999.
Interview
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