Réglementation, rentabilité et choix des municipalités
Anne Sophie BOISGALLAIS, Marc TAILLEBOIS
09 / 2000
Plusieurs membres de la fédération départementale d’Eure-et-Loir sont membres de la Confédération paysanne. En juin 1999, lors de la consultation départementale annuelle, l’un des membres du CMR annonce la création du collectif de l’Eure-et-Loir pour un contrôle citoyen de l’OMC. Après l’échec du sommet mondial de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), la mobilisation est forte contre une mondialisation économique non maîtrisée. Partis politiques, syndicats, mouvements alternatifs, mouvements chrétiens, associations de protection de l’environnement... se retrouvent donc pour mettre sur pied des actions communes. Outre une soirée débat et une enquête sur les sites d’expérimentation d’OGM (Organismes Génétiquement Modifiés), l’idée d’une enquête sur la restauration scolaire a été émise par le CMR. En effet, au cours de discussions informelles, les membres du CMR ont pu se rendre compte que, peu à peu, les cantines se privatisent dans leurs communes (notamment au profit du numéro un de la restauration collective dans le monde : la Sodexho).
Le but de cette enquête est de connaître le pourcentage des cantines scolaires gérées par des groupes privés et celles tenues par les municipalités, afin de voir dans quelle mesure les parents perdent le contrôle de l’alimentation des enfants, sachant que les habitudes alimentaires sont déterminantes à cet âge-là.
Les grandes villes possédant la plupart du temps une cuisine centrale, les villes de plus de 10 000 habitants ont été exclues de l’enquête. Sur 150 cantines scolaires en milieu rural, 76 ont répondu à l’enquête. Les résultats sont les suivants :
- 46 cuisines assurées par les collectivités publiques locales,
- 18 écoles dont la restauration est fournie par une entreprise privée,
- 7 écoles approvisionnées par la cuisine centrale d’une ville voisine,
- 5 écoles sans cantine.
L’enquête montre qu’il n’y avait aucune cantine privatisée en 1993 et que ce sont les plus gros villages qui s’y sont mis les premiers. Il y a un net effet "tâche d’huile" car lorsqu’un village prend la décision, on voit que les communes du canton lui emboîtent facilement le pas. En revanche, les petites cantines restent la plupart du temps "municipales".
Alors que l’un des arguments pour privatiser les cantines vient d’un coût inférieur, certaines municipalités qui ont fait le pas s’aperçoivent que leur budget s’envole lors de la mise en exploitation. Certains maires y sont farouchement opposés pour des raisons citoyennes, estimant que c’est un pan de la démocratie qui s’en va, d’autres reconnaissant qu’ils sont tentés suite aux très fortes pressions des plaquettes publicitaires, visites de commerciaux et devis alléchant qu’ils reçoivent.
La plupart des maires qui ont privatisé leur cantine assènent un argument de poids : la complexité de la nouvelle réglementation qui s’appelle HACCP (Hazard Analysis and Critical Control Point [ou analyse des dangers et maîtrise des points critiques, en français]). Cette nouvelle réglementation à laquelle la plus petite des cantines sera soumise d’ici deux ans, oblige à de forts investissements (ainsi, la ville de Mainvilliers, 10 000 habitants, fermera sa cuisine centrale faute de pouvoir assumer cette nouvelle charge). Une directrice de cantine explique qu’avec cette nouvelle réglementation, ils ne peuvent plus acheter de viande fraîche chez le boucher du village et que les producteurs locaux d’oeufs ne peuvent plus vendre à la cantine : omelette en tube pour tout le monde !
On s’aperçoit ainsi que, sous des prétextes d’hygiène confinant parfois à l’absurde, aucune précaution n’est prise par rapport à la présence ou non d’OGM dans les aliments d’origine. L’application de cette nouvelle réglementation déconnecte complètement la production locale de l’alimentation des enfants ; les habitudes alimentaires sont ainsi façonnées sans que les parents, les éducateurs ou les élus puissent intervenir.
Poursuivant leur réflexion, les membres du contrôle citoyen de l’OMC d’Eure-et-Loir commencent à faire connaître les résultats de cette enquête auprès de leurs concitoyens. Par ailleurs, ils poursuivent leurs investigations pour voir si des groupes industriels ou des lobbies ont poussé à l’élaboration d’une telle réglementation qui va à l’encontre des économies locales.
international trade, nutrition, WTO, mobilization of the inhabitants, information campaign, local community, privatization, Genetically modified organism (GMO)
, France, Eure-et-Loir
La démarche des militants CMR qui part d’un souci de santé publique montre à quel point les processus réglementaires peuvent parfois manquer leur cible, et au contraire, dégrader les situations. Le souci d’analyse a permis de mettre en lumière l’absurdité réglementaire. Les effets pervers d’un processus de standardisation où tout est confié à une structure privée qui ne tient plus compte des réalités locales, les limites de la rationalisation à tout prix. Lorsque des citoyens deviennent acteurs, une nouvelle manière d’habiter et de vivre peut se mettre en oeuvre. Une économie plus respectueuse des hommes comme agents de production est favorisée et la santé est mieux préservée.
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