Anne Sophie BOISGALLAIS, Benoît FAUCHEUX
09 / 2000
Dans un groupe CMR de l’Hérault formé d’agriculteurs, d’agricultrices et de conseillers agricoles, la solidarité internationale n’est pas un vain mot. Leur engagement auprès du CCFD (Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement), leurs lectures et leur collaboration avec certains organismes de recherche spécialisés se sont concrétisés par le départ du conseiller agricole au Brésil, détaché pendant deux ans au service des « petits agriculteurs » du Nordeste.
C’est alors qu’ils ont pu mettre le doigt sur des parallèles entre leurs deux régions : les difficultés foncières, l’arrêt prolongé de végétation, la nécessité de diversifier les productions agricoles, la commercialisation… Bien sûr, les échelles sont différentes, mais si l’on croit connaître l’Hérault, ses plages, sa mégapole Montpellier… il y a aussi l’arrière pays défavorisé. La nécessité d’organiser la rencontre entre les agriculteurs de ces deux régions s’est imposée comme une évidence.
L’équipe est soudée par des années d’actions communes, de projets collectifs, de réalisations solidaires et ils ont appris à analyser la réalité et travailler ensemble. Récolter des fonds pour leur projet de rencontres n’a pas été trop compliqué. Les deux échanges au cours desquels six agriculteurs de l’Hérault sont allés au Nordeste et six Nordestins sont venus en France, ont été riches et fructueux. Le courant est tout de suite passé. Les agriculteurs brésiliens, aux prises avec de grandes difficultés économiques, ont montré comment ils déployaient malgré tout des trésors de dynamisme, de sagesse et de dignité. Les agriculteurs français ont, de leur côté, reçu un « choc » culturel qui les a aidés à relativiser leurs propres difficultés.
En 1991, suite logique des échanges, l’équipe CMR a cherché les fonds pour acheter une exploitation irriguée et installer les cultures à haut rendement. Tout le monde a répondu présent : le district de Montpellier, le CCFD, la Caisse des dépôts et consignations, l’association nationale pour le développement agricole… Les agriculteurs avec lesquels le projet a été monté se trouvent à 80 kilomètres de cette zone irriguée, ce qui est très loin quand il n’y a que de petits chemins de terre pour y parvenir. Ce sont des « vaqueros », c’est-à-dire des éleveurs (malgré leur appellation, ils ont peu de vaches, mais surtout des chèvres, qui s’adaptent mieux à l’environnement très sec de cette région). Il a fallu mettre sur pied un circuit de commercialisation efficace pour écouler les produits de cette exploitation irriguée, et Massaroca, la communauté de 250 familles avec laquelle ils ont créé des liens (environ 1 500 personnes), a choisi d’utiliser l’argent que rapporte cette ferme à l’alphabétisation de la communauté. « C’est une goutte d’eau dans l’océan de leurs besoins, mais ils sont heureux d’avoir pu construire, en 1995, ce qu’ils appellent un collège, c’est-à-dire un lieu d’enseignement unique pour enfants et adultes » explique Michel Courtial.
L’exploitation achetée, d’une surface de 30 hectares, donne du travail à 40 familles qui habitent Pétrolina, une ville à 20 kilomètres de là.
Les échanges sont très réguliers et très denses entre les deux comités de suivi en France et au Brésil. La mise en place d’un « centre d’enseignement en milieu aride », visant à la réalisation de projets communautaires est la grande victoire de cette action de solidarité. Il est financé par les revenus de l’exploitation irriguée et l’appui complémentaire du CCFD. En 1998, ce centre de formation s’est jumelé avec un lycée agricole de Montpellier. Il comprend aujourd’hui 4 classes et certains élèves vont poursuivre leurs études au collège agricole du secteur, à Pétrolina.
Cinq commissions fonctionnent toujours à Massaroca :
- l’élevage caprin, principale ressource de la communauté ;
- la diversification (artisanat, vente de viande caprine sous vide…);
- l’exploitation irriguée (des agriculteurs de Massaroca vont régulièrement suivre les travaux de cette exploitation qui leur sert un peu de centre expérimental);
- l’eau et l’électricité. Même si la distribution en électricité commence à se faire, l’eau est toujours disponible sous forme de citernes collectives, ce qui est très contraignant et coûteux ;
- le centre de formation, qui devient de plus en plus une « maison pour tous », lieu d’échanges sur tous les problèmes de la communauté.
Ces réalisations sont accompagnées par une animatrice brésilienne qui réfléchit avec les agriculteurs, facilite les contacts avec les élus, la presse, les organismes de recherche…
En 1999, la femme du président du Brésil, Madame Cardoso, est venue visiter le centre de Massaroca, ce qui constitue une grande reconnaissance pour ces petits agriculteurs perdus au fond de l’état de Bahia, loin des centres névralgiques du Brésil. Cette visite sert en tout cas de coup d’arrêt aux conflits fonciers que les petits exploitants ont eu par le passé avec de grands propriétaires terriens du secteur qui cherchaient à étendre leurs exploitations par la terreur.
Aujourd’hui, la réflexion du comité de solidarité France-Brésil se porte sur la déconnexion qui existe encore entre les paysans de Massaroca et l’exploitation irriguée, dont la gestion demande de grandes compétences techniques, comptables et commerciales, ce que ne peuvent fournir des paysans analphabètes.
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, France, Brazil, Hérault, Nordeste
Des agriculteurs français et brésiliens construisent une relation solidaire. Les liens créés, la découverte de leurs différences et de leurs points communs leur font prendre conscience qu’ils vivent sur la même planète et qu’ils sont interdépendants. Ainsi, petit à petit s’échafaude un réel partenariat, basé sur la réciprocité, l’autonomie des acteurs et le respect de la dignité de chacun. Ces dix ans de solidarité ont forgé des convictions fortes au sein des groupes engagés dans cette action, notamment sur la capacité humaine à créer et à croire en l’avenir, malgré le dénuement et les difficultés. « Nous avons l’impression d’aborder un monde nouveau sur le plan humain, technique et relationnel », concluent Michel et Raymonde Courtial.
Contact : Michel et Raymonde COURTIAL. Parc Alexandre, 11 ter avenue de la Gaillarde, 34000 Montpellier - Tél : 04 67 41 29 73 - Sont intervenus au forum citoyenneté du congrès 2000 (Lourdes).
Interview
Entretien avec Raymonde et Michel COURTIAL
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