Entre la critique à usage interne, la diffusion restreinte et la tentation de la bonne pratique
François DOLIGEZ, Sylvie ROBERT
12 / 1999
L’IRAM (Institut de Recherche et d’Application de Méthodes de Développement Rural)est un bureau d’études associatif qui fonctionne sur la vente de prestations, de conventions liées à des opérations de terrain. De par son histoire et avec les objectifs qu’il s’est fixé, l’IRAM et son équipe ont souhaité dépasser ce niveau en utilisant leur expérience pour dégager des éléments de méthodes et d’orientations transversales.
Concrètement, le budget associatif se constitue à partir de son résultat d’exploitation. Sur les excédents, une réserve est constituée et reste une partie qui est affectée à un travail de capitalisation monté en partenariat avec les gens avec qui l’on travaille : structures, individus, institutions. Le chiffre d’affaires est d’environ 25 millions de Francs, dont la plus grosse part va à l’opérationnel, aux études de terrain. Il y a un temps de travail des membres de l’IRAM financé par ce moyen-là, qui est d’établir à partir des bilans de ce qui se passe sur le terrain des outils méthodologiques... Et puis il y a le financement d’activités de socialisation, capitalisation des résultats et des discussions avec les partenaires. Ce sont les journées d’études de l’IRAM qui se tiennent tous les ans. L’IRAM tente de consacrer deux mois à la préparation de ces journées, ce qui est assez peu. C’est vraiment de la capitalisation.
Il y a aussi un travail d’échange, de réflexion méthodologique beaucoup plus basée sur le quotidien, le suivi, qui se fait au cours de réunions techniques mensuelles qui réunissent les salariés présents, les gens de terrain qui sont de passage et puis au cas par cas des gens impliqués, des partenaires pour discuter d’un problème, d’une étude. C’est de la capitalisation au quotidien.
On a aussi parfois avec des partenaires des commandes ’ en gros ’ de capitalisation. Par exemple nous avons fait pour la Commission européenne un travail d’évaluation de trente ans d’intervention de la Commission dans les pays ACP sur tout ce qui est épargne et crédit rural. Tout ce travail, qui été complété par des études de cas sur le terrain que l’IRAM a coordonnées, s’est traduit par un manuel méthodologique et a fait ensuite l’objet d’une internalisation au sein des services techniques de la Commission. C’est un travail d’évaluation dont la dernière phase a été un travail de capitalisation qui a largement dépassé l’expérience de l’IRAM puisqu’il concernait les interventions de la Commission, même si c’est notre expérience que nous utilisons pour évaluer.
Il y a parfois des commandes internes liées à l’institution. Par exemple on perçoit un enjeu important au Mali : on voit qu’il y a des variations suivant les régions et les contextes de montage de nos opérations, notamment du type développement local, des évolutions telles la décentralisation en cours, les élections, des enjeux sociaux et politiques Il devient urgent de s’interroger sur les dynamiques qui sont mises en place. Le thème ’ décentralisation et développement local ’ au Mali devient une commande adressée à ceux qui sont sur le terrain, à qui on dit : ’ essayez avec cette grille de produire les enseignements de vos expériences de terrain et on fera autour de ça des journées d’études en septembre ’.
Enfin, il y a des commandes externes liées au travail qu’on fait soit avec des bailleurs, soit avec des partenaires.
Quand on fait ce type d’effort qu’est-ce qu’on vise exactement ? Il faut distinguer tout de même deux niveaux qui sont un peu confus dans l’idée de capitaliser. Le premier intervient lorsque l’on tire un bilan - généralement plutôt positif - d’une action que l’on va donc logiquement chercher à partager avec le ’ reste du monde ’, au risque de livrer une vision des choses trop idéalisée.
Le deuxième niveau de capitalisation concerne la situation la plus courante : on est empêtré dans des problèmes, des opérations, des programmes qui nous posent un certain nombre de questions. A un moment donné on veut se donner les moyens d’aller plus loin pour résoudre ces questions, donc les mettre à plat de manière assez critique par rapport à ce qu’on fait, sans avoir forcément tous les éléments de réponse à priori. Le recul critique n’est pas forcément très distancié parce qu’on est en plein dans l’action, c’est pourquoi à la fois la diffusion se fait lentement et parallèlement on a une attente très forte d’un retour qui aide.
Les types de situations concrètes décrites ici mériteraient une analyse plus poussée en termes d’évaluation et de capitalisation. En fait elles correspondent à deux processus assez différents, entre évaluation et capitalisation.
Le risque de la première situation est d’avoir une rigueur intellectuelle démesurée par rapport à notre attente dans l’immédiat. En revanche, l’image que l’on donne aux autres devient un enjeu important et la dérive nous guette : on va présenter quelque chose d’assez idéal, refaire l’histoire, voire essayer de ’ faire de la pub ’ derrière et finalement construire quelque chose qui n’aura plus rien à voir avec la réalité sur le terrain.
Dans la deuxième situation, on tente d’avoir un regard critique sur ce qu’on fait en le partageant avec d’autres. Le partage est une source d’enrichissement en soi, mais limite parfois l’analyse critique. Nous savons alors que nous n’avons pas abordé les vrais problèmes justement parce que le débat était programmé par exemple au cours des journées d’études avec des personnes extérieures. Or, parmi ces personnes extérieures, il y a des bailleurs de fond ou des contrôleurs techniques avec lesquels on ne peut pas aborder le niveau de l’analyse critique que nous pourrions avoir en interne. Avec nos partenaires du Sud, c’est un peu pareil.
Nous oscillons constamment entre ces deux attitudes. Demeure la volonté d’un certain regard critique même si c’est à diffusion restreinte.
reflection and action relations
, France, África
L’auteur est cadre actif au sein de l’IRAM.
Interview
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