12 / 1999
Le CREDETIP, ONG sénégalaise née en 1987, travaille beaucoup plus sur des enjeux qu’avec une ’ approche projet ’. En général on pense qu’à travers des projets à caractère économique ou financier, on va régler les problèmes des populations du Sud. Les ONG intervenant dans la pêche s’inscrivent aussi dans leur écrasante majorité dans cette logique qui leur permet ainsi d’assurer leur survie.
Ce n’est pas notre cas, et nous avons été jugés, aussi bien par le gouvernement sénégalais que par des ONG, comme n’étant pas une ONG dans la mesure ou les indicateurs généralement utilisés sont inappropriés pour juger de l’’ impact de développement ’ de notre action en direction des communautés maritimes.
L’aide extérieure ne se justifie que si elle permet de mettre en valeur des ressources locales mais ne doit pas se substituer à celles-ci. Dans le domaine du crédit, par exemple, nous nous sommes investis pour aider les femmes à accéder aux fonds publics que l’Etat négocie au nom du développement. En effet, l’Etat reçoit beaucoup d’argent dans le cadre de la coopération bilatérale. Quand il signe des accords de pêche avec un pays tiers, il reçoit des compensations financières. La pêche est l’or bleu de nos pays et vous, pêcheurs, vous assurez 75 pour cent des débarquements, 60 pour cent des exportations. Il faut donc que l’Etat débloque ces fonds dont vous avez besoin.
Nous avons facilité le rapprochement entre les femmes de la filière pêche d’une part et les réseaux mutualistes d’autre part. Depuis trois ans nous avons mis en synergie certaines communautés de pêcheurs avec les banques sur place qui leur permettent de sortir de cette démarche de demandeur de crédits au Nord.
En 1984, la FAO organisait à Rome une conférence internationale sur la gestion et l’aménagement des pêcheries à l’échelle internationale. Constatant que la pêche artisanale - dont dépendent des millions de personnes dans les pays du Sud - était mise en rade, un groupe de personnes a voulu permettre à une centaine de personnes venant de 40 pays, liées économiquement et culturellement à la mer, de se retrouver à Rome. Ce fut une conférence parallèle à celle de la FAO. Sa réussite et l’émergence du premier réseau mondial de solidarité entre pêcheurs ont poussé les organisateurs - dont j’étais - à se retrouver en 1986 pour créer une ONG à statut international dénommée ICSF (International Collective in Support of Fishworkers)en novembre 86 dans l’Etat du Kerala en Inde.
ICSF a appuyé le travail d’animation de CREDETIP dans les communautés de pêcheurs. A partir de 1990, ICSF a demandé notamment à Misereor de continuer à en assurer le financement. L’évaluation faite en 1997 par Misereor ne leur a pas permis de se rendre compte que pour la première fois une organisation africaine avait su s’imposer dans le processus de négociation des accords de pêche entre l’Union Européenne et le Sénégal. Personne n’aurait pu penser, il y a encore quelque temps, que l’Etat sénégalais débloquerait une partie de l’enveloppe financière venant des accords de pêche et la reverserait aux pêcheurs artisanaux ; et que ces mêmes pêcheurs sont maintenant au courant de ces accords et qu’ils ont leur place autour de la table des négociations. Le fait que les pêcheurs aient réussi à négocier des extensions sur le domaine maritime n’aurait jamais pu avoir lieu si l’organisation qui est derrière n’avait pas été puissante.
La capitalisation de nos expériences nous la faisons régulièrement sous forme de petits articles que nous publions, qui n’ont pas valeur d’évaluation, mais c’est une valeur ajoutée, quelque chose qui nous sort de la dépendance. C’est par rapport aux expériences que j’ai vécues, avec les autorités sénégalaises, les ONG sénégalaises ou celles du Nord, que j’ai capitalisé, mais c’est très compliqué de tout faire quand on te demande de t’adapter à une technique lourde, de mener l’action et d’écrire !
Les fiches DPH contribuent beaucoup à faire connaître à un certain nombre de personnes, quelle que soit leur origine géopolitique, ce qui se passe dans d’autres pays, dans d’autres régions du monde. L’écrit permet d’échanger en externe, mais en interne aussi parce que si cela passait à la radio, ce serait aussi compliqué. Il faut penser qu’au Sénégal il y a au moins 8 langues parlées, alors qu’en faisant des fiches écrites en français, on sait qu’il y aura toujours quelqu’un pour comprendre et partager. C’est le support que je remets en question, car si ça reste dans une base de données, ça suppose que les gens qui ont accès à cette capitalisation aient au préalable un outil informatique et qu’ils sachent s’en servir... Si on pouvait utiliser un autre support pour vulgariser ces écrits se serait important. Pour moi ’ Passerelle ’ (publication périodique et thématique de fiches DPH)est intéressant.
Nous avons un bulletin qui est lu non seulement par les communautés mais aussi par l’administration sénégalaise, par la FAO et par toutes les institutions qui sont censées s’intéresser à la pêche. Le grand problème c’est que comme on n’arrive pas à le vendre, il nous faut trouver des subventions pour le publier. Les maisons commerciales ne sont pas intéressées car c’est un sujet très spécifique, très politique. Je suggère que les fiches DPH soient reprises par un support écrit comme le bulletin des pêcheurs. Je pars toujours de l’idée que les gens doivent absolument découvrir qu’ils sont capables de faire plein de choses et je confirme que c’est seulement quand ils le voient écrit par quelqu’un d’autre qu’ils se rendent compte de cela. Il n’y a rien d’aussi frustrant que de se sentir marginalisé.
L’expérience sénégalaise a fait tâche d’huile, dans les autres pays de la sous-région, de plus en plus il y a des pays où émergent des organisations de pêcheurs qui se disent qu’il n’est plus suffisant d’avoir des coopératives. Le Ghana par exemple est en train de monter une plate-forme qui va leur permettre d’aborder tous les problèmes que le Sénégal a soulevés : le tourisme, les accords de pêche avec l’Europe...
DPH permet de parler aussi bien du local, du régional, du mondial, et tout cela nourrit la discussion, l’échange, et permet de sortir de cette mentalité d’assistés, de voir quel type de collaboration on peut faire naître avec d’autres. J’insiste encore sur le besoin de pouvoir vulgariser les fiches sous forme écrite pour qu’elles arrivent jusqu’aux pêcheurs.
Je ne me lasserai jamais de dire que les fiches contribuent à la mise en valeur, en confiance des gens. Cela peut contribuer à l’éducation au développement, à un ’ développement ’ différent, et ce serait bien que cela provoque un débat sur l’action de développement entre le Nord et le Sud. Tout ce qui touche à la recherche d’autonomisation, aux initiatives dans les pays du Sud devrait être sélectionné dans cette base et largement diffusé. Il faut passer l’information à ceux qui ne l’ont pas.
L’auteur est ethno-sociologue, fondateur et responsable du CREDETIP.
Interview
CREDETIP (Centre de Recherche pour le Développement des Technologies Intermédiaires de Pêche) - B.P. 3916 Dakar SENEGAL - Tél. : (221)821.94.62 - Fax : (221)821.94.63 - Senegal - credetip (@) sentoo.sn