Quand des personnalités religieuses pratiquent l’amalgame entre l’appartenance religieuse et l’identité ethnique et incitent à la méfiance et à la haine de l’autre
04 / 1999
L’espace balkanique constitue pour les historiens un complexe carrefour des civilisations, des religions et des populations. Le périmètre géographiquement délimité qu’on connaît aujourd’hui sous le nom de ’l’espace ex-yougoslave’ est un excellent exemple de ce qui peut se passer quand trois grandes approches religieuses se rencontrent dans un espace limité. Ces approches sont : celle du Vatican, celle de Jérusalem (qui représente à la fois l’Empire Romain d’Orient, ainsi que la terre sainte du judaïsme et de l’islam), et enfin, celle, orthodoxe, de ce qu’on a appelé ’la troisième Rome’, c’est-à-dire Moscou.
On ne reviendra pas à l’histoire passionnante de la confrontation perpétuelle de ces trois différentes visions de la religion dans le sud des Balkans, mais on essayera plutôt de situer ce large sujet dans un contexte plus restreint et surtout très actuel, celui du conflit du Kosovo. Quoi de mieux pour comprendre cette situation tendue et envisager sa solution que de suivre les prises de position officielles des décideurs religieux (et parfois politiques)sur cet épineuse question?
On commencera directement par le Vatican, probablement une des positions les plus pacificatrices et mieux adaptées à la conjoncture conflictuelle au Kosovo, due en grande partie à la propension vers une analyse plus objective de la part d’une Eglise catholique neutre dans un conflit opposant des sujets orthodoxes à des sujets musulmans. Cela pourrait expliquer aussi pourquoi l’appel du Pape Jean Paul II du 28 mars 1999 n’aura pas l’impact notable qu’il aurait du avoir, vu -au moins- son intérêt direct, pratique. Allant jusqu’au bout de son rôle de médiateur, Jean Paul II insistera sur le fait qu’’il n’est jamais trop tard pour des discussions pour la paix’, faisant appel à toutes les parties impliquées dans le conflit d’arrêter de combattre et de retourner à la table de négociations.
Dans cette même optique, Monseigneur Jean-Louis Tauran, ministre des affaires étrangères du Vatican, fut envoyé à Belgrade, le 1er avril 1999, avec la tâche d’essayer de nouer, au nom du Saint-Siège, une médiation en vue d’un relancement du processus de paix au Kosovo. Il délivra le même jour, pendant une rencontre assez brève, un message personnel de la part du Souverain Pontife au président serbe Slobodan Milosevic. Monseigneur Tauran eut aussi une entrevue avec le patriarche orthodoxe de la Serbie, Sa Sainteté Pavle, qui lui a fait part de son inquiétude vis-à-vis du sort immédiat et futur des simples Serbes, qui subissent les effets meurtriers des bombardements de l’OTAN.
Du côté de Jérusalem, on se soucie moins, à ce qu’il paraît, d’une résolution pacifique et équitable du conflit kosovar, à partir du moment où la position officielle du clergé, qui est entièrement partagée par la classe politique, est plus que radicale. Le ministre israélien des Affaires Etrangères, Ariel Sharon, provoqua une vive réaction en Occident en déclarant que les actions de l’OTAN en Yougoslavie vont vers l’indépendance de la province du Kosovo, un premier pas vers la Grande Albanie, qui constituera ’l’expansion du terrorisme islamiste’ au cour de l’Europe. Cette position bénéficia d’une très pointue critique de la part du secrétaire Américain d’Etat, Madeleine Albright.
Enfin, en avançant sur une hypothétique échelle de la tension religieuse, on arrive à l’approche très peu nuancée de l’Eglise orthodoxe russe, qui soutient ouvertement la guerre au Kosovo, n’admettant point une défaite des forces orthodoxes. Car le pan-orthodoxisme représente pour Moscou une issue irréfutable, le clergé ne pouvant que sympathiser avec les frères orthodoxes serbes. Parfois on fera bien plus que cela: les prêtres moscovites bénissent les soldats russes qui vont lutter à nouveau à côté des Serbes, comme ce fut le cas en Bosnie, en Croatie, à Krajina et à Srpska. Esprit d’un messianisme mal compris? Selon les témoignages des quelques militaires -volontaires- Russes présents en Serbie, il est certain qu’à leur départ de Moscou l’Evêque Nikolai tint une messe exceptionnelle pour ces troupes. En plus, on leur offrit une croix bénie, en médaillon, ’pour les protéger de tous les maux’. Ce n’est donc pas un hasard si la plupart des gens simples pensent, en Russie, comme l’un de ces mercenaires déployés en Yougoslavie, affirmant avec la main sur le coeur: ’Nous n’allons pas lutter principalement pour les Serbes. C’est vrai, ils sont nos frères, mais il s’agit de plus ici. Ils sont des Slaves, comme nous. Maintenant, la lutte n’est pas menée contre les Serbes, mais contre les Slaves en général. Leur malchance c’est qu’ils sont plus à l’ouest que nous. Mais, après avoir dépassé ceux-ci, l’ennemi va foncer droit sur nous. C’est pour ça qu’on ne doit pas les laisser faire. Ils sont une bande de non-croyants, qui veulent détruire notre sainte croyance orthodoxe’.
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Comme on peut le voir, le conditionnement du conflit du Kosovo, ainsi que son traitement, sont des questions très complexes, et face à la difficulté du dialogue des religions, qui reste encore une triste réalité au début du XXème siècle, l’homme demeure une proie face aux formes modernes de radicalisme, comme le nationalisme ou le ségrégationnisme social ou religieux. La défense de la patrie peut nous demander de risquer nos vies pour faire face à tout agresseur, mais elle ne peut pas exiger de nous de devenir des meurtriers, de haïr ceux qui représentent une autre nationalité ou une autre religion, d’exterminer ceux qui sont attachés à leurs traditions et coutumes. La patrie peut nous demander de défendre ses ruines, mais elle ne peut pas prétendre la remplir de cimetières de la haine ethnique ou religieuse.
Fiche réalisée dans le cadre de l’atelier sur ’ Religion et Paix ’, La Haye, mai 1999
Original text
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