Rôle de la science dans les conflits religieux
04 / 1999
La vision classique de la science, et notamment de la science qui a pour objet d’étude la nature, se caractérise par le déterminisme et la certitude. Selon I. Prigogine, l’idée de certitude qui caractérise la science occidentale, a été formulée pour la première fois, d’une manière claire, par Descartes.
Prigogine suit ainsi le philosophe américain St. Toulmin, qui situe l’origine de l’idée de certitude au moment des guerres de religion. C’était un moment tragique de l’histoire européenne, marqué par la guerre entre catholiques et protestants. Chacun des deux groupes défendait sa ’vérité’ comme la seule valable. Chacun avait sa certitude. Mais il s’agissait des certitudes conflictuelles, ce qui entraînait les deux groupes à se faire la guerre. Le propos de Descartes apparaît alors comme celui de concevoir une certitude qui soit accessible à tout le monde, une certitude que tout le monde pourrait partager et qui serait un élément de paix, de concorde possible entre les hommes. Cette idée de certitude, porteuse de paix, serait véhiculée par les sciences (en exigeant qu’elles doivent s’inspirer des mathématiques, de l’arithmétique et de la géométrie), et par la philosophie (avec l’idée de cogito).
L’idée de certitude apparaît ainsi comme un moyen de dépasser, en général, le tragique de l’histoire, et en particulier, les guerres de religion. Ce projet de paix proposé a travers l’idée de certitude constitue plutôt qu’une résolution des conflits, une façon d’en échapper. Le prix à payer de ce projet de paix est celui d’un dualisme fondamental entre un univers naturel, qui répond à des lois universelles et atemporelles, et un univers humain, traversé par l’incertitude et le conflit. Selon Prigogine, cet idéal de la science associé à la certitude, se retrouve chez Einstein, qui cherchait les secrets de l’harmonie naturelle et qui assimilait la vocation scientifique au ’désir ardent qui attire le citadin hors de son milieu bruyant et confus vers les régions paisibles des hautes montagnes’.
Einstein a vécu aussi une époque tragique de l’histoire humaine, celle du fascisme, de l’antisémitisme et des deux guerres mondiales. La physique était pour lui une façon d’échapper au tragique de l’existence quotidienne. Cette vision de la science associée à la certitude et opposée à l’imprévisible et au tragique de l’histoire humaine, commence pourtant à évoluer. Prigogine annonce la ’fin des certitudes’ et défend l’idée d’une ’science des possibles’, c’est-à-dire une science qui intègre le temps et donc l’incertitude, l’imprévisible et donc l’avènement du nouveau, les pertes irréversibles et donc le tragique de l’histoire humaine. Il s’oppose à la vision d’une science désincarnée et à l’idée d’un scientifique qui échappe des villes pollués vers les hautes montagnes, et défend la vision d’une science comme entreprise sociale qui contribue à rendre la vie en société plus humaine et la ville moins polluée. De ce fait, Prigogine est en train de proposer implicitement un nouvel concept de la paix : celle-ci ne serait plus assimilée à la certitude, à la stabilité et à l’harmonie éternelle, mais à l’incertitude dépassée au quotidien, à l’imprévisible qui ouvre au nouveau, à la contradiction qui permet de construire une nouvelle synthèse, au conflit qui débouche sur une nouvelle cohérence, au tragique qui défie à inventer une nouvelle façon de vivre ensemble.
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Cette idée de la certitude scientifique comme façon d’échapper au tragique de l’histoire, et notamment aux guerres de religion, pose la question du rapport entre la science et la guerre, entre la science et la paix, et également entre la science et la religion. La science permet-elle vraiment une guerre ’chirurgicale’, sans victimes humaines ? La vraie paix c’est la certitude uniforme ou l’incertitude partagée ? La vraie paix c’est l’absence de conflit ou la différence échangée ? Quel rapport établit aujourd’hui la religion avec la science : concurrent de l’omniscience divine, fournisseur de certitudes qui donnent l’allure de modernité, ou vrai interlocuteur dans la quête du sens ?
Fiche réalisée dans le cadre de l’atelier sur ’ Religions et paix ’, La Haye, mai 1999
Book
PROGOGINE, Ilya, La fin des certitudes, Odile Jacob, 1996 (France)
Centre de Recherche sur la Paix - Institut catholique de Paris - 21 rue d’Assas, 75006 Paris FRANCE- Tel 33/01 44 39 84 99. - France - www.icp.fr/fasse/crp.php