L’archevêque de Bukavu, martyr de la guerre civile au Zaïre en 1996
04 / 1999
Après le génocide rwandais perpétré entre avril et juillet 1994, des centaines de milliers de réfugiés rwandais sont installés dans des camps le long de la frontière rwando-zaïroise. La ville zaïroise de Bukavu, à la frontière avec le Rwanda, avait accueilli des milliers de réfugiés hutus. Parmi la masse de ces réfugiés hutus se cachaient d’anciennes milices armées hutus dites ’Interahamwé’ et d’anciens militaires des Forces Armées Rwandaises (FAR)qui avaient fui les auteurs des massacres. Ils prenaient la population de réfugiés en otage.
Très vite, cet afflux de population a déstabilisé les anciens équilibres de la ville, non préparée à accueillir autant de personnes en quelques jours. De fortes tensions sont nées entre les réfugiés et la population locale. Après le démantèlement des camps et la dispersion des réfugiés sur le territoire zaïrois dès 1996, des chrétiens se sont levés pour prendre des initiatives de paix afin d’éviter des massacres.
C’est ainsi qu’en sa qualité d’archevêque de Bukavu, Mgr Christophe Munzihirwa s’était activé pour créer des passerelles de réconciliation entre des communautés à travers le réseau d’oeuvres sociales diocésaines. Il n’était pas tutsi, mais son objectif était de lutter contre la haine envers les Tutsis dans son diocèse et de d’épargner la ville d’un bain de sang que des extrémistes de tous bords étaient prêts à exécuter. Pendant deux ans, par de nombreuses prises de position courageuses, il proposa un chemin de paix pour la région des Grands Lacs en organisant des rencontres entre ses chrétiens, membres des ethnies différentes. Ces rencontres pouvaient générer un climat de dialogue parmi des communautés perturbées par les conséquences du génocide. Tout en dénonçant le génocide comme une négation de ce que la vie de l’homme a de plus profond, cet archevêque attirait l’attention sur les droits des réfugiés, traités tous à tort comme des génocidaires, à jouir des conditions de vie justes et saines. Il soulignait que le génocide ne devait pas servir de prétexte de la part du nouveau régime rwandais d’organiser une vengeance par des répressions militaires et des massacres. Répondre à la violence par une autre violence n’était une démarche de pacification, mais une manière de cultiver les haines.
Ses appels invitaient à défendre l’homme sans faire le jeu des extrémismes ethniques, à faire de l’église, de toutes les paroisses et des familles de ses chrétiens des servantes de la justice et de la paix, et des lieux de refuge pour les victimes de toutes origines. Selon lui, le chrétien devait être en mesure de montrer des exemples de réconciliation et d’ouverture d’esprit. Ainsi, pendant que des militaires cherchaient à attaquer des religieuses tutsies dans le monastère de Muresha, il réussit à contrer cette haine en prenant le risque d’aller chercher ces moniales trappistes tutsi menacées de mort pour les cacher à l’archevêché. De retour de cette mission, il présida une réunion d’intellectuels de toutes ces communautés pour le maintien de la paix dans la ville et contre la guerre dans les pays des Grands Lacs. Le but de ces efforts, il les résuma par cette prédication : ’Chrétiens, nous devons nous impliquer réellement dans la logique de réconciliation pour qu’enfin les ennemis se parlent, que les adversaires se tendent la main, que les peuples qui s’opposaient acceptent de faire ensemble une partie du chemin, que le désir de s’entendre l’emporte sur la guerre, que la soif de vengeance fasse place au pardon et que l’amour triomphe de la haine’. C’est en sortant de cette réunion qu’il payera le prix d’une vie vouée à la cause pacifique. Il fut assassiné le 29 Octobre 1996. A ses obsèques, on avait décrété une trêve pour permettre aux chrétiens de lui rendre une dernière visite. Il reste à savoir comment ceux-ci font usage de la mémoire des efforts de cet évêque
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, Rwanda
L’histoire de cet archevêque montre trois choses. La première chose est que la foi a joué un rôle dans ses engagements pour prendre le devant. Dans ce contexte de guerre civile particulièrement meurtrière où des haines ethniques véhiculaient la violence, être évêque signifiait accepter de prendre des risques graves. Il avait cru en l’homme et aux valeurs du pardon, de la réconciliation et de la paix ; cette foi, il l’a proclamée et elle a été le moteur de ses actes. Sa foi signifiait concrètement dépasser les clivages sociaux et ethniques qui créaient les barrières et nourrissaient le conflit. Sa foi en l’homme l’avait obligé à protéger la vie, à s’opposer aux forces qui banalisaient le meurtre et le génocide.
La deuxième chose que cette foi montre est que tout engagement a un prix. La mise en pratique de cette foi a permis à cet archevêque d’accepter de payer ce prix.
La troisième chose est une question, voire un dilemme. Fallait-il rester neutre ou prendre position pour une partie dans ce conflit? Faut-il jouer de la médiation? Et à quel titre? Soutenir un camp aurait attiré à l’évêque l’adversité des autres camps. Mais on voit aussi que le choix de rester neutre lui a valu les inimitiés de toutes les parties. En effet, par sa neutralité dans un conflit qui utilisait les haines ethniques comme mode d’expression de violence, et en choisissant de protéger les victimes de tous bords, d’être le médiateur entre les membres des communautés ethniques, il a été considéré comme un traître par les membres de son ethnie. Les Tutsis les prenaient pour un protecteur des génocidaires ; les militaires et les rebelles lui reprochaient de les empêcher de réaliser leurs objectifs de piller ou de massacrer les sociétés civiles. Toutes ses prises de position lui ont valu des incompréhensions de toutes parts.
Fiche réalisée dans le cadre de l’atelier sur ’Religions et Paix’, la Haye, mai 1999, à partir des témoignages recueillis dans la revue Renaître, Bimensuel chrétien d’information et d’opinion (N° Spécial Mgr Munzihirwa).
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RENAITRE, 1997/10 (Zaïre), N°20
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