Le Grdr, Groupe de recherche et de réalisation pour le développement rural dans le tiers-monde, a intégré les préoccupations de santé publique il y a une dizaine d’années en intervenant particulièrement dans le domaine de la prévention des maladies sexuellement transmissibles. C’est dans ce domaine que la prise en compte de l’interculturalité est la plus en pointe, puisque la prévention du sida a pour objectif de modifier des comportements sexuels, fortement codés par la culture et la religion.
Jusqu’en 1995, la prévention s’adressait essentiellement aux populations migrantes vivant en foyers. Elle était abordée de façon "classique", c’est-à-dire qu’elle privilégiait avant tout l’information. C’est dans ce cadre, qu’en 1992, le Grdr a élaboré une mallette pédagogique "le Sida, parlons-en", permettant à des animateurs en santé de sensibiliser des populations parlant le peul ou le soninké.
Mais un constat s’est imposé : les actions de prévention s’appuyant sur la simple diffusion de documents, de conseils, y compris par des membres de la communauté formés à cet effet, ne suffisaient pas. Les statistiques publiées par la Direction départementale des affaires sanitaires pour 1995 soulignent l’urgence de la situation, en indiquant que plus de 50 pour cent des personnes d’origine sub-saharienne touchées par le virus du sida en Seine-Saint-Denis découvrent leur séropositivité au stade de la maladie. En comparaison, la moyenne française est inférieure de 20 pour cent. Une nouvelle politique de prévention devait donc être mise en place, tenant davantage compte de la spécificité culturelle du public visé.
Pour favoriser un changement de mentalité face au sida et une modification des comportements sexuels, il fallait trouver des moyens pour que les migrants se saisissent réellement de ce problème et engagent une discussion collective sur ce sujet.
Lorsque l’on discute des problèmes de santé avec les immigrés qui résident dans les foyers, la discussion aborde fréquemment la situation dans les pays d’origine et les efforts consentis par les associations de ces immigrés pour construire et maintenir un réseau de centre de santé villageois. D’autre part, les migrants ne veulent pas être perçus comme un "groupe à risque", idée souvent véhiculée par les autorités sanitaires qui s’occupent de prévention, car cette stigmatisation a pour conséquence de propager l’idée selon laquelle ils sont plus susceptibles d’être touchés par le sida que leurs compatriotes restés au village. Ce serait admettre qu’ils constituent un danger pour leurs familles lorsqu’ils vont les visiter au pays.
Il fallait donc travailler en partant du principe que le sida, et les MST en général, constituaient un risque égal pour les migrants et les villageois.
Ainsi, si le souci premier des immigrés est la santé de leurs parents restés au pays, et si l’un des problèmes majeurs que le village rencontre a trait au manque de discussion et de débat sur la prévention sanitaire, pourquoi ne pas utiliser l’intérêt des uns pour les autres comme levier ? Pourquoi ne pas encourager la communication entre les deux espaces afin d’avancer sur les deux axes, prévention dans le pays d’accueil et prévention dans le pays d’origine ? En chargeant les immigrés d’assurer eux-mêmes la prévention auprès de leurs parents, ils prennent conscience des dangers de la maladie et de la nécessité de s’en prévenir.
C’est de cette réflexion qu’est né un nouveau programme de prévention de santé en utilisant des lettres vidéos entre la France et le Mali.
L’usage de la vidéo pour un exercice de ce genre présente plusieurs avantages immédiats :
la vidéo est un moyen de communication oral. La langue de communication est la langue des ressortissants. Elle ne nécessite aucune maîtrise de l’écrit ;
le spectateur visualise les personnes qui lui parlent. L’identification de ces personnes, lorsqu’il s’agit de proches et de parents, est immédiate, et l’engagement du spectateur dans l’écoute des messages est facilité ;
par ailleurs, le coût et la facilité d’utilisation du matériel rendent possible une gestion autonome du processus d’élaboration des lettres ;
de fait, la vidéo est déjà employée dans les échanges entre les migrants et leurs parents restés au pays ;
enfin, aspect important pour nous, le montage collectif du film constitue un processus décisionnel qui permet une validation des messages par l’ensemble de la communauté.
Pour chaque lettre, un thème est choisi par les animateurs et les membres de l’association considérée. La prévention du sida est abordée, mais également celle d’autres maladies transmissibles. On décide de la forme et du scénario du film au cours de plusieurs réunions de synthèse, et les dates du tournage sont arrêtées. La forme la plus simple consiste à filmer des présentations et/ou des débats pendant une heure et demie à trois heures, en français et en langue locale, pour en extraire ensuite 30 à 40 minutes qui dégagent l’essentiel des messages que la communauté veut adresser à ses interlocuteurs.
A la suite du tournage, l’association qui a produit la lettre vidéo et les acteurs se réunissent et assistent à la projection pour discuter du montage effectué par les animateurs, éventuellement pour proposer des modifications et pour valider la lettre. Enfin, la lettre est envoyée, diffusée et le même processus recommence pour la réponse.
L’efficacité de l’action de prévention par lettres vidéos n’est pas liée au support utilisé (ici la vidéo), mais à l’existence d’un débat auquel participe l’ensemble de la communauté et qui met en cause les représentations populaires de la maladie.
Les objectifs sont atteints si le public qui utilise ces lettres a intégré que la prévention peut entraîner des modifications sociales mettant en cause la relation hommes-femmes. Tout autre support suscitant ce débat, pièces de théâtre, enregistrements audio, spectacles, affiches... peut également être utilisé.
AIDS, pedagogy, communication and culture, immigrant, cross cultural dialogue, sanitary education
, France
Ainsi, travailler dans l’interculturalité ne signifie pas que l’on adopte une position de curiosité vis-à-vis de l’autre. Cela veut dire que l’on est conscient de sa différence et qu’on la prend en compte pour que les évolutions que l’on veut accompagner ne se fassent pas malgré l’autre, mais avec lui, et cela en pleine conscience des uns et des autres.
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