Un échange d’expériences entre associations françaises et péruviennes
Jean Baptiste COUSIN, Miriam Rosa RIBEIRO
10 / 1999
Des mines qui ferment au Pérou
A partir de 1990, le Pérou, suite aux conditionnalités imposées par le FMI et la Banque mondiale, privatise le secteur minier et sidérurgique et le vend à des groupes étrangers dont la première mesure est de licencier des effectifs jugés pléthoriques. En quelques années 100000 emplois sont supprimés. L’indemnité de licenciement proposée aux travailleurs ne leur permet pas de tenir très longtemps. Pour une partie d’entre eux, la seule issue pour nourrir leur famille est de créer leur propre activité économique.
Alors l’Adec-ATC, une association péruvienne qui, entre autres, formait les ouvriers des mines au syndicalisme, ouvre un programme d’appui à la création d’activités économiques avec l’aide de deux associations françaises, Frères des Hommes et le Ccfd (Comité catholique contre la faim et pour le développement).
Deux villes sont particulièrement touchées par ces vagues de licenciement : Chimbote qui se trouve sur la côte péruvienne et Huancayo, situé dans la Cordillère des Andes, un des centres miniers les plus importants du monde. Depuis très longtemps, l’activité syndicale est très forte dans ces deux villes.
Des mines qui ferment en France
En France, c’est en 1984 que le gouvernement a pris le parti de fermer les mines de charbons en raison du coût excessif d’extraction et de la concurrence. Celles du Nord sont fermées définitivement en 1990 et celles de Lorraine le seront en 2005. La sidérurgie est réorganisée, "rationalisée". Des sites sont supprimés, d’autres sont regroupés. Saint-Étienne et sa région ont dû faire face, au cours de ces trente dernières années, à diverses périodes de crise, qui ont nécessité la reconversion de près de 40000 salariés.
En Lorraine, c’est le même "dégraissage". Les mines de charbon employaient 45000 personnes en 1960, 24000 en 1984, 7000 en 1999. Aujourd’hui il ne reste que deux puits ouverts. L’Etat a mobilisé des moyens formidables pour éviter l’explosion dans une région qui, depuis un siècle, vit au rythme du couple charbon-acier. Dans le bassin minier, alléchées par les avantages fiscaux et la qualité de la main-d’oeuvre, des entreprises se sont installées et ont progressivement remplacé les emplois disparus.
L’organisation des échanges
C’est cette similitude de situations qui est à l’origine des contacts entre Chimbote, Huancayo, la Lorraine et Saint-Étienne. Les associations ADEC-ATC au Pérou et Frères des Hommes et le Ccfd en France soutiennent le projet d’échange d’expériences. Plusieurs voyages ont eu lieu entre acteurs du développement tant en France qu’au Pérou. Des élus locaux péruviens sont également venus en France.
Ces visites ont fait l’objet d’évaluations. Des séminaires ont été organisés, des documents de travail et une vidéo ont été réalisés ainsi qu’une revue de presse semestrielle, Info-Pérou.
Que reste-t-il de tout cela ?
D’abord une image. La réaction enthousiaste des Français, au retour de leur voyage au Pérou : "les partenaires que nous avons rencontrés ont un niveau technique égal à ce que nous pouvons développer ici".
C’est la confirmation d’un pressentiment : "nos partenaires du Sud sont confrontés depuis tellement longtemps à l’exclusion qu’ils doivent avoir une expérience largement équivalente aux acteurs de développement en France". C’est aussi révélateur du professionnalisme des associations péruviennes, devenu nécessaire pour affronter les défis du développement. Et les organisations non-gouvernementales du Nord ont été particulièrement attentives à appuyer cette dynamique.
Tout ne s’est pas fait pendant les voyages. Leurs préparations ont aussi été très importantes. Les équipes locales du Ccfd et de Frères des Hommes ont insisté pour que ces voyages ne soient pas l’occasion de juger ou d’évaluer mais qu’ils soient orientés sur la découverte et l’échange. La présence de militants de la solidarité internationale tout au long du processus, s’est révélée comme un excellent garde-fou face aux risques de clichés ou de visions trop réductrices.
Les évaluations ont montré l’importance du regard de l’autre. "Pour nous, la venue de gens de l’extérieur sur notre territoire c’est l’effet miroir [... ]. C’est un des éléments pour résister à la tentation de repli sur soi [... ] ; le risque c’est de croire qu’on est les meilleurs et qu’on est à même de savoir ce qui est bon pour nous et donc d’avoir le sentiment de ne plus avoir besoin des autres ". Outre l’intérêt humain de l’échange, il faut comprendre l’importance de savoir tout arrêter, de partir et d’aller voir autre chose ou de tout arrêter pour recevoir quelqu’un. Il faut sortir "la tête du guidon". Cela permet, à travers l’expérience de l’autre, de remettre en cause son propre travail.
Assistanat et volonté d’entreprendre
Un débat qui n’était pas prévu a surgi : celui du rôle de l’État. "On a l’impression que, au Pérou, il y a davantage de volonté d’entreprendre, de se débrouiller pour s’en sortir et ça c’est un enseignement très riche pour nous". Les Français étaient fascinés par le dynamisme et la réactivité des Péruviens, récemment licenciés, qui se lançaient dans l’aventure de la micro-entreprise.
Si tous les participants soulignent l’égalité sur le plan technique, ils découvrent que les choses sont bien différentes sur le plan politique. ADEC-ATC ne reçoit pratiquement pas de financement de l’État péruvien (socialement inexistant), mais est porteur d’un projet politique, pour une société péruvienne plus juste. "Pour nous, créer des emplois c’est construire la démocratie. " Ce n’est pas un hasard si cette phrase n’est pas prononcée par un Français. Cela pose encore une fois le rôle de l’État (collectivité locale, gouvernement, Union européenne... ) qui subventionne les associations pour créer des emplois mais pas pour proposer des alternatives au modèle de développement.
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, Peru, France
En conclusion, beaucoup de questionnements et de débats s’ouvrent. Une autre manière de concevoir les relations de solidarité également. Ce qui nous paraît évident, c’est que pour ce genre d’activités, il faut travailler dans la durée. L’autre évidence, c’est que ce n’est pas de Paris que nous pouvons faire naître de tels processus. L’engagement de groupes locaux médiateurs de la solidarité internationale et en prise avec leur environnement local est fondamental.
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