09 / 2000
Les Etats-Unis aiment punir ceux avec qui ils ne sont pas d’accord. C’est peut-être cela la démocratie, façon américaine. L’idée de sanction est donc enracinée dans leur diplomatie, même si l’expérience prouve que les sanctions sont la plupart du temps inefficaces. Lorsqu’en mai 1998, l’Inde a choisi de démontrer qu’elle pouvait faire exploser des armes nucléaires, les Etats-Unis ont évidemment réagi à coup de sanctions. A vrai dire, compte tenu de leur attitude passée, il n’y avait pas lieu d’être surpris. La réaction du Japon et de certains pays européens ne compte pas car ils ne font que suivre le chef, et ils lèveront leurs sanctions à l’instant où Washington aura levé les siennes.
Les sanctions américaines
La plupart des gens n’avaient pas lu les petites lignes et furent surpris lorsque, le 19 novembre, cinq mois après l’imposition des sanctions, le gouvernement américain annonçait qu’il interdisait l’exportation de produits made in USA destinés à 208 "entités" indiennes. Cet embargo n’est qu’un fignolage des sanctions imposées par Washington le 12 juin, après les explosions de Pokhran. Parmi ces "entités" on trouve 30 entreprises du secteur public, 9 sociétés privées et tout un lot d’organismes publics, de facultés et autres établissements universitaires réputés. Cette interdiction n’a pas en soi grande importance car ces "entités" s’approvisionnent à de multiples sources. Ici ce qui compte c’est le symbole. Ces institutions sont punies parce qu’on les soupçonne d’avoir contribué, directement ou indirectement, au programme nucléaire et de fabrication de missiles de l’Inde. Leur choix révèle une attitude à la fois naïve et maléfique : gros fabricants de matériel électrique, grandes entreprises de construction comme Godrej, Larsen Toubro et Crompton Greaves, institutions scientifiques de réputation internationale comme l’Indian Institute of Science de Bengalore et le Bhabba Atomic Research Center de Mumbai. Le légendaire Aryabhatta, dont la contribution aux mathématiques et à l’astronomie est monumentale, a échappé de justesse aux sanctions, peut-être parce que les fonctionnaires du Bureau of Exports Administration n’avaient pas fait tout leur travail proprement. Les Etats-Unis ont, semble-t-il, décidé de sanctionner la crème des établissements universitaires et des entreprises civiles pour qu’elles n’oublient pas de sitôt la leçon. Il s’agit là de toucher de façon délibérée la fierté du pays.
Pourquoi ces entités plutôt que d’autres ? On ne voit pas pourquoi ils ont laissé de côté des dizaines d’institutions pour savoir, en particulier celles qui se consacrent aux mathématiques et aux sciences physiques. Après tout la capacité d’un pays à se défendre - laissons de côté les armes nucléaires et les missiles - est le reflet de la santé économique, des connaissances intellectuelles et du savoir-faire additionnés de l’ensemble du pays. Cette capacité est-elle propre au pays ou simplement empruntée ou dérobée, comme c’est le cas pour certains Etats politiquement proches des pays occidentaux ? Le terrifiant arsenal américain est depuis longtemps fortement tributaire des progrès techniques du secteur civil. Pour répondre aux impératifs de sa sécurité chaque société cherchera d’instinct à utiliser le capital intellectuel disponible chez elle. Cela ne veut pas dire qu’une institution civile deviendra automatiquement un établissement militaire parce que le fruit de ses recherches aura aussi trouvé quelque application militaire.
De droit divin ?
D’autre part, qui a décrété qu’un pays n’a pas le droit de s’engager dans la recherche nucléaire ? L’un des objectifs du Traité de non-prolifération nucléaire est bien de promouvoir cette recherche à des fins pacifiques. Les Etats-Unis "autorisent" ses seuls alliés à profiter de ce luxe. Pourquoi auraient-ils le privilège d’imposer toutes sortes de conditions - on pourrait dire des inspections - aux pays qui veulent en savoir plus sur le nucléaire ? A qui les Etats-Unis avaient-ils demandé la permission lorsqu’ils se sont mis à bâtir leur puissance nucléaire et à fabriquer des armes de ce type ? Qui est habilité à inspecter leurs installations nucléaires ? Les dirigeants de ce pays tiendraient-ils leurs prérogatives de droit divin, comme nos anciens rois ? L’éthique n’a pas grand chose à voir là-dedans, pas plus que la défense de la démocratie et de la liberté auxquelles se réfèrent des apologistes américains, de moins en moins convaincus apparemment !
L’Inde n’a pas à demander pardon
L’Inde a bien fait de ne pas tenir compte des protestations vertueuses des Etats-Unis et de poursuivre son chemin en mai dernier. Avec raison elle n’a pas argumenté à propos des sanctions qu’on lui imposait. Sinon elle serait apparue comme une pécheresse repentante alors qu’elle n’avait rien fait d’autre que d’exercer sa pleine souveraineté. Il ne s’agit pas maintenant de céder et d’aller plaider sa cause devant l’Administration américaine pour que l’embargo qui frappe ces 208 "entités indiennes" soit levé. Il doit entrer en vigueur le 19 janvier 1999. Avant cette date, techniquement, il ne s’applique pas. Si le gouvernement indien se met maintenant à flageoler sur ses jambes, il retournera au stade de la vassalité. L’Inde n’a pas à demander pardon.
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, India
Ce texte est assez significatif de l’opinion générale indienne et du rôle historique tenu par le pays dans le mouvement des "non-alignés". Forte d’une population qui atteint le milliard d’individus, où elle peut puiser une multitude de compétences, l’Inde entend continuer à manifester clairement sa différence, même face aux plus grandes puissances, tentées de faire régner l’ordre mondial selon leurs priorités politiques et économiques.
Le texte original est paru en anglais dans le bimensuel Down To Earth, publié par le Centre for Science and Environment, Tughlakabad Institutional area 41, New Delhi-110062, India - cse@cseindia.org - www.cseindia.org
G. Le Bihan traduit les articles de Down to earth pour la revue Notre terre, vers un développement durable. Il a repris cet article sous forme de fiche DPH.
Articles and files
SAHAY, Anand K., Les sanctions américaines in. Notre Terre, vers un développement durable, 1999/10 (France), 1
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