Créée en 1956, l’entreprise Tefal mène trois types d’activités dont l’objectif commun est de simplifier les corvées ménagères ; lancée par le succès de la poêle au fameux revêtement anti-adhésif, elle a diversifié sa production dans les années 70 avec des appareils électriques dits "conviviaux" (croque-gaufres, barbecues, appareils à raclette, etc.); à partir des années 80, une nouvelle division a été créée autour du matériel électronique dans le domaine de la domotique.
En moins de 40 ans, cette entreprise artisanale a atteint un stade industriel enviable : elle est passée de 180 salariés en 1968 à 2 500 en 1994 et 3 400 en 1998, et atteint un chiffre d’affaire de 3,2 milliards de francs, dont 55 pour cent réalisés à l’étranger.
Vincent Chapel a participé à une étude commandée par le président de l’entreprise, Paul Rivier, qui souhaitait comprendre les raisons de ce succès, d’autant plus étonnant que le secteur du petit électroménager grand public paraît très concurrencé par les importations en provenance de pays à très faibles coûts salariaux.
Selon V. Chapel, les performances de Tefal, dues à l’origine au "produit miracle" de la poêle anti-adhésive, s’expliquent actuellement surtout par une dynamique particulière de l’innovation.
La structure organisationnelle de l’entreprise n’a rien que de très conventionnel (organisation en équipes projets et utilisation de techniques d’ingénierie simultanée), à ceci près qu’il n’existe pas d’organigramme officiel et qu’à la notion d’autorité hiérarchique se substitue celle d’ "autorité de compétence" : à tous les niveaux de l’entreprise, certains salariés reconnus pour leur expertise sont systématiquement consultés sur des questions stratégiques, du concepteur lambda jusqu’au comité de direction où chacun des membres est en charge d’un domaine spécifique et détenteur d’une autorité de compétence particulière. Les idées nouvelles peuvent être émises par n’importe quel acteur de l’entreprise : le principe de la poêle "Armatal", l’un des modèles de poêle anti-adhésive, a été suggéré par un ouvrier de la chaîne des presses. Les détenteurs d’idées sont invités à les présenter devant un "comité produits" qui réunit, pour chacune des trois branches, une cinquantaine de personnes autour du président, une fois par mois pendant une demi-journée. Chaque comité examine une vingtaine d’idées à des stades d’élaboration très divers et il émet des objections et des suggestions (le président tape sur la table si le comité reste trop amorphe). Il revient aux salariés de fournir la preuve de la faisabilité technique de leurs idées en réalisant des expérimentations et des prototypes ; les contraintes et les spécifications du produit futur émergent au cours de cette phase d’exploration. Lorsque l’idée est finalement acceptée, un binôme de chefs de projet est désigné, composé d’un homme du marketing et d’un homme des services techniques, généralement assistés par l’auteur de l’idée.
Au cours des deux premiers mois qui suivent la présentation des idées, 60 pour cent d’entre elles sont non pas abandonnées, mais mise dans une "zone de gestation" en vue d’une éventuelle application future ; la moitié des 40 pour cent restantes aboutissent, et 30 pour cent de ces dernières deviennent des produits "vache à lait" qui assurent la prospérité de Tefal.
Aucune étude de marché n’est réalisée avant le lancement du produit : le coût de développement moyen d’un appareil ne s’élève qu’à 1 MF, alors qu’une étude de marché coûterait plus de 800 000 F. En revanche, l’avis des salariés est fréquemment sollicité : ils sont eux-mêmes des utilisateurs potentiels des nouveaux produits. De plus, à chacun des quatre grands rendez-vous commerciaux de l’année (Noël, la Chandeleur, la fête des mères, la rentrée), un tiers d’entre eux, y compris l’équipe de direction, s’en va par dizaines de cars faire des démonstrations en supermarché, ce qui leur donne l’occasion d’écouter les remarques des clients, de les interpréter et de les faire remonter. En cas d’échec commercial d’un produit, le fait de l’avoir développé est considéré comme source d’apprentissage à la fois sur la technologie et sur l’état du marché.
En contrepartie de leur implication dans l’entreprise, les salariés, dont la plupart sont des hommes peu diplômés qui travaillent pour Tefal depuis longtemps, bénéficient de divers intéressements : aux 13 mois de salaire s’ajoutent des participations aux bénéfices, de sorte que le revenu annuel peut atteindre l’équivalent de 21 mois de salaire. Toute l’entreprise est ainsi focalisée sur la création de richesse, et une certaine flexibilité reste possible si les affaires vont moins bien.
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Quand une entreprise fait à la fois le bonheur de ses clients et celui de ses salariés, c’est le rêve ! Mais serait-il possible de transposer la "recette Tefal" à d’autres entreprises ? Un participant a souligné l’importance du charisme de P. Rivier, ce président obsédé par la qualité de ses produits, mais aussi l’effet de dynamique vertueuse d’une entreprise qui a connu un développement exceptionnel. Transposer cette "gestion par l’innovation" aux autres entreprises du groupe SEB (Calor, Rowenta et SEB SA)et a fortiori à des entreprises extérieures au groupe paraît hasardeux : on n’improvise pas des liens de complicité, de fierté collective et de confiance mutuelle qui se sont constitués au fil du temps. Cette expérience montre à l’évidence qu’une entreprise n’est pas uniquement un rassemblement d’acteurs quelconques autour d’un projet et d’une source de profit, mais un système humain qui, comme n’importe tout groupe stable, développe une forme de culture et même de "civilisation" qui lui est propre et qui est difficilement imitable.
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CHAPEL, Vincent, SEGRESTIN, Blanche, La croissance par l'innovation intensive : le modèle Tefal - séminaire 'Ressources technologiques' in. Les Annales de l'Ecole de Paris, 1999 (France), V
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