Sylvie Chevrier a travaillé trois ans comme consultante dans le cabinet FVA Management, ce qui lui a donné l’occasion de mesurer l’écart entre la façon dont ce métier est généralement présenté par les ouvrages théoriques ou dans les témoignages des grands cabinets de consultants, et la réalité concrète.
En théorie, un consultant intervient à l’occasion d’un changement important dans l’entreprise, sur la demande de son dirigeant. Il doit commencer par approfondir cette demande, de façon à découvrir, au-delà du "symptôme" décrit par le client ou encore de ce qu’on appelle la "pseudo-demande", quel est le véritable besoin de l’entreprise : il ne faut surtout pas répondre à la demande telle qu’elle est formulée, qui désigne implicitement des responsables et des solutions préfabriquées, et risque de conduire sur des fausses pistes.
Le "vrai" problème s’avère généralement d’une bien plus grande envergure que ce qui était pressenti au départ ; il est à souhaiter alors que le commanditaire dispose des ressources et des moyens pour mener une étude plus approfondie jusqu’à l’établissement du diagnostic. Le consultant peut alors constituer une équipe dont les membres doivent, toujours en théorie, faire preuve d’une impressionnante liste de qualités intellectuelles et humaines.
La mission de conseil peut prendre plusieurs formes :
- l’exécution : le dirigeant définit la mission et le consultant n’effectue que de la sous-traitance ;
- le copilotage : le consultant participe aussi aux grands choix d’orientation ;
- l’ingénierie projet : le consultant s’investit dans la mise en oeuvre, mais sans participer aux décisions ;
- le partenariat avec l’entreprise : le consultant intervient à la fois dans les choix d’orientation et dans la mise en oeuvre.
Au terme de la mission, un rapport est rédigé puis présenté selon une mise en scène valorisante, et idéalement, il débouche sur une nouvelle mission qui consistera pour le consultant à accompagner la mise en oeuvre des recommandations qu’il a faites.
La réalité est moins euphorique. C’est bien souvent non le dirigeant, mais un responsable opérationnel qui fait appel au consultant parce qu’il rencontre des difficultés dans son travail ; le premier enjeu sera souvent de remonter jusqu’au niveau hiérarchique qui dispose du pouvoir de décision.
Le principe selon lequel il faut avant tout définir le "vrai" problème de l’entreprise doit souvent être abandonné face à la perplexité des interlocuteurs de l’entreprise ; l’expérience montre que ceux-ci, même s’ils se disent très intéressés par les perspectives plus larges ouvertes par le consultant, préfèrent souvent choisir un concurrent répondant plus directement à la question qu’ils se posent.
Bien sûr, une fois le contrat décroché, la perception du problème peut évoluer, à condition que la mission dure suffisamment longtemps ; mais bien souvent, elle est décidée dans l’urgence, ne va pas au-delà de quelques mois et ne bénéficie pas des moyens nécessaires pour des investigations suffisamment approfondies.
D’une façon générale, même si en principe le client recourt au consultant pour bénéficier d’un regard extérieur impartial, cette lucidité n’est pas toujours la bienvenue, et le consultant se trouve souvent dans la position inconfortable du "fou du Roi" toujours sur le point de dépasser les limites et d’être chassé.
Il doit d’ailleurs gérer des relations de "courtisan" à l’égard de son interlocuteur direct : si le porteur du projet quitte l’entreprise de manière imprévue, celui-ci est généralement abandonné, ce qui montre à quel point c’était cette personne-là et non l’entreprise qui était le client.
Selon S. Chevrier, dans la plupart des cas, la solution au problème rencontré par l’entreprise se trouve non dans les cerveaux fertiles des consultants, mais à l’intérieur même de l’entreprise : en créant des groupes de travail, en écoutant ce qu’ils ont à dire et en obligeant la direction à les écouter, on révèle généralement un capital d’idées impressionnant, notamment en France où il existe habituellement peu de processus de remontée de l’information. En contrepartie, le client a souvent l’impression qu’il a trouvé la solution par ses propres forces, ne reconnaît pas l’apport du consultant, et se plaint du prix à payer ; la mission de conseil débouche rarement sur une mission de mise en oeuvre des recommandations, le client ayant acquis la conviction qu’il n’avait en réalité besoin de personne pour résoudre ses difficultés.
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, France
Un adage populaire dit que "les conseilleurs ne sont pas les payeurs", laissant entendre que les solutions préconisées par des tiers sont souvent coûteuses et inadaptées ; mais que se passe-t-il lorsque les conseilleurs, de surcroît, se font payer ? En bonne logique, on pourrait s’attendre à ce que cela les incite à proposer à leurs clients les bonnes solutions, afin que leurs contrats leur soient renouvelés ; mais on peut tout aussi bien craindre que, malgré les dénégations des théoriciens, "le client soit roi" quoi qu’il arrive, et que les solutions proposées soient celles qui lui conviennent plutôt que celles qui conviendraient à son entreprise.
Supposons maintenant que le client soit non solvable, et que les conseilleurs soient payés par des tiers, comme c’est souvent le cas dans les projets humanitaires ; sur quelle combinaison du hasard et de la providence faut-il compter pour que le "vrai" problème et la "bonne" solution soient découverts par le conseilleur ? De quelle façon une solution trouvée grâce aux ressources propres du client (comme S. Chevrier dit que c’est généralement le cas)et qui a donc toute chance d’être appropriée par celui-ci et mise en oeuvre avec succès, pourra-t-elle être valorisée par le conseilleur à l’égard du payeur pour justifier ses émoluments ? Ne sera-t-il pas tenté, bien plus encore que le consultant d’entreprise, de préférer les solutions fleurissant dans son cerveau fertile, même si elles sont éventuellement coûteuses et inadaptées ?
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CHEVRIER, Sylvie, CLAES, Lucien, La mission de conseil : mode d'emploi - séminaire 'Vie des affaires' in. Les Annales de l'Ecole de Paris, 1999 (France), V
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