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La métamorphose d’IBM

Elisabeth BOURGUINAT

12 / 1999

Cet exposé complète les indications données par Jean-Jacques Duby sur les raisons du brutal déclin d’IBM dans les années 90. Selon Gérard Dréan, cette entreprise était avant tout une énorme machine à planifier, avec trois types de plans : les plans "synchrones" se composaient de plans stratégiques quinquennaux glissants, les deux premières années faisant l’objet de plans opérationnels indiquant des objectifs chiffrés et fixant des échéances ; une fois le plan de l’année 1 finalisé, il était décliné en objectifs budgétaires et individuels. Des plans "asynchrones" venaient se greffer sur le plan annuel, par exemple pour le lancement de nouveaux produits, avec la planification des phases de recherche, de développement et de production. Enfin, des plans divers définissaient des actions particulières et ponctuelles.

Toutes les composantes de l’entreprise participaient activement à la définition de ces plans, chacune des grandes fonctions ayant par exemple la possibilité de contester le plan d’une autre fonction ; les conflits potentiels faisaient l’objet d’un règlement formalisé ; chaque collaborateur avait la possibilité de contester l’évaluation dont il faisait personnellement l’objet auprès de n’importe quel dirigeant de son choix, et celui-ci devait alors désigner un tiers neutre pour instruire le dossier.

Ce dispositif avait l’avantage de favoriser un esprit d’équipe fort ; les agents se mobilisaient pour défendre les intérêts globaux et non locaux, d’autant qu’ils disposaient d’une vision du long terme qui donnait sens à leur action.

Mais en poussant la planification à son paroxysme, IBM s’interdisait de réagir immédiatement lorsqu’un événement imprévu et important se produisait dans son environnement : il fallait d’abord reconstruire les différents plans.

D’autre part, cette culture de planification laissait peu de place à une culture gestionnaire : chacun n’étant tenu responsable que des objectifs qui lui étaient directement assignés, les notions de compte d’exploitation et de profit, par exemple, n’étaient prises en compte qu’au sommet de la hiérarchie.

Autre source de difficulté : les ingénieurs commerciaux jouissaient de l’exclusivité de la relation avec les clients de la zone dont ils étaient responsables ; peu à peu, avec l’explosion de la diversité des produits, se constituaient des "goulots d’étranglement", ces ingénieurs ne pouvant humainement pas connaître tout le catalogue de l’entreprise.

Par ailleurs, ils devaient appliquer à la lettre la politique tarifaire de l’entreprise ; or l’impossibilité de négocier les prix s’avérait inadaptée au développement des services, qui supposent un traitement au cas par cas.

Alors qu’en 1990 IBM avait dégagé 10 milliards de dollars de bénéfice, la situation s’est brutalement inversée dès 1991 : l’entreprise est devenue déficitaire et ses actions ont perdu 40 pour cent de leur valeur entre 1990 et 1993. Depuis plusieurs années déjà, sans qu’IBM prenne la mesure du changement, les concurrents s’étaient multipliés, les attentes des clients s’étaient extrêmement diversifiées, de nouveaux standards avaient émergé. L’entreprise a alors failli exploser : à l’ancienne organisation planifiée s’est substituée une confédération d’unités autonomes n’entretenant plus aucune synergie entre elles, chacune se battant avec les moyens du bord pour essayer de survivre.

La nomination d’un nouveau "chairman", Lou Gerstner, qui ne faisait pas partie du sérail IBM, a marqué l’amorce du redressement de la compagnie, avec une gigantesque réforme de la gestion des ressources humaines, de l’organisation des systèmes d’information et des modes de travail.

Désormais, l’entreprise est tournée vers le client. Trois lignes fondamentales ont été crées ("produits et technologies", "services", "solutions"), toutes travaillant à la satisfaction du client. Concrètement, tout salarié IBM a le devoir, lorsqu’il a identifié une "affaire" auprès d’un client, de la signaler dans une banque de données mondiale ; dans les 72 heures qui suivent, la meilleure compétence disponible se voit confier la résolution du problème. L’identification du problème a pu être faite par une équipe produit, et sa résolution être menée par une équipe service : plus personne n’a la propriété du client. Alors que seules les rémunérations des commerciaux comportaient une part variable dans l’ancien système, la satisfaction des clients a aujourd’hui une incidence non négligeable sur les salaires de tous les employés.

La nouvelle stratégie dont ces réformes font partie a porté ses fruits ; en particulier, l’effectif, qui était passé de 380 000 à 220 000 entre 1990 et 1994, est remonté à 280 000 en 1998.

Key words

company, business management, computer science, planning


, France

Comments

L’histoire d’IBM prouve-t-elle que la planification est un mauvais système, et que "l’orientation client" est la panacée ? Probablement pas. Outre que le management a ses modes, et que la planification a singulièrement mauvaise presse actuellement (cela ne durera peut-être pas toujours), l’une des leçons de l’Ecole de Paris du Management est que les acteurs finissent toujours par s’adapter "trop bien" aux règles instituées : ils se concentrent sur les critères sur lesquels ils se sentent évalués et négligent les aspects sur lesquels le management porte provisoirement moins son attention - et ce, non pas par mauvaise volonté ou paresse, mais précisément par souci de bien faire. Le secret semble donc consister à révolutionner périodiquement le mode de gestion de l’entreprise : on impose de nouveaux types d’objectifs ou d’instruments de gestion qui, en changeant la donne, vont suspendre provisoirement les effets pervers de tout mode d’organisation. Nous sommes probablement trop intelligents et trop capables de nous adapter aux situations nouvelles pour espérer pouvoir un jour organiser notre société aussi "parfaitement" et aussi définitivement qu’une fourmilière...

Source

Colloquium, conference, seminar,… report ; Articles and files

DREAN, Gérard, DUWAT, Gérard, RAFFALLI, Christophe, La métamorphose d'IBM - séminaire 'Vie des affaires' in. Les Annales de l'Ecole de Paris, 1999 (France), V

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