Le collège scientifique et technique de Thomson-CSF
12 / 1999
Dans les entreprises, la gestion des personnels de recherche est un problème complexe. En matière de RD, les innovations viennent souvent de l’initiative d’une personne ou d’un petit groupe, et les grandes entreprises savent généralement mal soutenir les personnes seules. Chez Thomson, les 10.000 chercheurs sont de plus très dispersés au sein des 100 000 employés du groupe, car les métiers sont organisés par domaines commerciaux (pour Thomson TSF : systèmes de détection des missiles, équipements aéronautiques, avionique, communication et commandement, services et informatique. Comment parvenir à piloter la recherche dans une vision à long terme en dépit de cet éparpillement et de la pression des analyses financières à court terme ?
L’entreprise a créé en 1988 un Collège Scientifique et Technique chargé de conduire une réflexion globale et approfondie sur les technologies émergentes, de mener des actions de décloisonnement scientifique et technique, de participer à la définition du contenu des formations techniques spécifiques au groupe, enfin de proposer des idées novatrices en matière de technologie et de systèmes.
150 experts ont été identifiés parmi les 10.000 chercheurs, et classés en diverses catégories : les plus nombreux sont les "R" comme Recherche, mais il y a aussi des "M" comme Management et des "E" comme Emérite, pour les chercheurs à la retraite encore actifs. Les postes de "M", peu nombreux, sont une façon de reconnaître la technicité de certaines personnes qui ont des fonctions de manager ; ils permettent également d’injecter un peu de réalisme et d’orienter les actions concrètes ; ils servent enfin de relais efficace vers les autres responsables de l’entreprise.
Les membres du collège sont recrutés pour 2 ans, pour les plus jeunes, ou pour 5 ans, pour les seniors ; ils perçoivent une prime dont une partie est fixe et l’autre dépend de leur créativité et de leur impact au sein du groupe de travail auquel ils participent (sur proposition de l’animateur du groupe); cette prime est totalement indépendante de leur rémunération au sein de leur division d’origine. L’appartenance au collège leur apporte en outre une reconnaissance sociale importante au sein de l’entreprise mais aussi à l’extérieur.
L’action du collège repose sur des groupes de travail qui réunissent des personnes issues de différentes unités ; les propositions de groupe de travail sont faites par les membres puis validées par le bureau (certaines sont trop fantaisistes). Chaque groupe de travail vit entre 6 mois et 1 an, et doit produire obligatoirement un rapport de synthèse (s’il n’est pas fourni à la date prévue, la prime des membres du groupe est supprimée). De 1988 à 1995, ces travaux ont abouti à 49 rapports qui ont permis de faire des recommandations en matière de recherche et de développement : les chercheurs ont souvent des difficultés à convaincre leur direction du bien-fondé de telle ou telle idée ; c’est beaucoup plus facile lorsqu’elle a fait l’objet du travail d’un groupe et d’une validation collective.
En revanche le collège n’a aucun pouvoir de décision, en particulier sur le plan financier, ce qui générerait des conflits. Il joue cependant un rôle de filtrage des projets en matière d’investissement, en tenant compte non seulement des critères des techniciens, mais aussi des plans stratégiques des différentes divisions. Une fois débroussaillés, certains sujets peuvent être développés par des Groupements de Recherche du CNRS mobilisés par le collège. Le bilan pour l’entreprise est très positif : résolution des problèmes de transversalité dans l’entreprise, désenclavement des unités isolées (notamment à l’étranger), approche efficace et collective des questions techniques de pointe. Le travail du collège a également permis de mettre fin à certaines activités, comme certains projets en matière de micro-électronique qui n’auraient pas trouvé de débouché sur le marché du fait de la disponibilité prévisible d’autres produits concurrents plus performants ; l’entreprise a ainsi épargné beaucoup de temps et d’argent.
En principe, c’est le collège qui effectue les recrutements, parfois sur proposition de la hiérarchie ; les candidats sont "testés" directement en participant à quelques réunions du groupe.
Dans les situations de fusion ou d’acquisition de groupes extérieurs, ce collège a également joué un rôle clef, en permettant aux experts d’origines différentes de se rencontrer autour de problèmes scientifiques et techniques et de partager peu à peu la même culture.
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, France
Comment se consacrer à l’action concrète tout en gardant une vision stratégique à moyen et long terme ? Pour les entreprises, c’est une question de survie que de savoir se poser des questions fondamentales sans jamais cesser la production ; dans le cas de Thomson, la création du collège et d’un arsenal complexe de primes et de modes de reconnaissance divers ont permis de motiver les experts sur la réflexion à long terme sans les débaucher de leur division d’origine. Chez Renault, les experts sont souvent engloutis dans le maëlstrom qu’engendre le développement d’un projet, et ont du mal à capitaliser les connaissances - sans même parler de prévoir l’avenir (voir la fiche "Capitaliser les savoirs dans une organisation par projets"). Comment ces deux dimensions sont-elles prises en compte dans les organisations humanitaires ? Comment s’assurer, par des dispositifs de gestion adéquat, que la réflexion sur le sens de l’action va de pair avec l’action proprement dite, et qu’on évite les deux pièges d’un débat stérile et d’un activisme ne répondant à aucune véritable stratégie ?
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SPITZ, Erich, WEISBUCH, Claude, VACHER, Béatrice, Impliquer les experts dans le pilotage de la RD : le collège scientifique et technique de Thomson-CSF - séminaire 'Ressources technologiques' in. Les Annales de l'Ecole de Paris, 1998 (France), IV
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