Un management musclé au détriment de la prudence et de la citoyenneté ?
08 / 1999
Comment séduire les géants mondiaux de l’automobile quand on est petit, seul, mal portant et de surcroît français ? Le pari de Noël Goutard, lorsqu’il prend la présidence de Valéo en 1987, est loin d’être gagné d’avance. En quelques semaines, il adopte une série de mesures énergiques : il dissout le comité de direction, hostile à toute immixtion de l’actionnariat, et nomme de jeunes cadres à qui il assure de bons salaires et propose une stratégie claire et donc motivante. Depuis plusieurs années, l’entreprise s’était engagée dans une politique de diversification qui inquiète le personnel quant à l’avenir du secteur automobile, accapare une partie des investissements et des ressources de RD (Recherche et Développement), ainsi que l’attention du management ; ces activités sont vendues, les fonds obtenus permettent de renflouer les caisses et de rassurer les deux principaux clients, Renault et PSA, sur la viabilité de l’entreprise.
Ces mesures radicales ont ainsi, selon N. Goutard, une valeur de "propagande", qu’il considère comme un élément clef de sa stratégie : les clients aussi bien que les salariés ont besoin de messages simples et clairs. Selon lui, par exemple, le bilan, le compte d’exploitation, les critères de gestion laissent les salariés indifférents : ils savent que tout cela est complexe et sujet à manipulation. En revanche, dire qu’il faut, comme dans l’économie d’un ménage, faire entrer du "cash" et équilibrer les recettes et les dépenses, est un message que tout le monde peut comprendre et assimiler.
Comme le nouveau directeur de Valéo ne veut pas dépendre trop des constructeurs français, il se lance dans une politique d’acquisitions internationales qui doit lui assurer de nouvelles parts de marché et lui permettre de peser face aux géants de la concurrence. Ces achats entraînent un endettement massif ; de plus, certaines des sociétés acquises ont de mauvais résultats. Valéo stoppe alors les investissements et se lance dans une politique de consolidation et d’intégration des filiales étrangères : il s’agit à la fois de se concentrer sur neuf fonctions automobiles qui représentent le cour de métier (les secteurs marginaux sont à nouveau cédés, ce qui allège l’endettement)et de mobiliser l’ensemble des personnels sur cinq axes compréhensibles par tous : implication du personnel, système de production, intégration des fournisseurs, innovation constante et qualité totale. Le passage de 500 à 2 300 ingénieurs de RD entre 1987 et 1994, et des réductions de coûts drastiques qui se traduisent notamment par une compression de personnels (de 35 000 à 26 000 entre 1990 et 1994), font partie des éléments qui expliquent les excellentes performances financières que Valéo obtient aujourd’hui.
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, France
Le concept de prudence, analysé par Michel Villette dans une autre séance de l’Ecole de Paris (voir fiche 42)paraît intéressant d’appliquer à l’histoire récente de Valéo. Son directeur général met en effet en avant les principes de "clarté" et de "simplicité" dont il a prouvé l’efficacité : "Il ne faut pas être trop intelligent pour diriger une entreprise : il faut être simple, basique ". Mais selon la définition de M. Vilette, la "simplicité" et le côté "basique" sont à l’opposé de la notion de prudence, qui se caractérise par l’art d’associer des qualités contradictoires et complémentaires, mais aussi par le souci de se fixer des objectifs généraux qui intègrent, outre les bonnes performances boursières, des choses aussi exotiques que le bonheur des clients, des salariés, de leur famille, etc. : le bien individuel passe nécessairement par le bien commun, et donc par le souci de la vie de la cité tout entière. Or cette entreprise ne passe pas pour un modèle de prise en compte de telles préoccupations ; selon l’un des participants, les méthodes de gestion sont très brutales : il cite un stagiaire qui a démissionné et affirme que les cadres de Valéo sont des "tueurs ". De plus, on peut se demander s’il est bien "prudent", de la part du président de Valéo, de compter que l’Amérique du Sud pourrait augmenter sa production automobile de 50 pour cent en quelques années, que le marché chinois va exploser, que "la soif inextinguible de l’individu pour l’automobile" se confirmera en Asie aussi, et qu’il est raisonnable de fonder l’ensemble de ces calculs sur la progression démographique attendue (10 milliards d’habitants d’ici 25 ans); de ne songer ni à l’épuisement des ressources pétrolières, ni à la pollution massive qu’entraînerait un tel développement de l’automobile, et d’avoir renoncé à toute diversification.
La question plus générale que pose le style de management prôné par N. Goutard consiste à savoir à quel niveau il est souhaitable d’introduire un peu de cette complexité qui, selon M. Villette, fonde la prudence : faut-il considérer que chaque acteur doit se conduire en fonction de ses intérêts immédiats, sans se préoccuper du bien commun, et que ce dernier sera produit comme par magie par la somme de ces actions "égoïstes" ? Faut-il considérer au contraire que, à tous les niveaux, dans son intérêt même, l’entreprise doit se poser des questions qui relèvent de ce qu’on appelle la "citoyenneté", et que le bien commun ne peut être atteint que lorsque chacun en fait sa préoccupation fondamentale ?
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GOUTARD, Noël, LEFEBVRE, Pascal, Réussir par la fermeté - séminaire 'Vie des Affaires' in. Les Annales de l'Ecole de Paris, 1995 (France), I
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