11 / 1999
Les sociétés traditionnelles africaines n’étaient pas, certes, égalitaires mais l’organisation socio-politique qui y prévalait permettait aux populations de participer au processus décisionnel. Grâce aux mécanismes de régulation sociale des conflits, elles avaient pouvoir de sanction en s’appuyant sur des relais d’opinion co-existant avec des institutions modernes héritées de la colonisation ; ces dernières n’étant pas les seules formes d’expression du pouvoir. C’est avec le développement du phénomène "Etat-Parti" que ces sociétés ont progressivement perdu les principes démocratiques et de transparence qui régissaient leur fonctionnement.
De nos jours, c’est inquiétant de voir les énergies et efforts (sur les plans financier, humain et institutionnel)consentis par les bailleurs de fonds (notamment l’Union Européenne en direction des ACP)au nom de la "bonne gouvernance". Inquiétant quand on sait qu’une telle façon de procéder est inefficace et risque de menacer les acquis démocratiques de certaines de nos sociétés pour les raisons suivantes :
a)D’abord parce que la bonne gouvernance doit être perçue de façon transversale, c’est-à-dire touchant tous les niveaux où la participation de la société civile dans la gestion transparente des questions de la Cité pose problème, mais ne saurait être considérée comme un enjeu (le terme le plus approprié serait "issue" en anglais)isolé en soi.
b)Ensuite, l’enjeu est plus de réhabiliter l’équilibre politique que permettait la co-existence de plusieurs institutions traditionnelles (coutumières , religieuses)avec les institutions modernes tel que l’Etat. Au Sénégal, la communauté Leboue était si bien stratifiée qu’elle avait l’équivalent des trois pouvoirs : Exécutif , Législatif et Judiciaire pour ne citer que cet exemple.
L’Etat n’est pas la seule forme d’expression du pouvoir dans les sociétés qui ont pu préserver leur façon de penser et d’agir. A la "Culture du Pouvoir Moderne/Etatique", s’opposait le "Pouvoir de la Culture".
Dans certains cas où l’Etat avait fait son aveu d’impuissance face à la dégradation des ressources halieutiques (ressources provenant de la pêche), des communautés de pêcheurs ont pu imposer des règles internes régulant l’accès aux ressources. Par exemple, les pêcheurs du village de Kayar au Sénégal ont réussi à limiter les quantités de poisson à débarquer par unité de pêche et par jour, alors que l’administration de pêche ne pouvait imposer une telle loi eu égard aux coûts socio-politiques que cela pourrait engendrer.
Avec l’avènement des Etats et le pouvoir excessif dont ils jouissent sur les populations, cet équilibre s’est rompu progressivement. Les politiques de Décentralisation contribuent progressivement à la rupture de cet équilibre dans la mesure où le Pouvoir de l’Etat Central, par le biais de ses mairies d’arrondissement, entre en conflit avec les différentes formes de pouvoir coutumier.
Cette attitude subtile des Etats dans le contexte de la Décentralisation mérite de se poser la question suivante : quelle place devraient-ils occuper dans les programmes appuyés par l’UE au nom de la "bonne gouvernance"?
c)Enfin, la "bonne gouvernance" est pour moi une attitude, un comportement vis-à-vis de l’autre. Une question de bonne foi. Elle me rappelle le beau débat sur des thématiques comme le développement participatif, les relations de genre ou les programmes à caractère environnemental.
Pendant ces dernières années, ces thèmes ont permis à des acteurs du développement tels que les Etats, les ONG que nous sommes, et les organisations baptisées avec grossière erreur "organisations de base ou de masse", de capter une partie de la "rente du développement" sans qu’il y ait une réelle volonté de faire bouger les choses. Personne n’est prêt à changer d’attitude et de comportement vis-à-vis de l’autre, de son environnement.
decentralization, traditional power, governance, traditional society
, Senegal, Kaolack
A.Sall est responsable du CREDETIP, ONG maritime sénégalaise ; co-fondateur et administrateur d’ICSF (International Colective in Support of Fishworkers)dont le siège est à Madras et son bureau de liaison à Bruxelles ; et administrateur du "Programme de valorisation des pertes après captures", financé par les fonds FED de l’Union Européenne pour les seize pays de la CEDEAO. Le Secrétariat Technique de ce programme est basé à Abidjan. L’expérience acquise à travers ce programme a fait l’objet de fiches consultables dans la banque d’expériences. Plusieurs autres fiches produites par l’auteur sont également disponibles dans la banque d’expériences.
Le texte original de cette fiche est une intervention de l’auteur dans le cadre du forum UE-ACP, diffusée le 30 juin 1999 sur le site Web du Débat Public UE-ACP : http://www.ue-acp.org/fr/forum/. Elle a été sélectionnée pour le dossier préparatoire au forum des habitants qui s’est tenu à Windhoek, Namibie (12-18 mai 2000)dans le cadre du sommet Africités.
Original text ; Internet forum
CREDETIP (Centre de Recherche pour le Développement des Technologies Intermédiaires de Pêche) - B.P. 3916 Dakar SENEGAL - Tél. : (221)821.94.62 - Fax : (221)821.94.63 - Senegal - credetip (@) sentoo.sn