Il existe un lien évident entre la spéculation immobilière et le manque de logements « sociaux ». Quand le marché immobilier se portait bien, les promoteurs pouvaient facilement faire des « affaires » en achetant les immeubles en dessous de leur prix auprès de vendeurs peu informés, pour les revendre au dessus de leur prix à des acheteurs heureux de pouvoir se payer un bien de « valeur » et d’avenir.
Mais quand dans les années 1990, le marché immobilier s’est effondré, les promoteurs n’ont pas voulu vendre en dessous d’un prix estimé les biens achetés, et les stocks devinrent importants et l’offre restreinte. Hors de question, bien sûr, de réorienter ces immeubles en logements sociaux, à faible intérêt financier. L’offre de logements vint donc à manquer par la seule volonté des « investisseurs » ou des « spéculateurs ».
La cas de l’immobilier est révélateur, mais le lien entre spéculation et exclusion est en fait multiple. Tout achat à crédit perd 20 % de sa valeur dés l’instant où vous l’avez acheté, mais d’un autre coté, cet argent prété prend 20 % du fait des intérêts. Cet écart de 2 fois 20 % assèche l’économie au bénéfice de « professionnels » et au détriment de l’emprunteur. Si ce dernier ne prend garde à limiter sa consommation, les difficultés apparaissent et génèrent un risque d’exclusion.
Certains de ces futurs exclus, dont le pouvoir d’achat ne correspond pas à leurs désirs (ou à leurs besoins)feront alors appel à l’aide social pour s’en sortir. Ils chercheront à trouver par ce biais un logement (qui ne peut être que temporaire)ou d’autre biens leur permettant de « vivre ».
Car qui ne consomme pas ne « vit » pas. L’absence de moyens financiers le met non seulement à distance de notre société, basée sur la logique économique et donc sur la consommation, mais aussi à distance de lui même, n’ayant pas la possibilité d’accéder à ses désirs. Le soutien social devrait lui permettre de réduire l’écart entre ses désirs et les possibilités de les réaliser. Il doit permettre à celui qui ne peut pas payer ….. de payer.
Mais le jeune qui bénéficie d’un soutien n’a pas la même logique que le travailleur social, dont le rôle est de lier le soutien accordé à une logique de projet : " tu resteras dans le foyer si tu payes ta redevance et si tu acceptes la formation que je te propose ». Pour le jeune, le soutien lui permettra d’abord de réaliser ses désirs, de subvenir à ses besoins au jour le jour, bref « d’exister »…. Profitons présentement de ce soutien, on verra demain comment on payera.
Les logiques de projet et les logiques du quotidien s’affrontent donc.
Le rôle du travailleur social est bien de ré-inserer le jeune parti à la dérive. C’est non seulement son rôle, mais aussi son métier ; il est payé et encadré pour cela. En contrepartie du soutien apporté par la société par son intermédiaire, il doit orienter le jeune, l’encadrer, voire lui imposer certaines règles comme de ne pas héberger d’autres personnes dans son foyer, ce qui souvent est contraire à de nombreuses règles d’hospitalité.
Finalement, il doit faire partie d’un système souple de contrôle, en mettant les gens sous perfusion financière stricte et étroite, et les maintenant dans une dépendance hypothéquée à l’avenir et sans accepter de leur donner l’autonomie du présent.
Mais, le travailleur social lui même est tributaire des subventions que son association reçoit pour ses travaux. Son association et lui même doivent tenir un discours sur l’exclusion pour exister, se faire une place dans le « marché » du social. La société donnera de l’argent pour que des gens donnent sens à leur action sociale en découpant l’exclusion par des critères justifiant à postériori leur travail d’aide et leur salaire. La situation de l’exclu ne sera perçue qu’à travers ces critères (je peux loger les moins de 25 ans, et plus facilement ceux qui possèdent déjà un salaire), source d’existence pour l’association et ses salariés…
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, France
Emmanuel Lohier sait de quoi il parle. Son expérience professionnelle de 8 ans dans l’immobilier privé et de 3 ans dans les logements sociaux lui ont apporté le recul et la clairvoyance nécessaire à une analyse pertinente des domaines de l’insertion / exclusion et du logement. Il met en lumière les trop nombreux disfonctionnements de notre société de consommation.
Il parle avec son c ur, et avoue lui même « osciller entre explications techniques et présupposés moraux ». On ne peut qu’approuver ses analyses peu optimistes. Au fil de la lecture (pas toujours facile, tant le style est parfois lourd et les concepts exposés parfois complexes), on se sent petit à petit enfermé dans des rouages quasiment inébranlables, et ce jusqu’à sa froide conclusion, aveu d’impuissance et d’échec, mais aussi véritable synthèse du document :
« D’un coté la spéculation qui détruit, et de l’autre tous ceux qui ne peuvent survivre qu’avec les aides sociales diverses lesquelles, en voulant aider, ne font que renforcer souvent les logiques de la société dont elles sont censées combattre les effets pervers. Quelle en est la sortie ? »
Book
LOHIER, Emmanuel, Histoires d’insertion, Charles Léopold Mayer in. Document de travail, 1996 (France), n° 87
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