Une aventure éditoriale franco-chinoise sur les termes du dialogue interculturel ; de petits livres sur des thèmes universels pour aider un public large à aller au-delà du sens apparent des mots.
10 / 1999
Je ne voyais vraiment pas l’intérêt de rencontrer cette dame à Pékin, mais Alain Le Pichon avait insisté, insisté, et je ne pouvais pas faire autrement. Nous étions en 1995, en mission pour la Fondation Charles Léopold Mayer, j’étais en Chine pour la première fois de ma vie : une expérience émouvante, entre parenthèses, pour tous ceux de ma génération auxquels on a raconté, dans les collèges des années 50, que les Chinois étaient des humains à part, automates et pions d’un système quasiment martien... Dans cette nouvelle Chine qui n’avait plus rien à voir avec les clichés d’antan, j’étais surtout impatient de contacter des gens de l’édition et des sciences sociales, mais sûrement pas la directrice de l’Institut de Littérature comparée de l’Université de Pékin même si elle avait organisé, avec la Fondation Transcultura, un bien intéressant colloque itinérant sur le thème des <malentendus dans la recherche de l’universel>. Et ce fut le choc. Cette dame de petite taille et de grand âge, qui parlait l’anglais d’Oxford et qui, de révolution culturelle en camps de rééducation avait voulu, contre vents et marées, résister à la tentation de l’exil et continuer d’enseigner en Chine, m’a convaincu en un rien de temps que nous étions proches et que nous étions lointains, que, de l’Empire du Milieu au milieu de l’Occident, les mêmes mots ne voulaient pas du tout dire la même chose, qu’il fallait dire et élucider nos malentendus interculturels pour construire demain un monde moins conflictuel. <Je rêve depuis longtemps, me dit-elle, de faire rédiger par mes étudiants de petits livres sur les grands thèmes universels, où l’on verrait ce que l’on met sous un même mot, du côté chinois comme du côté français.>. Sur ce concept de base, nous en sommes vites venus à la proposition d’une aventure interculturelle commune, où nous ferions, sur cette collection, travailler autant les Français que les Chinois. L’idée de la collection <Proches-Lointains>était lancée, en même temps que s’étoffait ainsi notre projet de Bibliothèque Interculturelle pour le Futur, pour laquelle le contact avec la Chine fut décisif.
Ce premier contact ne pouvait évidemment pas suffire à lancer l’opération. Il fut suivi de deux grands rencontres franco-chinoises : celle de Nankin en 1996 et celle de Villarceaux en 1997. Ces rencontres, qui rassemblaient de part et d’autre des éditeurs, des universitaires, des écrivains, des traducteurs, ont permis de mettre sur pied plusieurs projets allant tous dans le sens d’un éclaircissement - par voie éditoriale - des termes du dialogue entre les deux civilisations : essentiellement un dictionnaire des mots-clé du dialogue Chine-Occident sur lequel travaillent actuellement des Chinois, des Européens et des Américains, en lien avec les Presses de l’Université de Harvard, les éditions La Découverte et l’Université de Guangzhou ; la publication de divers ouvrages d’actes des colloques sino occidentaux (<La Licorne et le Dragon>en particulier); une revue <Dialogues>sino-européenne publiée déjà à deux reprises par les Presses Artistiques et Littéraires de Shanghai (PALS)et bientôt reprise en France avec la revue <Alliages>diffusée par Le Seuil ; enfin, la collection <Proches Lointains>, dont les quatre premiers volumes viennent de paraître aux éditions Desclée de Brouwer avant d’être édités dans leur version chinoise aux PALS. Des livres (<La mort>, <La nature>, <Le rêve>, <La nuit>) où, dans chaque cas, un écrivain chinois et un écrivain français disent leur expérience et leur sensibilité propre par rapport au thème, et comment, dans leur civilisation, philosophes, écrivains et poètes en ont parlé, quels mythes y sont associés, quelles représentations en sont construites.
Cette collection est dirigée par Mme Yue Dai Yun, par Jin Sian, une de ses anciennes élèves aujourd’hui enseignante à l’Université d’Artois et à l’ENA - une médiatrice de premier ordre - avec la collaboration de Catherine Guernier. Son lancement, en septembre 1999, a eu un certain retentissement. C’est une des rares collections soutenues par la FPH que l’on trouve un peu partout en librairie, qui bénéficie d’une bonne presse, et dont l’originalité est bien comprise, non seulement du milieu littéraire et intellectuel, mais aussi, ce qui est le plus important, de gens qui travaillent dans les affaires ou dans les relations internationales, et qui ont des rapports avec la Chine. C’est exactement ce que nous voulions : la réflexion sur le dialogue entre civilisations ne nous a pas attendu pour se faire. Yu Shuo montre bien d’ailleurs, dans un dossier pour un débat qui paraîtra bientôt, qu’elle remonte à plusieurs siècles. Mais cette réflexion est généralement à mille lieues du courant d’échanges commerciaux ou diplomatiques qui s’opère de toute façons entre l’Europe et la Chine. Pouvoir intéresser un vaste public à ces livres, aider à faire se rejoindre non seulement les deux univers géographiques mais aussi l’univers intellectuel et l’univers économique, telle a toujours été notre ambition. La littérature, en l’occurrence, sert de trait d’union, puisque cette collection a été rédigée, et continuera de l’être, par des auteurs dont la moitié viennent de la littérature.
cultural interdependence, literature
, China, France
Il est encore trop tôt pour apprécier l’impact de cette opération. Si nous la considérons comme une aventure dont nous sommes plutôt fiers, c’est que, dans le quotidien de nos contacts, nous voyons que l’existence de ces livres provoque chez beaucoup de nos interlocuteurs l’expression d’une vraie curiosité interculturelle, d’une conscience de la nécessité d’aller plus loin dans le compréhension de l’autre. Finalement, ce sont peut-être les libraires français qui l’ont le plus mal compris : ils ont une fâcheuse tendance à classer ces livres dans le rayon ésotérisme et spiritualité...
Book
(France)
FPH (Fondation Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme) - 38 rue Saint-Sabin, 75011 Paris, FRANCE - Tél. 33 (0)1 43 14 75 75 - Fax 33 (0)1 43 14 75 99 - France - www.fph.ch - paris (@) fph.fr