Dans la mesure où nous avons assumé la priorité des acteurs de l’expérience à devenir les auteurs de sa capitalisation, il en résulte une caractéristique des connaissances à recueillir et à diffuser : ce sont d’abord des connaissances pour l’action.
Il ne s’agit pas là de procéder par négation mais bien par affirmation. Afin de ne pas brider l’expression des acteurs d’expérience, il est important qu’ils s’adressent en premier lieu à leurs proches, à leurs collègues, à leurs interlocuteurs quotidiens du terrain. Le dialogue y est plus facile, plus sincère et plus dense. On y ressent moins le poids des hiérarchies et des jugements.
Et puis c’est là une manière d’enrichir directement la pratique, donc l’expérience, et de la réaffirmer ainsi en tant que source de connaissances.
Faut-il y voir une volonté d’exclusion des chercheurs, des penseurs, des théoriciens ? En aucun cas. Au contraire, on pourrait plutôt parler d’un désir de relancer un dialogue actuellement rudimentaire et souvent inexistant en offrant le terrain commme lieu et axe de rencontre.
Il y a en général une incommunication fondamentale entre chercheurs et praticiens. C’est ce que nous constatons journellement dans la réalité. Mon expérience en communication m’a appris que, là où le contact est difficile, il est mille fois préférable de se mettre à l’écoute du dialogue ENTRE ceux vers qui on s’approche et de voir la manière de s’y insérer progressivement (ce qui n’est pas toujours possible) que de prétendre se poser en interlocuteur AVEC qui débattre.
Si nous réussissons à multiplier les capitalisations, donc les échanges et les débats autour de l’action, ses acquis et ses doutes, il y aura là pour les spécialistes du laboratoire bien des occasions pour mieux comprendre le terrain, ses subjectifs, ses contraintes, ses potentiels, bien des questions à recueillir et à travailler, bien des manières de mieux présenter les apports de leur propre travail afin qu’ils soient utilisables dans la pratique. Il y aura là une autre ambiance pour le dialogue avec un terrain plus sûr de lui et donc plus apte à partager. Il y aura enfin des possibilités de rencontres avec l’abstraction telle qu’elle s’exprime autour de l’action dans bien d’autres cultures.
Quel plaisir d’avoir assisté en septembre 1992 à la présentation publique du premier livre de la capitalisation du Priv à Cajamarca : un philosophe-ethnologue et un géographe-anthropologue commentaient les trouvailles des ingénieurs civils sur l’organisation paysanne andine autour de l’eau !
Alors, des connaissances pour l’action, qu’est-ce que c’est ? Ce sont des connaissances qui aident à développer les capacités des acteurs, c’est-à-dire leur savoir, leur savoir-faire et leur pouvoir.
Leur savoir car la formation professionnelle est généralement spécialisée et la réalité est un tout qui supporte mal les cloisonnements académiques. En dehors de l’enrichissement de leur propre spécialité, les acteurs ont besoin d’une vision globale « transdisciplinaire » et la capitalisation peut y contribuer énormément en reprenant la globalité de l’action.
Leur savoir-faire, ce que l’on appelle le « métier » et ses « trucs » que l’on apprend dans la pratique, plus vite avec l’aide d’un ancien, et que l’on complète, raffine et corrige avec l’expérience et les changements de contexte.
Leur pouvoir. Le mot paraît souvent importun, ou bien il est négligé, mais l’action est d’abord une série de prises de décision et elle a besoin d’un pouvoir de négociation, d’un pouvoir de décision, de pouvoir en général. Les rapports de pouvoir sont à la base de l’action, il ne s’agit pas de les nier mais plutôt de mieux les partager. Il en est d’ailleurs de même pour la recomposition du savoir: elle passe par une redistribution du pouvoir entre la théorie et la pratique, entre cultures, entre professions…
Prioriser la production de connaissances pour l’action c’est rechercher le dialogue de savoirs et donc un effort collectif, entre tous, de recomposition du savoir et de la pratique.
research and development, recomposition of knowledge, knowledge and power relations, reflection and action relations, disciplines decompartmentalization, experience capitalization
, Latin America
Il n’y a pas de séparation rigide entre des connaissances pour l’action et d’autres pour la théorie. En fait c’est surtout dans la mise en forme des acquis de l’expérience que s’établit la différence. La capitalisation se préoccupe moins de la formulation théorique rigoureuse, qui entraîne aujourd’hui dans bien des cas un langage spécialisé vite hermétique pour le terrain, que d’offrir aux acteurs et de manière accessible des références et des critères (ce qui suppose toujours une réflexion théorique).
La capitalisation du PRIV : Proyecto de Riego Inter-Valles, à Cochabamba-Bolivie, avec la Coopération Allemande, était financée par la GTZ. Le livre : « Dios da el agua, ¿qué hacen los proyectos? » La Paz 1992, Hisbol-Priv, 250 pages. Les auteurs : H. Gandarillas, L. Salazar, L. Sánchez, L.C. Sánchez et P. de Zutter.
Fiche traduite en espagnol : « Capitalización: Conocimientos ante todo para la acción »
Ce dossier est également disponible sur le site de Pierre de Zutter : p-zutter.net
Version en espagnol du dossier : Historias, saberes y gentes - de la experiencia al conocimiento