Depuis 1984 le Pput avait charge de proposer et lancer une politique d’utilisation des sols au Paraguay. Il avait tout essayé, depuis le grand forum national jusqu’au projet pilote de terrain. Mais les résultats ne correspondaient pas à l’attente. Début 1991, le Pput était sur la corde raide.
D’autant plus qu’une équipe d’évaluation n’avait pas apprécié le premier déblocage : au lieu de s’enfermer dans la promotion forestière qu’attendaient les spécialistes, le projet avait repensé son rôle dans ce Paraguay qui se réveillait d’une longue léthargie bâillonnée ; il s’agissait d’abord d’aider à la construction d’un imaginaire commun, d’une culture du développement ; pour cela l’expérience est un capital essentiel ; et l’expérience paysanne et indienne d’utilisation des sols est sans doute le plus grand capital sur lequel le pays puisse compter.
Le projet avait donc multiplié en 1990 les réunions et les débats pour aider à libérer la parole emprisonnée pendant des décennies, pour créer les conditions d’un dialogue, d’une concertation entre différents secteurs professionnels, entre le terrain et le centre, entre techniciens et paysans.
En 1991, deuxième déblocage, il entreprit de faire circuler la teneur de ces débats. Trois petits livres avaient pour mission de diffuser les questions, les polémiques et les acquis de plusieurs séminaires et tables rondes. Circuler l’information en tant que telle et non plus seulement la proposition sérieuse et bien léchée: c’était un grand pas en avant !
Le contexte national était favorable. Malgré les railleries d’experts très « scientifiques » sur ce projet « simple transcripteur de séminaires », les réactions se multipliaient, le dialogue s’élargissait. Un nouveau petit livre vint favoriser un troisième déblocage. « Los caminos de la diversidad » était une réflexion de fond sur les tenants et les aboutissants de la planification des sols dans le contexte paraguayen, c’est-à-dire sur le contexte administratif, idéologique, conceptuel, social, culturel, économique dans lequel se faisait la planification. Mais ses chapitres s’étayaient et s’égayaient grâce à d’innombrables encadrés de toutes sortes apportés par le terrain, par les techniciens, par les spécialistes. La parole à diffuser n’était plus seulement celle des spécialistes de l’écriture : tous pouvaient dire et publier, depuis leur expérience, depuis leur vécu ! La peur du bâillon et du ridicule s’estompait…
Cette démonstration dynamisa alors ce qui était devenu depuis la fin 1991 la principale activité du projet : capitaliser les expériences du terrain. Voilà qu’un projet de coopération internationale engageait des experts à court terme non plus pour venir enseigner ou proposer sinon pour aider à capitaliser ! Et de plus en respectant une bonne diversité d’approche et de méthode : comparaison avec d’autres expériences de terrain, rigueurs de l’approche systémique, dialogues oraux et dessinés avec les paysans, jeux de mots et d’idées. La capitalisation n’était pas un nouveau « paquet méthodologique » à appliquer mais une attitude et un besoin dont il fallait découvrir les formes et les pratiques pour enrichir les relations Etat-paysan, micro-macro, réflexion-action, paysan-technicien : la capitalisation au centre de l’art des relations ! C’était le quatrième déblocage…
Le cinquième survint en comprenant qu’il y a dans l’expérience un capital qui se renouvelle et un autre qui s’accumule. L’important n’est pas seulement dans les informations et les savoirs qui ont vocation à durer, il est aussi dans ces leçons utiles pour quelques mois ou quelques années mais qui seront bientôt dépassées par l’expérience elle-même. Tous deux méritent diffusion ; nous avons besoin que tous deux circulent. Alors la capitalisation put comprendre aussi bien des textes pléthoriques de questions, de doutes et de récits que d’autres consacrées à proposer, pour un ici et maintenant concret (cette proposition est en soi une expérience), ou d’autres à manière de bilan structuré des pratiques agroforestières recensées, etc.
experience enhancement, traditional knowledge enhancement, methodology, information, communication, micro macro relations, State and civil society, planning, ecology, experience capitalization
, Paraguay
A la mi-93, plus personne ne discute au Paraguay de l’utilité du Pput : il a tellement aidé, il a tellement apporté ! Les critiques à ses tentatives de projet-pilote, les étonnements face à ses publications ont laissé place à une recherche du débat, du dialogue, de la collaboration. Grâce à sa priorité à la capitalisation (de soi mais surtout des expériences paraguayennes les plus accessibles) le Pput a commencé à constituer une sorte de Fonds Patrimonial paraguayen, aussi bien sur la Planification de l’Utilisation de la Terre que sur tout ce qui l’entoure : les optiques et méthodes de planification ; le rôle des savoirs traditionnels ; les concepts et les pratiques de développement ; les relations agriculture-élevage-forêt dans les tropiques; l’écologie, la conservation et le développement ; la vie et la production…
C’est la capitalisation d’expériences qui a sauvé le projet. C’est elle qui l’a rendu utile au pays en lui permettant de s’accorder à ses urgences et à ses possibilités au lieu de sombrer dans ses objectifs spécifiques. C’est elle qui a redonné l’euphorie et la confiance à un personnel qui se sentait frustré et incompris. C’est elle qui a permis au Paraguay de passer du statut d’importateur de modèles de développement à celui d’exportateurs d’expériences à réfléchir.
Au début, il était programmé de diffuser les résultats des expériences, à manière de bilan fermé et a posteriori d’un projet qui se termine. L’optique de capitalisation a transformé cette activité en axe de l’action présente : c’est elle qui anime actuellement bien des débats et des pratiques de la planification et l’aménagement du territoire, du développement en général.
De 1991 à 1993 le PPUT : Proyecto Planificación del Uso de la Tierra, GTZallemande et DGP du MAG, Paraguay, a publié 17 ouvrages sur ses expériences (de débat et d’action). Sur l’expérience de capitalisation voir chapitre 6 du livre N°13 « La vaca, la soja y el árbol » (traduction française disponible).
Fiche traduite en espagnol : « Paraguay 1991-1993 : cuando la capitalización salva un proyecto… »
Ce dossier est également disponible sur le site de Pierre de Zutter : p-zutter.net
Version en espagnol du dossier : Historias, saberes y gentes - de la experiencia al conocimiento