Félicité TRAORE, Maryvonne CHARMILLOT, Séverine BENOIT
12 / 1998
Madame Félicité Traoré, CAPEO (Cellule d’Appui à la Petite Entreprise de Ouagadougou): « Selon ma petite expérience, je pense que l’aide (bilatérale)en général est assez bien pensée; un gouvernement des pays développés veut aider un gouvernement des pays sous-développés et des populations sous-développées. Il faut voir les intentions à la base. Car ce sont des hommes et des femmes qui travaillent et en général les gens n’ont pas les mêmes motivations. C’est la manière d’exécuter les programmes qui laisse à désirer.
Par exemple, je connais des projets ou des programmes où l’aide extérieure « connaît mieux » que le bénéficiaire lui-même ! L’aide arrive avec un plan défini alors que la population a un autre besoin. Comment arriver à tenir compte de ces besoins-là s’ils n’ont pas été définis à la base ? Il y a plein de projets et programmes où c’est pratiquement impossible. Le projet ou programme a été défini pour faire ceci ou cela, alors qu’en général les populations ont une autre priorité. Si vous laissez la priorité une pour satisfaire la priorité deux, de toutes façons ce ne sera pas reçu de la même façon que si vous mettez en place un programme pour satisfaire la priorité une. Même si c’est évident que telle priorité des gens est la priorité une, les bailleurs disent souvent que ce n’est pas là un projet porteur de développement, ou bien que ce n’est pas leur domaine d’intervention ou leur philosophie d’intervention. Que l’aide définie à la base soit vraiment en conformité avec les populations, c’est cela qui, très souvent, pèche. Il faut être souple. Sinon, je pense que l’aide en général c’est une bonne chose. Mais il ne faut pas mettre en place des programmes qui créent une population dépendante de l’aide. Il faut des programmes qui permettent aux populations de se prendre en charge. Un partenariat solide se construit sur la base de négociations assez transparentes et de négociations entre deux parties à égalité. C’est à dire qu’aujourd’hui vous arrivez, moi j’ai un programme, vous vous avez votre priorité dans le cadre d’activités précises. Moi je dis : « Nous on a ceci, nous on a cela; moi, je mets cela, toi tu mets cela; moi j’attends cela, toi tu attends cela et ainsi de suite ». Là le partenariat est négocié sur une base solide. Mais à partir du moment où un bailleur de fonds démarre seul quelque chose et qu’il vous a coopté entre temps, vous êtes dans le feu de l’action et il y a souvent des choses que vous êtes obligée d’accepter parce que vous voulez que cela continue. Là, ce n’est pas un partenariat étroit et à partir d’un certain temps c’est difficilement gérable. Le partenariat réussi est celui qui part sur la base de deux parties qui se respectent mutuellement et qui sont suffisamment éclairées pour négocier. Cela existe chez certains bailleurs qui sont vraiment assez transparents dans les négociations. Mais d’autres arrivent avec des choses déjà cadrées et quand ils négocient, il faut que cela tombe là-dedans sinon cela ne passe pas. Parce que celui qui négocie avec vous doit justifier plus haut que lui et cela répond à un tas de logiques. Alors même si il accepte que le partenaire national négocie, le bailleur de fonds a des exigences qui souvent sont définies au-dessus de lui. Je pense qu’il ne faut pas dire que le partenariat ne peut pas exister entre un bailleur de fonds et une partie nationale mais dans la plupart des cas, c’est difficile de négocier quand le bailleur de fonds a souvent tendance à se mettre dans la peau de celui qui veut être aidé et ce dernier a tendance à aller vers le bailleur de fonds pour lui demander un maximum de sous. Quelque part, il y a un dialogue de sourds !
Mais le problème n’est pas seulement au niveau de l’aide; parfois les populations ne savent pas exactement ce qu’elles veulent. Quand on est dans une logique de dire : « voilà un bailleur de fonds qui est venu pour nous appuyer », tout le monde arrive et tout le monde tend la main au lieu de faire un effort. L’effort qui consiste à s’affirmer par sa mise de fonds propres quitte à ce que l’aide vienne compléter le reste. En général maintenant, tous les bailleurs de fonds ont l’habitude et la dynamique de dire qu’il faut une participation des bénéficiaires aux coûts, ne serait-ce que le minimum. C’est le « ticket modérateur », c’est ce qui prouve que le bénéficiaire est intéressé par le projet lui-même.
Beaucoup de gens font un effort pour avoir des projets adaptés aux besoins des populations, mais les bailleurs de fonds fonctionnent souvent par phénomène de mode. Ils sont là et qu’ils font tous la même chose à un moment donné. Quand ils arrêtent ils disent : « On ne fait plus cela, on déménage tous ensemble, on fait ceci ». Tu les suis et puis deux ans après, il y en a un qui file vers cela et tous ils ne font plus que cela. Je pense qu’il faut diversifier et qu’eux mêmes se concertent pour savoir qui fait quoi. On sent à travers certaines choses qu’ils manquent carrément de concertation. Vous allez voir aujourd’hui telle coopération pour telle et telle action et deux mois après il y en a un qui arrive et qui fait la même chose, alors qu’ils auraient pu se concerter. Et il faut aussi que le gouvernement sache ce qu’il accepte ou refuse comme financement parce qu’en général on accepte tout car on a besoin de tout, sans savoir si les effets du projet qui va arriver ne vont pas annuler les acquis du projet qui est là. A force d’accepter tout, on ne sait plus où on va, il n’y a pas de plan de développement bien tracé. Dans la coopération, tout le monde fait ce qu’il veut. Et pour l’Etat, pourvu que le pognon rentre dans le pays et c’est fini".
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, Burkina Faso, Ouagadougou
Celui qui aide a ses priorités, ses interdits, son dessein. Les bénéficiaires ont tendance à tendre la main au lieu de faire d’abord l’effort d’investir eux-mêmes. Les agents nationaux de ce projet d’appui aux entrepreneurs ont l’idée de continuer après la "fin du projet" et déplorent les phénomènes de mode habituel chez les bailleurs et les dialogues de sourd entre celui qui demande l’aide et celui qui l’offre.
Entretien avec TRAORE, Félicité
Interview
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